Les Yeux de la forêt – John Hough
The Watcher in the Woods. 1980Origine : États-Unis
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Après des décennies passées à ravir les petits, la stratégie du mastodonte Disney change au tournant des années 70/80. En plus des films d’animation pour enfants, la firme cherchera désormais à se diversifier en s’adressant à un public un peu plus âgé, adolescent ou même jeunes adultes. Pour ce faire, il ne faut pas y aller par quatre chemins : la prise de vue réelle semble toute indiquée, ce qui n’est pas une nouveauté. En revanche, s’aventurer dans des genres commercialement porteurs auprès de la cible visée l’est déjà bien plus, surtout venant d’un studio dont l’image de marque profondément familiale implique de contourner soigneusement tout ce qui pourrait être sulfureux. Alors, lorsque décision fut prise de mettre en chantier un film d’épouvante -adapté d’un roman de Florence Engel Randall-, les pontes disneyiens ne cachèrent pas leur angoisse. Trouver un réalisateur ne fut pas difficile : ayant déjà brillé pour le studio avec La Montagne ensorcelée et sa suite Les Visiteurs d’un autre monde, John Hough fut naturellement embauché. Par contre, niveau scénario, prudence et surveillance furent les maîtres mots ! Ainsi, le script original de Brian Clemens (des épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir, d’Amicalement vôtre, mais surtout l’écriture de Terreur aveugle, du Septième Voyage de Sinbad et de Dr. Jekyll et Sister Hyde) fut jugé trop sombre et angoissant. La révision elle-même fut révisée pour aboutir à un résultat final sur lequel John Hough n’eut pas son mot à dire. Pire : le film se recevant une volée de bois vert lors de sa sortie en 1980, il fut retiré du circuit au bout de 10 jours, le temps de retourner intégralement la fin, partie la plus décriée de l’ensemble (ce qui ne fut pas fait par Hough). Ce ne fut qu’un an et demi après que Les Yeux de la forêt retrouva le grand écran, dans un relatif anonymat où il aurait très bien pu rester. Toutefois, il semblerait qu’il marqua l’esprit des spectateurs de l’époque (et de ceux qui le visionnèrent ultérieurement) puisqu’une édition DVD fut confiée en 2002 à l’éditeur américain Anchor Bay, qui se proposait d’y inclure non seulement un commentaire audio de John Hough mais également la version initiale. Et Disney, 20 ans après les faits, de ne pas se dédire : refus d’autoriser le montage original ! Tout juste y figure-t-il des fins alternatives.
La famille Curtis est toute heureuse de pouvoir louer à vil prix une classieuse demeure sise en plein milieu de la forêt. La présence dans un pavillon adjacent de leur revêche propriétaire, Mrs. Aylwood, n’impacte guère leur enthousiasme. En revanche celui de Jan, l’aînée des deux filles Curtis, sera très vite douché par quelques phénomènes étranges : la silhouette d’une fille aux yeux bandés qui apparaît dans les miroirs ou encore les inexplicables lumières sortant de la forêt lui laissent croire que quelque chose ne tourne pas rond. Et que sa sœur Ellie se mette à avoir des absences et à tenir des propos obscurs n’est pas là pour la rassurer. Il se pourrait fort que ces phénomènes soient liés à Karen Aylwood, la fille de la propriétaire, disparue sans laisser de trace il y a bien longtemps.
“La Russie est un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme“, disait Winston Churchill. Et bien à ce compte-là, le scénario des Yeux de la forêt est très russophile. C’est à dire qu’avant d’être un film d’épouvante, voire même dans le but d’édulcorer celle-ci, c’est un film tout entier porté sur le mystère. En bon film Disney, il prend pour personnage principal une jeune fille qui va prendre sur elle de mener l’enquête pour découvrir la raison des phénomènes étranges et y remédier. D’où la nécessité d’opacifier dès le départ la nature de l’énigme. Dans un premier temps il y a donc une multiplication des interrogations qui constituent les pièces du puzzle : la fille vue dans le miroir, les flashs bleus qui sortent de la forêt, l’inquiétante personnalité de Mrs. Aylwood (jouée par Bette Davis, déjà présente dans un des deux films de Hough tournés pour Disney), la petite sœur qui tient des propos obscurs, les “accidents” qui se mettent à menacer Jan… Tous ces éléments pointant vers le fantastique servent de moyens plutôt que de fin, l’optique disneyienne étant bien de ne jamais laisser l’héroïne désemparée face à cette adversité paranormale. Non sans une certaine dose de démagogie, le film souhaite faire de Jan une post-adolescente à laquelle tout bon enfant sage aspire : quelqu’un d’audacieux, de curieux, de sympathique, de courageux, d’altruiste, d’aimant, etc N’en jetez plus ! Cette Jan bien trop proprette, dont la pire espièglerie se limite à désobéir à maman (Carroll Baker loin de ses rôles dans les gialli de Lenzi dix ans auparavant), avec toutefois comme légitime excuse de résoudre le mystère, irrite profondément. Et il en va de même pour sa petite sœur, sorte de médium malgré elle flanquée d’un joli petit chien. Des personnages de films familiaux tout ce qu’il y a de plus commun, et qui entravent beaucoup l’aura sinistre qui émane de la forêt. D’autant qu’au fur et à mesure de l’enquête, les explications se précisant, nous finissons par nous éloigner de l’épouvante au profit d’un paranormal lui aussi très propret (et ne parlons pas de la fameuse fin qui posa tant de problème : elle est d’une platitude invraisemblable, en plus de ne pas répondre à toutes les interrogations). Symbole de cet adoucissement progressif, le personnage si sinistre joué par Bette Davis, ainsi que quelques autres (des amis d’enfance de Karen Aylwood présents lors de sa disparition) cèdent devant les yeux de biche et les arguments charitables de l’adolescente, dévoilent leurs tristes secrets et se révèlent dans le fond être de braves personnes ne demandant qu’à se libérer d’un fardeau. Alors merci qui ? Merci Jan !
Les Yeux de la forêt pèche donc par sa volonté de ne pas se hasarder sur des routes non balisées. Le côté gentillet et prévisible peut se justifier dans les films d’animation qui peuvent compenser par leur fantaisie naturelle et qui en outre s’adressent à un public enfantin. Il se révèle nettement bien moins adapté à un film présenté comme un Exorciste maison par le cadre de Disney qui le mit en chantier pour séduire un public plus mature. Dans le cinéma d’épouvante, les éléments angoissants vont généralement en s’intensifiant, et non en s’affadissant comme c’est le cas ici. Logiquement, cette structure sur un mode “enquête” fait se concentrer les points forts du film sur chaque part d’ombre qui demeure, et donc plus particulièrement dans la première moitié du film. Et c’est précisément parce que ces éléments sont réussis que Les Yeux de la forêt laisse une désagréable impression de gâchis. John Hough y démontre une nouvelle fois son savoir-faire, rappelant à la fois sa Maison des damnés et son bref passage par la Hammer (Les Sévices de Dracula, fort honorable Hammer tardif). Du premier, Les Yeux de la forêt hérite d’un sens de la mise en scène percutant et propice à l’effroi, notamment par des angles de caméra savamment conçus pour donner une impression de vulnérabilité quant aux personnages généralement écrasés par un environnement hostile. La forêt, sa brume et ses spectrales lumières remplacent ici la maison tarabiscotée, encore que certains plans laissent à penser que le danger vient des bâtiments eux-mêmes (notamment parce l’un des lieux de tournage n’est autre que l’Ettington Park Hotel, alias La Maison du diable de Robert Wise). Et de la Hammer, Hough récupère les ruines gothiques, la forêt profonde, les rites occultes et un sens de la photographie soignée (et signée Alan Hume, qui sans surprise travailla pour la Hammer et la Amicus). Le mélange des deux aurait très bien pu donner une certaine représentation de “l’indicible” pour reprendre un terme lovecraftien, d’autant que faire de la forêt elle-même l’antagoniste principal aurait apporté une touche d’originalité bienvenue et exploiter ainsi de façon centrale un milieu souvent utilisé comme simple enveloppe par le cinéma d’épouvante. Mais non. Jan fait son enquête, apprend des secrets et vient en aide à la pauvre Karen.
Voilà qui est frustrant ! Il n’est donc pas incongru que ni John Hough ni Disney n’y aient trouvé leur compte. Les deux ont essayé de concilier l’inconciliable : l’épouvante classieuse pour l’un, le film familial pour l’autre, sans qu’un terrain d’entente n’ait pu être trouvé. En conséquence, Disney ne s’aventurera plus trop dans le genre, et John Hough cessera de travailler pour la firme, revenant à de simples films ou téléfilms d’horreur indépendants (Incubus ou encore des épisodes de Histoires singulières, une série de la Hammer) avant de basculer dans un changement de style complet (une suite d’adaptations de romans signés Barbara Cartland). Et pour la petite histoire, et vu qu’il semble douteux qu’elle finisse par voir le jour, la fin initiale impliquait un voyage dans une autre dimension (chose préservée dans un dénouement alternatif) et même un extra-terrestre -le watcher du titre original. Ce qui laisse songeur, dit comme ça, mais n’aurait en tous cas pas pu être moins fade que celle qui clôture officiellement le film depuis sa ressortie.