Les Seigneurs de Harlem – Bill Duke
Hoodlum. 1997Origine : Etats-Unis
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New-York, dans les années 30. Harlem abrite le plus grand réseau de paris de la ville. Dutch Schultz (Tim Roth), implanté depuis peu, cherche à obtenir la suprématie sur cette importante manne financière. Seule Stéphanie St Clair, alias Queen (Vanessa Williams), lui résiste encore. Toutefois, sa volonté de lui tenir tête s’effrite petit à petit. Lorsque Bumpy Johnson (Laurence Fishburne) sort de prison et revient dans le quartier, il soutient Queen puis finit par reprendre ses affaires en main, bien décidé à ne pas céder un pouce de terrain à Dutch Schultz. Dès lors, ils se rendent coup pour coup sous le haut patronnage de Lucky Luciano (Andy Garcia), mettant Harlem à feu et à sang.
Bill Duke fait partie de la fameuse caste des seconds couteaux du cinéma hollywoodien. On ne lui attribue jamais de premiers rôles, et pourtant son visage nous est familier à force de seconds rôles marquants dans quelques succès des années 80 comme American gigolo, Commando ou encore Predator. Cependant, être acteur n’est pas sa vocation. Il souhaite passer à la réalisation et, pour se faire, fourbit ses armes à la télévision en mettant en scène de nombreux épisodes de séries télé. A l’aube des années 90, on lui offre enfin une chance de s’exprimer sur grand écran via l’adaptation de La Reine des pommes, un roman de Chester Himes rebaptisé Rage in Harlem pour le cinéma. Pour quelqu’un qui comme moi ne connait pas l’oeuvre adaptée, son coup d’essai s’avère bigrement plaisant. Oeuvrant toujours dans le polar, Bill Duke étonne son monde avec son deuxième film, Dernière limite, dans lequel Larry Fishburne et Jeff Goldblum rivalisent de talent. On se dit alors que nous sommes en présence d’un cinéaste à suivre de très près. Manque de bol, son film suivant se nomme Sister Act, acte 2. De quoi tomber des nues.
Les Seigneurs de Harlem marque son retour au cinéma de genre. Epaulé par une ribambelle de prestigieux et solides comédiens, il se lance à corps perdu dans cet ambitieux projet, tout heureux à l’idée de dépeindre un personnage de gangster noir ayant vraiment existé, et qui tient tête aux grandes figures de la pègre de l’époque. Généralement, ce genre de film est propice à une saga, et Les Seigneurs de Harlem contient tous les ingrédients nécessaires : une histoire se déroulant sur plusieurs années, une multitude de personnages, trahisons à tous les étages, romance… Pourtant, nous en sommes loin. La faute en incombe peut-être à ces projections-tests assassines qui ont contraint Bill Duke à couper dans le vif. Pour ma part, j’incriminerais davantage la platitude du traitement. Comme écrasé par le faste de la reconstitution et de sa distribution, Bill Duke échoue à insuffler une once d’énergie à son film. Cela en devient flagrant lors du piège tendu à Queen, et dont celle-ci se sort in extremis grâce à l’action de Bumpy Johnson. Mal réalisée, cette scène rate complètement son but, celui d’entraîner Bumpy dans l’engrenage de l’oeil pour oeil, dent pour dent. Lorsque la fusillade éclate, on se retrouve totalement perdus tant la gestion de l’espace laisse à désirer. Les balles sifflent, les corps tombent, et certains apparaissent de façon subite sans qu’on sache par quel tour de passe-passe cela a été possible.
Si côté action, le film pêche par son manque de maîtrise formelle, il aurait pu aisément compenser cela par ses personnages. Peine perdue, ceux-ci s’avèrent désespérement communs. Dutch Schultz représente le méchant de pacotille dans toute sa splendeur, mal élevé, impatient et trop sûr de lui. Dans le rôle, Tim Roth abuse de tics, remisant au placard toute ébauche de sobriété. Lucky Luciano se contente de compter les points, n’intervenant que lorsque ses intérêts sont menacés. Andy Garcia lui prête ses traits dans une maladroite redite de son personnage du Parrain III. Logiquement, c’est Bumpy Johnson qui obtient les faveurs du réalisateur. De retour à Harlem plein de bonnes intentions sous les atours d’un Robin des bois des bas quartiers (redistribution des deniers du vilain à l’appui), il finira par se brûler les ailes tel un Icare, non plus aveuglé par le soleil mais par le pouvoir. A son aise dans son nouveau confort petit bourgeois, il tourne le dos à l’homme qu’il a été pour se complaire du bordel ambiant, résultat d’un véritable “concours de bites” entre Schultz et lui. En tant que héros, il aura droit à sa rédemption. Grand bien lui fasse.
Les Seigneurs de Harlem souffre de son côté trop prévisible jusqu’à la romance entre le héros et une belle fille du quartier, sorte de passage obligé, lequel alourdit ici un peu plus le récit. Heureusement, le constat n’est pas aussi sombre qu’il n’y paraît. Dans les recoins d’un récit un peu trop balisé parvient à s’ébattre Bub, un personnage énigmatique et passionnant. Noir au service d’un blanc raciste, il se retrouve sans cesse déchiré entre ses fonctions d’homme de main et son profond attachement à son quartier et à ses habitants. C’est un homme digne qui paie chérement un mauvais pari. Lui seul détient la clé du conflit, et c’est uniquement pour lui que je ne tiendrai pas rigueur à Bill Duke d’avoir gâché un si bon sujet.
La critique est aisée, l’art…..
… vit dans l’oeil de celui qui regarde.