Les Mille et une nuits érotiques – Antonio Margheriti
Finalmente… le mille e una notte. 1972Origine : Italie
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Le problème avec les modes du cinéma italien, c’est que l’on finit toujours par se mélanger les pinceaux entre les vraies séquelles et les repompes intégrales. Nombreux furent les pauvres pistoleros dont le nom fut souillé par des homonymes douteux (Django en sait quelque chose). Le western n’a pourtant pas été le seul genre à susciter les confusions : en réalisant son Décaméron, premier volet de sa “trilogie de la vie”, Pasolini ne se doutait peut-être pas qu’il allait créer une petite émulation dont allaient profiter les distributeurs nationaux et internationaux en sortant coup sur coup Le Décaméron interdit et Le Décaméron III, ce dernier titre étant appliqué à deux “décamerotiques”de Margheriti, dont ces Mille et une nuits érotiques. Les distributeurs de ce dernier eurent en tout cas le nez creux ou l’opportunisme rapide, puisqu’ils coupèrent l’herbe sous le pied de Pasolini, dont le dernier opus de la trilogie allait justement se titrer Les Mille et une nuits.
Utilisant bien entendu le principe du Décaméron de Boccacce, reprise par Pasolini, Margheriti (réalisateur que l’on ne s’attendait pas forcément à trouver ici) et ses scénaristes divisent leur film en trois sketchs, tout trois amenés dans le récit par une intrigue centrale. Quelque part en Perse, le sultan Almanud se voit remettre un cadeau : une belle esclave incarnée par Femi Benussi, qui s’empresse de lui prouver ses charmes en s’effeuillant au rythme torride d’une danse orientale. Plus qu’une simple manifestation sensuelle, cette danse est censée être la représentation de l’histoire personnelle de la jeune femme : un premier vêtement lui a été soufflé par la brise, puis un second, puis un troisième etc etc… A charge au sultan de lui souffler son dernier voile. Chose faite, mais dans la foulée, gros coup de pompe : le membre royal reste en berne. Pour remédier à cet état de fait, trois groupes de conteurs vont se succéder au pied du lit pour raconter des histoires capables de redonner sa vigueur au Sultan.
Dans la première, il est question d’un empereur perse, dont la fierté est ébranlée lorsque son miroir lui déclare qu’il n’est plus le meilleur amant de toute la nation. Le rival est convoqué au palais pour tirer les choses au clair avec les plus belles femmes du royaume.
Dans la seconde, Aladdin réveille le génie de la lampe (qui parle avec la même voix et le même accent que Charles Pasqua) pour lui demander conseil sur la façon dont il pourrait récupérer sa belle Mariam, mariée avec un vieux notable.
Enfin, la dernière nous présente le défi lancé par une princesse aux hommes du royaume : être capables de lui faire l’amour treize fois entre minuit et le chant du coq. Défi relevé par un jeune homme sorti de nulle part.
Film léger comme beaucoup de ses collègues italiens, Les Mille et une nuit érotiques met en avant un érotisme bon enfant, vu sous l’angle de la comédie, et malgré que les femmes nues y soient légion, Margheriti ne descend jamais frontalement en dessous de la ceinture. En ceci, les sketchs justifient leur présence : ils narrent des histoires capables de réveiller la libido du sultan Almanud. L’imagination est donc favorisée, et les historiettes doivent s’employer à placer le sultan (et donc les spectateurs) dans des conditions idéales. Le refus de toute vulgarité et de toute pornographie témoigne d’une vision très libertaire du sexe, caractéristique de l’érotisme italien de cette époque. La révolution morale est passée par là, et désormais le cinéma peut se permettre de désacraliser la nudité et l’acte d’amour. Réduits au rang d’artifices comiques, ces ingrédients sont désormais innocents : les femmes peuvent prendre du plaisir comme bon leur semble (toutes les femmes du premier sketch), elles ne se sentent plus forcément retenues par les liens du mariage, surtout lorsque celui-ci est financier (la Mariam du second sketch) et même les princesses ne regardent plus leur standing (l’héroïne du troisième). Les hommes auto-proclamés “virils”, appliquant la stratégie du “fait ce que je dis mais pas ce que je fais”, en sont pour leurs frais. Hautement symbolique est cette vision du cimetière des vantards exécutés pour ne pas avoir réussi le défi lancé par la princesse Aziza ! Rompant quelque peu avec les gags faciles des sketchs précédents, ce troisième sketch peut d’ailleurs être vu comme le plus amusant des trois, avec son héros taciturne copié sur les pistoleros du westerns (pancho, cure-dents, chapeau… et habilité au tir). Sa demande, à savoir pouvoir manger un fruit du luxuriant jardin royal entre chacun des 13 “rounds”, n’apparaît que comme une provocation à l’interdiction de manger le fruit défendu. Le fruit sera mangé, et plutôt 24 fois plutôt qu’une ou que 13 ! La morale finale véhiculée par le film, car l’esclave jouée par Femi Benussi demande une morale, achève de faire des Mille et une nuits érotiques une œuvre de son temps : les partouzes sont positives, mais à partir de six personnes. En dessous, les participants risqueraient de faire jouer les sentiments !
Ce serait une erreur de croire qu’avec ses donzelles délurées et son humour généralement bas de gamme, l’œuvre d’Antonio Margheriti se rapproche pour autant des comédies avec Alvaro Vitali. L’inspiration puisée chez Boccacce et Pasolini ne se traduit pas uniquement par la structure du récit. Un soin tout particulier fut apporté aux costumes, aux décors orientaux (les palais, la chambre de la princesse Aziza), aux costumes et même aux effets spéciaux, concentrés dans l’épisode d’Aladdin avec la lampe magique, l’invisibilité et le tapis volant. Tout cela traduit un budget déjà conséquent et exploite avec bonheur le dépaysement inhérent aux Milles et une nuits. L’érotisme n’en est que davantage mis en valeur.
Malgré quelques problèmes de rythme (notamment dans le répétitif premier sketch) ainsi que la légère frustration -qui m’est personnelle- de voir que Barbara Bouchet n’apparaît que pour le rôle de Mariam, Margheriti réussit son entrée dans le milieu de l’érotisme. Son second Décaméron III -que l’on trouve aussi sous le titre Novelle galeotte d’amore– sortit en cette même année 1972, année faste pour tous les amateurs de cinéma transalpin.