Les Frères Karamazov – Richard Brooks
The Brothers Karamazov. 1958Origine : Etats-Unis
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Pas une mince affaire que d’adapter à l’écran l’un des livres les plus réputés de l’histoire de la littérature, à savoir Les Frères Karamazov de Dostoïevski. Mais c’est pourtant ce que choisit de faire Hollywood et plus précisément la MGM en cette année 1958, misant sur le réalisateur et scénariste Richard Brooks, alors en route vers la gloire des Oscars. Il ne faut dès lors pas s’étonner si le film sent les recettes d’Hollywood à plein nez, pour le pire ou pour le meilleur. Niveau satisfactions, on appréciera un casting de grande classe, avec en premier lieu un Yul Brynner sauvage et pourtant non dépourvu de sensibilité qui incarne le plus importants des frères du titre : Dmitri, au comportement lunatique, ambiguë et autour duquel gravitent véritablement tous les enjeux et tous les questionnements du film. Mais il ne faut pas non plus oublier les personnages secondaires, comme le père Karamazov (Lee J. Cobb, vu en 1957 dans 12 Hommes en colère ou 1973 dans L’Exorciste), un vieil homme corrompu qui s’est entraîné les foudres de son fils Dmitri en lui bloquant l’accès à l’héritage de sa défunte mère, ou encore les deux autres frères, Alexi (William Shatner dans son premier rôle majeur) et Ivan (Richard Basehart), le premier prêtre et le second philosophe matérialiste. Et puis il y a les femmes, la blonde Grushenka (Maria Schell) et la brune Katya (Claire Bloom), toutes deux belles, toutes deux riches, mais pourtant sensiblement différentes au point de vue caractère. Là où Grushenka est extravertie, manipulatrice et opportuniste, Katya est au contraire discrète, charitable et romantique. Mais les choses ne sont pas aussi simples, et les apparences sont extrêmement trompeuses, car chaque personnage se révèle en perpétuel changement, autant en fonction des situations auxquels ils doivent faire face que des échanges d’idées auxquels ils se soumettent de gré ou de force. C’est ce qui rend le film si complexe, si dramatique et si peu apte à être résumé succinctement (comme c’est probablement le cas pour le livre que je n’ai pas lu). Pour faire simple, l’histoire nous propose de suivre les relations entre les membres du même famille, à la fois proches et distants les uns des autres, à la fois vertueux et pêcheurs, à la fois idéalistes et matérialistes, que la présence d’argent et de femmes tiraillent dans tous les sens, ne laissant jamais de répit dans leurs incertaines quêtes personnelles. Les relations amoureuses sont complexes, les tentations sont nombreuses, et c’est une véritable lutte que doit mener Dmitri Karamazov pour se forger un avenir, lui qui est dégouté par son père mais qui agit dans le fond comme lui, cédant même aux avances de Grushenka, sa potentielle belle-mère, au grand dam de Katya sa future épouse et d’Ivan, secrètement amoureux de cette même Katya. Les confrontations sont nombreuses et les honneurs de chacun sont en jeux, autant au regard de la société que de celui de Dieu. Mais encore faut il choisir si l’on prête une quelconque attention aux autres (la scène où Dmitri humilie un vieil homme malade devant le jeune garçon de celui-ci est révélatrice) et si l’on doit croire en Dieu ou non (les débats entre Ivan et Alexi). Ces débats constants sont développés d’une façon très profonde, très concrète, et les actes autant que les paroles ont leur importance. Malheureusement, chose vraiment trop hollywoodienne, la voie choisie par Dmitri, dans une moindre mesure par son frère Ivan (un peu trop oublié pendant une bonne partie du film) et enfin par Grushenka sera celle de la rédemption divine, sociale et familiale, qui amènera à un happy end général (y compris pour des personnages secondaires) rédhibitoire dans un film qui jusque là se s’était jamais plié à assener des vérités absolues, ayant poussé très loin les réflexions argumentées sur le sens de la morale (on y trouve par exemple le thème du meurtre en tant qu’acte de liberté d’un monde sans Dieu) et ayant fait de ses personnages les réceptacles de tous les paradoxes et de toutes les interrogations auxquels est soumis le genre humain. A ce titre, le final du film, et même la simple amorce qui le préfigure, paraîtra extrêmement simpliste au vu de ce qui a précédé. Franchement dommage, car le film, très soigné, très beau, très bien interprété et thématiquement extrêmement riche, avait jusque ici été sans fausse note. La dernière demie heure, malgré le suspense né du procès intenté à Dmitri (et qui va par ailleurs mêler la justice étatique à cette affaire familiale symbolisant la nature humaine) pour l’assassinat de son père, sera à vrai dire assez pénible et laissera le spectateur sur une impression négative assez marquée. Hollywood a malheureusement fini par prendre le pas sur Dostoïevski.