Les Témoins – Brian Gilbert
The Gathering. 2003Origine : Etats-Unis / Royaume-Uni
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Près de Ashby Wake, une petite bourgade de la campagne anglaise, les ruines enfouies d’une église du Ier siècle ont été découvertes suite à la chute mortelle d’un jeune couple dans une crevasse la surplombant. Spécialiste en histoire de l’art, Simon Kirkman (Stephen Dillane) est fasciné par cet édifice qui contient une scène unique : le Christ supplicié tournant le dos à la nef et faisant face à un bas-relief représentant un parterre d’individus venus l’observer. Parallèlement à cette découverte, son épouse Marion Kirkman (Kerry Fox) renverse malencontreusement la jeune Cassie Grant (Christina Ricci). Rongée par la culpabilité, elle recueille la jeune femme qui s’entend immédiatement avec les enfants, nourrissant même des rapports privilégiés avec Michael, le petit dernier, qui ne pipe mot depuis le décès de sa mère biologique. Tout semble donc aller pour le mieux, sauf que Cassie, souffrant d’amnésie, se met à avoir des visions morbides de plus en plus fréquentes et se croit suivie par des gens louches…
Jusqu’alors plutôt rompu aux mélodrames et autres romances emperruquées (Jamais sans ma fille, Tom and Viv, Oscar Wilde), le peu prolifique Brian Gilbert profite des années 2000 pour s’ouvrir au fantastique. Ce coup d’essai, auréolé d’un bienheureux co-prix spécial du jury au festival de Gerardmer 2003, sera sans suite, le bonhomme préférant revenir à un cinéma plus classique. Personnellement, je ne vais pas m’en plaindre compte tenu du peu d’enthousiasme que Les Témoins a suscité chez moi. Pourtant, tout n’est pas à jeter dans ce film, et ce sont justement ces quelques éléments positifs qui le rendent quelque peu frustrant.
Que l’on soit croyant ou non, force est de reconnaître à la religion chrétienne l’avantage de représenter une source d’inspiration inépuisable pour le cinéma fantastique. On ne compte plus le nombre de films fantastique, ou disons le tout net d’horreur, qui se réclament des écrits bibliques ou de leur imagerie. Pour le meilleur, on se tournera vers l’indémodable Malédiction de Richard Donner (oubliez l’ersatz de 2006 signé John Moore), pour le pire, allez voir du côté du Témoin du mal. Les Témoins se situerait quant à lui entre ces deux pôles, avec peut-être un petit penchant pour le second du fait d’un scénario qui, à force de courir deux lièvres à la fois, aboutit à une œuvre hybride et peu maîtrisée. C’est souvent ce qui arrive lorsqu’un réalisateur se repose trop sur la révélation finale, au mépris de la logique interne de son récit.
Le récit se scinde donc en deux : une partie qui s’articule autour de cet étrange bas relief composé de visages aussi inquiétants qu’étonnamment vivants, et une autre s’axant sur les visions morbides de Cassie qui pourraient faire écho aux peurs du jeune Michael. Le jeu consistant bien entendu à les relier lors d’un final moralisateur en diable et que le titre français aurait tendance à éventer. Quoiqu’il en soit, le film n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’attarde sur ces visages qui composent le bas relief, et dont la découverte à la lueur d’un briquet donne l’impression que leurs yeux bougent, comme si des êtres étaient prisonniers de cette gangue de pierre. D’ailleurs, certaines manifestations à l’intérieur de l’édifice religieux –l’extinction des puissants spots amenés par Simon Kirkman, notamment–, ou le fait qu’il a été volontairement enseveli plusieurs siècles auparavant, laissent à penser que ce lieu, si ce n’est maudit, est au minimum hanté. Cependant, les frissons n’émaneront pas tant de ce lieu que des découvertes d’un prêtre plus pointilleux dans ses recherches que le professeur Kirkman, sommité un brin dépassée par les événements. Il suffit au réalisateur de nous montrer la récurrence de certains visages au cours des siècles et rattachés à divers événements dramatiques (lynchage d’un noir, assassinat de JFK) pour qu’une sourde angoisse se fasse sentir, bien plus efficacement que l’inévitable tragédie qui se profile. Quel dommage que ce soit cette dernière qui occupe le devant de la scène !
De fait, l’essentiel de l’intrigue tourne autour de Cassie, son amnésie, ses visions morbides et sa relation, ou plutôt connexion, avec Michael. Qui est-elle ? Que signifient ses visions ? Est-elle folle ? Autant d’interrogations qui nourrissent une intrigue n’hésitant pas à écorner un peu plus l’image des prêtres. Il est notamment question des origines de Lime Court, l’immense demeure des Kirkman qui fut par le passé un orphelinat religieux dans lequel il n’était pas rare que les coups pleuvent sur les malheureux pensionnaires. Il en résulte un salmigondis de flash-back esthétiquement douteux mêlé à une odyssée vengeresse qui confère une valeur prophétique aux visions de Cassie. Et tout ça pourquoi ? Tout ça pour nous amener au rebondissement final qui non content de réunir les deux sous intrigues, se fait un plaisir de fustiger le côté voyeuriste présent en chacun de nous, confinant à la passivité. Il est donc bien question d’une malédiction dans le film, mais d’une malédiction qui ne concerne qu’une poignée d’individus, coupables de s’être rendus sur les lieux de la crucifixion de Jésus Christ pour y assister. Mauvais bougre, Dieu le père les a depuis lors condamnés à être aux premières loges de chaque événement dramatique, sans pouvoir inverser le cours de l’histoire. Enfin, en théorie, car le film nous apprendra que c’est possible à condition de devenir amnésique, et qu’en plus cela n’empêche nullement de s’adonner aux plaisirs de la chair. Il y a des malédictions plus douloureuses à vivre…
Les Témoins fait partie de ces films qu’on suit avec un ennui poli, bien aidés par la présence d’une actrice appréciée. Quoique nous ayons connu Christina Ricci plus inspirée, et dans ses choix, et dans son jeu. Ici, elle ne parvient guère à faire décoller une intrigue trop chargée qui laisse globalement indifférent jusqu’à ce court pic d’intérêt à mi parcours matérialisé par l’enquête photographique du prêtre. Pour le reste, nous devons nous contenter de personnages insipides, d’une mise en scène sans relief et d’un final trop gentillet. Non, vraiment, pour que ce film ait obtenu un prix, il fallait vraiment que le millésime 2003 soit d’une rare médiocrité.