Livide – Julien Maury & Alexandre Bustillo
Livide. 2011.Origine : France
|
Encore sous le choc du suicide de sa mère, Lucie commence un stage auprès de Catherine Wilson, une infirmière itinérante. A sa suite, elle découvre la grande demeure de Déborah Jessel, une ancienne danseuse classique de renom qui (sur)vit désormais clouée au lit. Le soir, elle retrouve son petit-ami William dans le troquet du coin et lui relate sa journée. De son récit, il retient la visite de la villa Jessel qui déjà durant leur enfance nourrissait leurs fantasmes. Convaincu du fric qu’il y aurait à se faire en refourguant les quelques objets de valeur prenant la poussière que la demeure ne doit pas manquer d’abriter, il propose à Lucie de mener une expédition nocturne. D’abord réticente, elle finit par accepter et c’est finalement à trois, le frère de William tenant lieu de chauffeur, qu’ils s’aventurent sur les lieux au milieu de la nuit. Lucie émet néanmoins une exigence, ne rien vandaliser. Donc ils n’entreront que s’ils trouvent un accès. La chance semblant de leur côté, ils réussissent à pénétrer à l’intérieur. Mais la chance tourne vite et s’ils sont parvenus à entrer, sortir leur sera bien plus difficile. Voire impossible.
Pour les enfants et adolescents des années 80 biberonnés à la lecture des revues Mad Movies et Starfix, le cinéma fantastique français dans son acceptation la plus large, relevait presque de la chimère. Compte tenu de l’offre locale famélique, il suffisait de pas grand chose, d’un frémissement, pour faire naître de grands espoirs. Avec Le Dernier combat, auréolé du prix spécial du jury et du prix du public au festival d’Avoriaz 1983, Luc Besson s’est imposé comme un recours possible pour la renaissance du cinéma fantastique hexagonal. Or, dès son film suivant, Subway, et la suite de sa carrière, l’illusion n’a pas fait long feu. Jérôme Boivin avec Baxter et Confession d’un barjo ou Alain Robak avec Baby Blood ont un temps pu laisser croire à un nouveau sursaut mais ils ont rapidement, et dans le cas du premier cité malheureusement, disparus des radars. Avec Delicatessen puis La Cité des enfants perdus, Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet ont su imposer leur univers jusque dans les festivals les plus prestigieux et généralement hermétiques à ce genre de film (film d’ouverture et en compétition officielle pour le deuxième nommé lors du festival de Cannes 1995). Petit à petit, le fantastique devient un horizon possible en France et peut également rencontrer son public comme en atteste le plébiscite pour Le Pacte des loups de Christophe Gans. Ce dernier, ancien rédacteur pour la revue Starfix et cinéphile averti à l’origine de la collection HK vidéo qui découle de HK magazine qu’il a créé, a ouvert le chemin pour d’anciens critiques désireux de réaliser des films plutôt que de parler de ceux des autres. Alors rien de comparable avec la Nouvelle Vague, qui restera unique par son impact et son influence, mais un mouvement néanmoins important pour les lecteurs desdites revues (Starfix et Mad Movies/Impact). Entré à la rédaction de la revue créée par Jean-Pierre Putters en 1998, Alexandre Bustillo y travaille jusqu’à sa rencontre avec Julien Maury en 2006. Ensemble, ils réalisent l’année suivante A l’intérieur pour lequel ils bénéficient du concours de Béatrice Dalle. Une aubaine pour faire parler du film, moins pour attirer le public. Mais le principal est là, le film existe et leur carrière, lancée.
Dans le domaine artistique, la seconde oeuvre est toujours un passage délicat. Se pose alors la question de savoir s’il faut creuser le même sillon ou déjà chercher à se renouveler afin d’éviter d’être trop vite enfermé dans un genre ou dans un style. Même si Julien Maury et Alexandre Bustillo ne cherchent pas à sortir de l’horreur, Livide leur permet de l’aborder de manière différente. Si leur premier film jouait davantage la carte du gore avec tous les excès que cela induit, ils orientent leur second vers le conte fantastique macabre avec comme figure tutélaire le Suspiria de Dario Argento. Le lien s’effectue par le truchement du personnage de Déborah Jessel, une ancienne gloire du ballet à laquelle l’ex danseuse étoile Marie-Claude Pietragalla prête ses traits. A la mère des soupirs du film de Dario Argento se substitue une vampire expurgée de ses atours folkloriques mais qui partage un même état de décrépitude. Un état qui semble s’étendre au village de pêcheurs sis à proximité. Ce qu’illustrent les quelques plans fixes qui émaillent le générique. Bateaux échoués, une épave de voiture désormais à la merci de la végétation, une tête en décomposition sur une plage, frappent comme autant d’instantanés d’un environnement en pleine déliquescence. Et à l’avenir bouché comme en atteste l’accumulation d’affichettes sur des jeunes portés disparus en un clin d’oeil inattendu au Génération perdue de Joel Schumacher. Mais le village portuaire et sa région n’existeront plus au-delà de l’entame du film, le récit se cloisonnant hâtivement à l’intérieur du manoir Jessel. Ce motif de l’enfermement, grand classique du cinéma d’horreur, joue les valeurs refuges pour un duo qui répète ses gammes. L’entreprise délictueuse des trois compères étant rapidement vouée à l’échec, le jeu consiste alors en une visite de la demeure, dont chaque étage visité apporte une nouvelle pièce au puzzle de l’histoire des lieux, sur le mode de la maison hantée. Faute de personnages étoffés et singuliers (William est un impulsif doublé d’un idiot et Ben, un suiveur sous le charme de Lucie), le récit s’englue dans les scènes attendues de panique et de prises de becs au sein du trio en amorce des premiers meurtres. Par leur violence, ceux-ci agissent comme les électrochocs générés par un défibrillateur dont chaque soubresaut ramène un peu plus Déborah Jessel à la vie. Car en dépit des soins prodigués par Catherine Wilson, Déborah Jessel se meure, et avec elle son désir de corriger ses fautes passées. Mère et professeure de danse intransigeantes, elle a fait vivre un double calvaire à sa fille, Anna. Incapable du moindre geste d’affection envers son enfant, elle ne semble concevoir leurs rapports que sous le prisme du maître et de l’élève jusqu’à la punition de trop.
Ce rapport à la mère sous-tend l’intrigue tout en établissant une passerelle avec leur précédent film. Dans A l’intérieur, il était question de deux génitrices se battant autour d’un bébé à naître. Avec Livide, Julien Maury et Alexandre Bustillo inversent leur propos en mettant les enfants à l’honneur. Déborah Jessel tente bien de corriger son erreur en redonnant vie à sa fille mais derrière sa démarche corrective se lit moins un amour maternel qu’un désir de postérité. Endeuillée par le suicide de sa mère, Lucie partage avec Anna ce manque d’affection même si pour des raisons diamétralement opposées. Lucie baigne dans une incompréhension teintée du ressentiment légitime de ceux qui restent (Pourquoi m’a t-elle abandonnée ?) quand Anna s’est toujours sentie rejetée. A double titre dans son cas puisque son statut de vampire en fait un être à part, peu enclin à s’intégrer dans la société. A elles deux, elles constituent la pierre angulaire du récit, sa raison d’être. Dès que Lucie découvre la jeune ballerine momifiée, un lien entre elles se noue. Un lien que Deborah renforce malgré elle en faisant de la première le réceptacle de la renaissance de la seconde. Rendue à la vie, Anna ne veut plus être le jouet des penchants autoritaires de sa mère. Elle aspire à se libérer de ses carcans, vivre par et pour elle-même. Elle trouve en Lucie une alliée précieuse, une compagne d’infortune dont le nouveau corps supplicié la rapproche de sa mère. S’amorce entre elles un mouvement contraire mais solidaire, l’une cherchant à fuir définitivement sa génitrice lorsque l’autre espère la rejoindre. Ce mouvement s’effectue dans un mélange de férocité et de poésie où il convient de tuer la mère pour s’accepter tel qu’on est ou tel qu’on est devenu. Durant cette dernière partie, les influences des deux réalisateurs se téléscopent pour le pire et le meilleur. On pense notamment au Guillermo Del Toro de Cronos, son premier film qui apportait un vent de fraîcheur au mythe du vampire, dans ces rouages mécaniques que Déborah incorpore à la dépouille de sa fille. Et le faciès de la Déborah Jessel centenaire renvoie à celui du Dracula campé par Gary Oldman dans le film éponyme de Francis Ford Coppola dans un curieux effet de mimétisme. Des influences plutôt cohérentes compte tenu de la nature du film. Sauf que le film ne se sort jamais d’une certaine vacuité. Julien Maury et Alexandre Bustillo meublent comme ils peuvent un récit anémique peuplé de personnages à la psychologie sommaire ou de silhouettes (les trois fillettes) qui n’apparaissent que le temps d’une scène choc pour ne plus y revenir par la suite. Et cette fois, la présence de Béatrice Dalle ne suffit pas à sauver le film, ici reléguée au rang de silhouette mutique pour une participation purement amicale.
Moins énervé et rentre-dedans que A l’intérieur, Livide se veut plus nuancé dans son approche de l’horreur, voire plus respectable. On y retrouve néanmoins les mêmes défauts notamment dans l’écriture des personnages et leur interprétation (Félix Moati, pour qui c’était le deuxième film, sonne particulièrement faux), mais aussi les mêmes qualités. Visuellement, Livide a de la tenue que ce soit au niveau de la photographie de Laurent Barès ou de la direction artistique. Mais cela manque d’idées de mise en scène, surtout lorsqu’il s’agit de jouer sur la peur et le hors-champ. Nous sommes encore dans un cinéma d’élèves appliqués mais qui manque encore singulièrement de tripes et de coeur.