Ma dernière balle sera pour toi – Aldo Florio
Anda muchacho, spara !. 1971Origine : Italie / Espagne
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Fraîchement évadé des travaux forcés, Roy Greenford (Fabio Testi) est recueilli par un vieux mexicain qui avec ses collègues vit sous le joug de Redfield (Eduardo Fajardo), homme d’affaire véreux qui achète leur or à bas prix et s’efforce avec ses hommes d’empêcher quiconque de partir, d’aller en ville et d’acheter des armes. Le vieux mexicain donne tout son maigre pécule à Greenford, qu’il perçoit comme un “investissement”. L’ex forçat a effectivement des comptes à régler avec Redfield, mais rien ne dit qu’il n’essaiera pas lui aussi de voler l’or des mexicains…
Aldo Florio n’a pas réalisé grand chose, ni avant, ni après Ma dernière balle sera pour toi. Le peu qu’il a réalisé demeure méconnu. Par contre, ses scénaristes ne sont pas tout à fait inconnus au bataillon : Eduardo Manzanos Brochero s’est illustré pour un nombre conséquent de westerns (par exemple Les Pétroleuses de Christian-Jaque avec Brigitte Bardot et Claudia Cardinale), mais aussi pour quelques uns des gialli de Sergio Martino, maître du genre avec Dario Argento. La Queue du scorpion, L’Étrange vice de madame Wardh sont signés Brochero (entre autres). L’autre scénariste, Bruno Di Geronimo, a eu pour sa part une carrière bien moins prolifique, mais qui contient tout de même le Paranoia d’Umberto Lenzi et le Mais qu’avez vous fait à Solange ? de Massimo Dallamano. Ainsi, le lien entre Ma dernière balle sera pour toi et le giallo est fait, ce qui peut expliquer beaucoup de choses concernant la nébulosité du scénario du film de Florio. Nous naviguons ici dans un western puzzle, poussant à l’extrême le concept utilisé par Sergio Leone dans Il était une fois dans l’ouest. Roy Greenford, dont nous n’apprenons le nom que très tardivement, est de ces pistoleros qui parlent peu, et qui sont à la recherche d’une revanche dont nous ne savons rien. A cela s’ajoute ses liens avec les mexicains, extrêmement difficiles à cerner, à tel point que le film semble un temps disposer de plusieurs intrigues dissociables qui ne se rejoindront que par le plus grand des hasards. Même du côté des méchants, tout est flou : les deux principaux lieutenants de Redfield se haïssent pour l’amour d’une femme, Jessica (Charo López), qui un peu à l’instar de Greenford ne parle pas. Si ce n’est pour son statut de quasi-esclave, on ne sait qui elle est, et quel est son rôle. Toujours est-il que l’incompréhension va en s’accroissant après l’engagement par Redfield de Greenford, qui vient pourtant de tuer une paire de ses hommes, qui l’a humilié et qui continue en s’en prenant aux deux lieutenants. La seule indication dont nous disposons est celle d’un nom : Emiliano, que prononce Greenford à ses ennemis lorsqu’il s’est assuré que personne d’autres ne peut l’entendre. A la simple évocation d’Emiliano, les ennemis en question sont effrayés et provoquent les duels, qu’ils perdent systématiquement. Ainsi, si l’on devine qu’Emiliano est le nom de celui qui se cache derrière la vengeance du forçat, on ne sait toujours pas quelle est cette histoire commune reliant Redfield à Greenford. Florio développe et entretient une atmosphère lourde, symbolisant qu’un règlement de compte est dans l’air, mais qu’il n’aura pas lieu tant que quelqu’un n’aura pas percé le mystère de Roy Greenford, ou que celui-ci ne se sera pas dévoilé.
Fabio Testi marche sur les traces de Charles Bronson et de Franco Nero d’un pas plutôt convaincant, restant en permanence de marbre tandis que chacun essaie de deviner ses motivations à l’exception de Redfield, qui lui aussi semble avoir quelque chose à cacher. La musique de Bruno Nicolai est excellente, et rien que les premières notes du thème principal permettent de deviner que le compositeur fut le plus brillant élève d’Ennio Morricone. Ainsi, plus le temps passe, plus la tension monte, et le réalisateur révèle les informations au compte-goutte, souvent par l’intermédiaire de flash-back situés du temps où Greenford était prisonnier. Et au fur et à mesure se créé bel et bien une intrigue dans l’intrigue, n’ayant rien à voir avec les mexicains (qui restent absents la majeure partie du film). Cela tient aux conflits d’intérêts entre Redfield et Greenford, le second utilisant le premier pour les arnaques dont il est coutumier, mais le premier n’en faisant qu’à sa tête. Ainsi, le conflit final, inévitable, n’est pas amené par le secret de Greenford mais par la force des choses, et l’implication progressive des mexicains et de Jessica, en rébellion ouverte contre leur ex dominateur. Le film prend alors une tournure plus politique, renvoyant le personnage de Fajardo à son statut d’exploiteur, et les autres à leur statut d’exploités auxquels on vole le fruit de leur labeur… Mais Greenford demeure un mystère. La vengeance, l’argent, les mexicains, ses motivations peuvent être nombreuses. Ce qui, outre le sous-texte politique assez simpliste il faut bien le dire (nous ne sommes pas chez Corbucci ou Solinas), enrichit le film d’un thème philosophique assez original : que signifie la liberté ? L’enrichissement, la lutte pour la justice commune ou la liberté individuelle ? Bien pensé même si assez peu spectaculaire au vu des promesses affichées par l’accentuation des tensions, le final, et donc la révélation ultime (qui comme dans Il était une fois dans l’ouest est un flash-back ne laissant plus aucun doute), permet de répondre à ces questions. La réponse n’est d’ailleurs guère convaincante, ce qui s’explique à la fois par un sujet un peu trop vaste pour cela et par le secret de Greenford, vraiment trop calculé pour faire de l’ex forçat une âme noble, rejetant le pouvoir corrupteur de l’or tout en mariant les intérêts du fameux Emiliano et ceux des mexicains spoliés.
Si sa structure assez nébuleuse permet de rattacher le film aux gialli, il en va en revanche tout autre de son traitement, bien moins coloré que celui des films de Martino, Argento, Lenzi et compagnie et également bien moins fantaisiste que ne l’étaient les westerns de son époque, gagnés par la farce à la Trinita. Ma dernière balle sera pour toi est une œuvre austère, parcourue d’instants de bravoure qui n’en sont que plus efficaces (les duels mais aussi une scène de torture ou encore l’exploitation de Jessica). Toutefois, il serait mentir que de dire qu’à force de se montrer aussi flou au sujet de son personnage principal, le réalisateur n’a pas fini par lasser un chouïa. Il en va souvent de même des films qui tardent à proposer des enjeux à leurs intrigues (surtout lorsque comme ici, les attentes conduisent à une relative déception). Ce qui fait qu’aussi bien foutu soit-il, avec des acteurs performants, une mise en scène adaptée et une musique prouvant une nouvelle fois les talents de Bruno Nicolai, le film de Florio est loin d’intégrer le peloton de tête du western spaghetti.