Les Grands fonds – Peter Yates
The Deep. 1977Origine : États-Unis
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En vacances, Gail et David (Jacqueline Bisset et Nick Nolte) s’adonnent aux joies de la plongée sous-marine au large des Bermudes. De leur expédition, ils ramènent entre autres objets trouvés autour de l’épave d’un navire, un médaillon ancien et une petite bouteille au contenu inconnu. Si le premier objet les lance sur la piste d’un fabuleux « trésor », dont ils vont tenter de percer le mystère avec le concours du spécialiste local Romer Treece (Robert Shaw), le second ne leur apporte que des ennuis en la personne de Henri Cloche (Lou Gossett Jr), un trafiquant de drogue qui convoite le contenu de ladite fiole : de la morphine.
Suite à l’incroyable succès rencontré par Les Dents de la mer, la question de savoir comment capitaliser sur le phénomène commença à se poser. Pas tant aux pontes de La Universal dont Les Dents de la mer deuxième partie était en bonne voie, qu’à ceux des studios concurrents. Que faire ? Réaliser un autre film avec un requin en vedette ? Trop risqué comme en fera l’amère expérience Enzo G. Castellari dont La Mort au large sera condamné pour plagiat. Alors comment contourner le problème ? Et bien tout simplement en adaptant un autre roman de l’auteur des Dents de la mer, en l’occurrence Les Grands fonds, dans lequel il est également question d’une chasse mais au trésor, cette fois.
Si Les Dents de la mer demeure essentiellement à la surface de l’immensité aqueuse -c’est le requin qui vient aux hommes, et non l’inverse-, Les Grands fonds, de par son titre, nous propose une immersion totale dans les profondeurs marines. Dès la scène d’ouverture, le ton est donné. Passé le générique, la musique se fait discrète pour mieux nous laisser appréhender le monde des profondeurs dans son assourdissant silence. Un soin tout particulier a été apporté aux effets sonores afin de rendre chacune des scènes sous-marines particulièrement immersives pour le spectateur. Chaque son est perçu comme si nous étions le plongeur, l’exploration s’effectuant au rythme de sa respiration. Il se dégage de ces scènes sous-marines un mélange de quiétude et d’angoisse sourde. Le danger peut surgir à tout moment, qu’il soit d’ordre animal (murène, requins), lié à l’activité humaine (la découverte d’une grenade dont l’explosion occasionne un éboulement) ou d’origine inconnue (l’agression de Gail). Sur ce dernier point, ce sont les fantasmes liés aux Bermudes et à son mythique triangle qui suffisent à nourrir notre imagination. Le souvenir de cette agression, aussi soudaine que brutale, est tenace et laisse augurer d’une suite beaucoup moins rationnelle auquel s’ajoute le folklore vaudou auquel la décidément malchanceuse Gail sera confrontée. Or le récit préfère s’inscrire dans une réalité tangible plutôt que jouer la carte du fantastique. De fait, que l’intrigue se déroule aux Bermudes ne revêt pas une importance capitale, au contraire de L’Île sanglante (1980), autre film tiré d’un roman de Peter Benchley qui lui exploite pleinement le potentiel fantastique de sa situation géographique.
Les Grands fonds se rêve davantage en grand film d’aventures à l’ancienne avec trésor à la clé. Un parti pris payant lorsque le récit se concentre sur l’exploration proprement dite de l’épave du bateau, assortie des recherches liminaires en bibliothèque. Dans ces instants là, le film captive, bien aidé par les magnifiques prises de vue sous-marines et un engagement total de ses comédiens. A l’instar des Dents de la mer, on retrouve un trio au cœur du récit dominé par la figure du vieux loup de mer, rôle qui échut fort opportunément à Robert Shaw, qui évite néanmoins de faire de Romer Treece un Quint bis. A ses côtés gravitent Nick Nolte, alors débutant, qui campe un impulsif cédant à la fièvre aurifère en contraste avec le sang-froid à toute épreuve de son aîné ; et la ravissante Jacqueline Bisset, indéniable caution de charme de l’entreprise qui fait dériver le film vers un érotisme léger (ah, ce t-shirt mouillé !) sans non plus n’être cantonnée qu’à un rôle de potiche. Elle prend une part prépondérante à la chasse au trésor, s’affirmant comme le plus sûr relais de Romer Treece. N’en déplaise à Henri Cloche et ses hommes de main qui s’échinent à en faire une héroïne en détresse en l’humiliant dès que l’occasion leur est donnée.
De manière générale, tout ce qui a trait aux trafiquants de drogue contribue à alourdir le récit sous le poids des conventions. La quête du trio n’est alors plus seulement dictée par l’appât du gain mais se double d’un geste humanitaire puisque sous l’impulsion de Romer Treece, les trois compères s’arrangent pour que ni Cloche ni quiconque ne puissent récupérer les fioles de morphine à des fins bassement mercantiles en vue d’irriguer les métropoles de produits stupéfiants. Voici donc nos héros soudain parés d’une aura de respectabilité par opposition à ces individus sans scrupules qui se font de l’argent au détriment de toute notion de santé publique. Le plus drôle dans cette histoire, c’est de constater à quel point Peter Yates éprouve mille difficultés pour gérer Henri Cloche et ses sbires. De fait, il ne recourt à ces personnages que pour apporter un surcroît de péripéties, le plus souvent en défiant toute logique. Le summum étant atteint lorsque Henri Cloche envoie son bras droit investir la propriété de Romer Treece, dans ce qui s’apparente à l’assaut final. Et bien non ! Le molosse du chef des trafiquants limite son infiltration à un poussif mano a mano contre le cerbère du propriétaire des lieux, sans que nous en comprenions les raisons. Tout cela donne la furieuse impression que Henri Cloche navigue à vue, à l’image d’un réalisateur qu’on a connu plus carré par le passé.