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Les Sorcières d’Eastwick – George Miller

sorciereseastwick

The Witches of Eastwick. 1987

Origine : États-Unis
Genre : Comédie fantastique
Réalisation : George Miller
Avec : Jack Nicholson, Michelle Pfeiffer, Cher, Susan Sarandon…

Après sa première virée aux Etats-Unis pour un sketch de La Quatrième dimension, le film, George Miller est rentré aussi sec en Australie, où il co-réalisa un docu-fiction portant sur l’implication australienne durant la Seconde Guerre mondiale (certains prétendent qu’il y tourna également autre chose, mais je n’y crois pas). Sa première tentative de travail sur le territoire de l’oncle Sam ne l’aura pas encouragé à demeurer sur place, puisque la sortie sulfureuse de l’anthologie de Spielberg fut davantage marquée par l’accident d’hélicoptère qui coûta la vie à Vic Morrow et à deux jeunes acteurs vietnamiens, non déclarés et travaillant en dehors des heures légales de travail, qu’à la qualité du film, pourtant bonne, notamment pour le sketch de Miller lui-même. Le retour en Australie lui permit de faire retomber la pression, même si lui-même n’avait rien à voir avec le drame, pour lequel ce furent John Landis et Steven Spielberg qui durent s’expliquer. Landis était d’ailleurs toujours en procès lorsque George Miller revint aux Etats-Unis pour y tourner l’adaptation des Sorcières d’Eastwick, roman de John Updike paru en 1984.

La blonde Sukie, la brune Alexandra et la rousse Jane (respectivement Michelle Pfeiffer, Cher et Susan Sarandon) sont trois célibataires de la petite ville d’Eastwick, où elles s’ennuient à mourir. Mère de cinq enfants abandonnée par son compagnon, Sukie écrit dans la gazette locale. Artiste sans grand renom, Alexandra n’a pour sa part jamais été liée durablement à un homme. Fraîchement divorcée, Jane donne des leçons de musique à des gamins qui s’en foutent dans une école où son patron libidineux lui fait des avances. Un soir, pendant l’une de leurs soirées habituelles, elles se mettent toutes trois à rêver de ce que serait leur homme idéal. Dès le lendemain, elles apprennent que le manoir surplombant la ville a été acheté par un mystérieux inconnu. Une à une, elles feront la connaissance de cet homme, Daryl Van Horne (Jack Nicholson) et succomberont à son charme démoniaque. Leur vie aussi bien que leur personne en seront transformées.

Le simple résumé du livre d’Updike suffit à le deviner : Miller et son scénariste Michael Cristofer, dramaturge venu de Broadway, se sont pas mal éloignés du roman, adoucissant notamment ses évocations sexuelles et les élans de pure méchanceté dont étaient capables aussi bien Van Horne que les trois sorcières. En cela, ils répondent bien entendu aux exigences de la Warner, et ils évitent aussi de se voir adresser les mêmes reproches qu’Updike, accusé de misogynie (réputation qui ne commença pas avec Les Sorcières d’Eastwick, d’ailleurs). Et ils s’en éloignent tellement que les sorcières n’ont plus très l’air d’en être, et c’est presque par hasard qu’elles réussissent à provoquer des choses sortant de l’ordinaire. Elles n’agissent en tout cas pas consciemment, et on ne peut même pas les rapprocher des gentilles sorcières de Ma sorcière bien-aimée. Leur cas évoque davantage celui du personnage de James Stewart dans La Vie est belle de Capra, puisqu’elles ne se posent pas trop de question sur ce qui leur arrive, c’est à dire la soudaine plongée dans un monde fantasmé (au sens propre comme au figuré) démontrant ce que ces femmes seraient dans un autre contexte que celui d’Eastwick. La comparaison avec le film de Capra s’arrête là. Parce que l’objectif de Miller, même si il évacue ce qui n’est pas trop ouvertement envisageable dans une production hollywoodienne, est tout de même essentiellement satirique, et s’effectue avec un peu le même humour que celui utilisé dans son sketch de La Quatrième dimension, dans lequel un homme était conduit aux confins de la folie par la vision d’un gremlin sur l’aile de l’avion qui le transportait. Miller ironise sur les envies de ces trois fausses sorcières frustrées, complètement désinhibées par Daryl Van Horne du carcan imposé par une ville bien trop propre. Sa satire s’applique aussi bien aux trois femmes qu’à la ville elle-même, d’où l’aspect particulièrement original du film, véritable comédie de moeurs plutôt que prise de position d’un côté ou de l’autre de la part du réalisateur. La petite vie minable, entre Église, commémorations, marmots et commérages est tellement vide, tellement insipide, qu’elle ne peut conduire pour celles qui s’en affranchissent qu’à un excès dans le sens inverse, c’est à dire un véritable compte de fée moderne, avec palais, prince charmant et intervention du fantastique. Miller entretient l’humour sur ces deux versants, y compris après que les trois femmes soient allées rejoindre Van Horne, en ayant recourt à la campagne menée par la bigote Felicia pour bouter le diable hors d’Eastwick. La morale puritaine qu’elle prêche à grand bruit est paradoxalement un sursaut d’activité dans une ville où ces mêmes principes dominent, ancrés profondément dans l’esprit des gens au point de rendre ceux-ci ennuyeux et insignifiants. C’est même le point de départ d’une lutte à distance, puisque Van Horne (et peut être les sorcières, encore qu’elles n’en aient pas vraiment conscience) se plait à manifester ponctuellement sa nature démoniaque à travers son ennemie dans des scènes de possession vaguement évocatrices de L’Exorciste, qui ont finalement le grand mérite de montrer à quel point le prosélytisme puritain, par son côté outré, ressemble aux manifestations démoniaques. A tel point qu’au strict point de vue du jeu de l’actrice (Veronica Cartwright, la Lambert de Alien), il n’est pas évident de savoir si tel ou telle crise d’hystérie relève de sa bondieuserie ou bien d’un syndrome de possession démoniaque.

Bien entendu, on ne peut que s’amuser de voir ainsi la plus grande bigote d’Eastwick s’humilier régulièrement devant ses concitoyens médusés, trop englués dans leur routine de troupeau pour réagir. Mais comme dit plus haut, Miller n’adresse pas ses quolibets qu’aux seules grenouilles de bénitiers. On peut d’ailleurs considérer que si le personnage de Veronica Cartwright se lance dans une telle croisade, c’est aussi un peu par jalousie d’avoir raté la même occasion que celle de Sukie, Alexandra et Jane, trois femmes qui avant l’arrivée de Van Horne n’étaient pas foncièrement différentes d’elle. Avec leur homme parfait, elles ont trouvé l’occasion de se libérer, mettant en avant une sexualité trop longtemps contenue. Daryl Van Horne est un prince charmant de la fin du XXème siècle, un prince charmant rock’n’roll dont ces dames ne servent pas pour vivre heureuses avec beaucoup d’enfants (ce qui est justement ce dont souffrent les femmes d’Eastwick) mais pour vivre libérées, avec ou sans enfants. Et ce n’est guère une surprise si passé un certain temps, elles se mettent à ne plus considérer leur bienfaiteur comme un protecteur. Prétextant des méchancetés de Daryl à l’égard de Felicia, elles se mettent alors à s’affranchir de lui. En allant chercher la petite bête, on pourrait trouver que Miller se met d’un coup à prôner la gentillesse, ce qui au milieu de toute la satire ferait un peu grossier. Ce n’est pas totalement faux, mais plus qu’une leçon, cela donne l’impression d’être une pirouette purement scénaristique permettant aux trois sorcières de se débarrasser d’un Daryl Van Horne désormais obsolète, puisque leur libération est devenue effective. Il aurait même pu y avoir une certaine forme d’hypocrisie générale derrière tout ça, n’eut été la personnalité trouble de Van Horne. Car bien que celui-ci soit loin d’être une victime, il faut bien admettre qu’il n’a pas tout à fait tort lorsqu’il reproche aux filles de s’être servi de lui et de le jeter dès qu’elles n’en ont plus besoin. On sent la misogynie du livre d’Updike refaire surface discrètement mais sûrement. Elle ne se retrouve atténuée que par la personnalité de Van Horne, que l’on ne peut s’empêcher de trouver sympathique (entre autre grâce à Jack Nicholson, fidèle à lui-même et parfois à Shining) mais qui de toute évidence est le pendant masculin de ces filles ayant pris leurs aises. Son propre souhait est à peu près le même que le leur, c’est à dire dominer. Il ne considère les filles que sous l’angle de la procréation, et tout en jouant les charmeurs il se constitue ni plus ni moins qu’un harem, usant de son pouvoir de séduction optimal (forcément, puisqu’il répond point par point aux attentes évoquées par les filles au début du film). Lui aussi est d’une hypocrisie crasse, et il est bien normal qu’une fois les masques tombés le “diable lubrique” (comme il se présente lui-même) et les filles se lancent dans une guerre des sexes que Miller retranscrit via la magie. Cela va même assez loin, puisque par rites interposés, donc à distance (comme pour Felicia) les bagarres se font sanglantes.

Aussi plaisante soit-elle, la satire des Sorcières d’Eastwick n’a rien de renversante. Le film traite du conflit hommes / femmes en le déplaçant à son époque, écornant au passage le mythe du prince charmant et de la princesse romantique. Par contre, ce même thème vu sous l’angle de la magie prend une toute autre dimension. Humoristique d’abord, puisque les effets spéciaux (assez conséquents) sont principalement conçus dans cette seule optique. Cela permet aussi à Miller de concevoir un film assez fou, aidé par des acteurs d’un très bon niveau (et d’un très beau aussi, voir Michelle Pfeiffer). Enfin, le fantastique justifie le grand soin apporté au film et à ses décors, tout simplement superbes, dans lesquels la magie voire l’onirisme permet quelques grands moments (la partie de tennis surréaliste, la lévitation près de la piscine ou encore le final dans lequel Nicholson rappelle plus que jamais son rôle de Jack Torrance dans Shining). Nous sommes assez loin de Mad Max, et Miller prouve qu’il est suffisamment doué pour faire autre chose que des films d’action. Heureusement, puisqu’il n’en réalisera plus guère par la suite.

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