Le Vampire a soif – Vernon Sewell
The Blood Beast Terror. 1968
Origine : Royaume-Uni
|
Des meurtres horribles sont commis sur une lande anglaise. Les victimes ont toutes été vidées d’une bonne partie de leur sang. Un vampire rôderait-il dans le coin, narguant l’inspecteur Quennell sous prétexte qu’il est interprété par Peter Cushing ? Pas du tout ! Il s’agit de Clare Mallinger (Wanda Ventham), la fille de l’entomologiste Carl Mallinger (Robert Flemyng), qui à la nuit venue se transforme en femme-phalène pour picoler le sang des jeunes hommes. Espérons que Quennell réussisse rapidement à coincer l’indigne homme de science et sa progéniture à demi monstrueuse.
Pas de vampire ici, donc, mais une femme-phalène. Créature qui pourrait venir s’ajouter à la liste déjà longue des humains animaux au cinéma, mais qui est un peu plus que ça, surtout à l’époque où fut tourné Le Vampire a soif. Déjà signalé depuis un siècle, le mothman, ou homme-phalène, est devenu à partir de 1966 et 1967 une tête d’affiche du bestiaire cryptozoologique. Durant ces deux années, divers témoignages font état de sa présence régulière en Virginie occidentale, qui aurait préfiguré une catastrophe, celle de l’écroulement d’un pont qui fit une bonne trentaine de victimes. C’est ainsi que les apparitions du mothman sont censées annoncer diverses catastrophes, dont bien entendu celle du 11 septembre 2001, puisqu’on l’aurait aperçu rôdant dans le coin le jour du drame. Très certainement inspirée par les évènements de Virginie, la femme-phalène de Vernon Sewell prend une allure qui colle bien aux descriptions données par les témoins, c’est à dire une créature ailée aux yeux rouges luminescents. En dehors de ça, la femme-phalène de Vernon Sewell ne va pas chercher aussi loin que ne le fait la légende du mothman. En fait, rien ne contribue à distinguer la femme-phalène de n’importe quelle autre créature cinématographique du même acabit, et même d’apparaître comme inférieure à la plupart d’entre elles. A tout hasard, comparons la à la femme-reptile vue en 1966 dans l’excellent film du même nom signé John Gilling pour le compte de la Hammer. La femme-serpent de Gilling se distinguait par sa classe orientale et par le talent avec lequel son concept s’imposait peu à peu dans le métrage. Ici, il n’y a pas une once de recherche sur la femme-phalène, créature lambda sans autre trait distinctif que son allure, d’ailleurs assez mal bricolée.
Tout le reste reprend peu ou prou les caractéristiques d’autres créatures du fantastique en général et de la Hammer en particulier. On songe à La Femme reptile, mais aussi à n’importe quel film de vampires, puisque le mode opératoire de notre monstre consiste à se repaître de sang humain une fois la nuit tombée (sans pour autant générer de nouveaux hommes-phalènes, malheureusement). Ses motivations évoquent également le mythe du vampire, mais d’une façon bien moins discrète : le côté érotique du monstre, largement suggéré dans les films de Terence Fisher, est ici nié au profit d’une approche plus directe et plus simpliste, qui se veut également proche de La Fiancée de Frankenstein (qui pour le coup n’est pas un Hammer mais un Universal). Clare Mallinger désire un homme-phalène pour partager sa vie, et en attendant elle s’en prend donc aux jeunes hommes qui ont retenu son attention durant la journée et qu’elle parvient à séduire en jouant aux femmes fatales. Dommage que ses interventions n’aient aucune portée sensuelle, ce qui la différencie de Dracula, et pas dans le bon sens. Dommage aussi que la solitude ressentie ne soit pas exprimée autrement que sous forme de simple libido, faisant passer à la trappe toute l’exigence romantique d’une créature de Frankenstein qui s’opposait ainsi à son créateur, lui-même tiraillé entre culpabilité et désir d’oublier. Clare a en effet le contrôle total sur son père Carl, lequel obéit sans trop de scrupules malgré un final tentant vaguement de renouer avec la figure du Victor Frankenstein de Mary Shelley. Ironie du sort, la scène la plus digne des belles heures du cinéma gothique repose sur un clin d’oeil, celui fait à Frankenstein lors d’une pièce de théâtre jouée au manoir des Mallinger. Pour peu, on pourrait croire que les décors carton-pâte et les acteurs excessifs de cette pièce ont été volontairement exagérés pour ne pas faire de l’ombre au film lui-même.
Niveau identité, la femme-phalène n’existe pas. Elle singe des modèles déjà existants sans que ses traumatismes latents ne soient approfondis. Et on ne se retrouve plus qu’avec un vulgaire monstre moche frappant de temps en temps, ne laissant place qu’à l’ennui et à la gêne de retrouver Peter Cushing voire Robert Flemyng perdus dans cette galère.
Puisque le monstre vedette est d’un creux abyssal, Sewell passe son temps à nous faire part de l’enquête menée par l’inspecteur Quennell (merci de ne pas tirer sur l’ambulance en se gaussant de ce nom culinaire). Et comme le spectateur sait déjà tout de l’affaire des meurtres, le bon inspecteur est toujours en retard d’un wagon. Bien que Cushing tente de reproduire la figure de Van Helsing qui l’a fait connaître, celle d’un homme froid et autoritaire, le scénario lui interdit d’aller trop loin. L’abnégation de Van Helsing venait en effet de la connaissance pré-existante des vampires, et de là découlait la nécessité d’imposer sans ménagement les directives nécessaires. Ici, puisque le film revêt des allures policières, Quennell ne sait pas ce qui l’attend et ne peut donc pas bousculer son monde. Il lui faudra attendre une énorme erreur des Mallinger pour les suspecter (leur valet défiguré au regard chafouin n’y suffisait pas) et entrer par effraction dans leur demeure, alors déjà désertée, pour y trouver les preuves formelles de leur implication dans les morts de la lande. C’est le début d’un grand n’importe quoi, et à ce stade, même la convenue enquête policière a du plomb dans l’aile. Tombe alors du ciel la fille de Quennell, qui doit partir en vacances mais que son papa emmène avec lui sur la trace des Mallinger. Pour quoi faire ? Parce qu’il n’a pas le temps de l’emmener à la gare, pardi ! Plus officieusement, parce qu’elle doit servir de caution victorienne, car il est bien connu que les (gentilles) demoiselles sont toujours les premières à risquer leur peau dans les films gothiques. Cela permet de motiver un peu leur protecteur (fiancé ou parents) en les impliquant émotionnellement. Si tant est que Quennell -dont l’attitude paternelle est un autre frein au jeu habituel de Cushing- soit réellement attaché à une fille qui passe son temps à minauder auprès d’un jeune chasseur de papillon né de la dernière pluie. Ce dernier provoquera d’ailleurs la colère solidaire de Clare Mallinger en même temps que le désespoir du spectateur, franchement dépité de voir un tel couple cherchant à s’apparenter au tandem Mina / Jonathan Harker.
Dire que le Le Vampire a soif est un Hammer du pauvre serait mentir. La pauvreté est subie, elle n’est pas sciemment provoquée. Le budget réduit ne saurait être une excuse pour défendre un bilan famélique, auquel on peut aussi ajouter une esthétique totalement fade, autre point sur lequel Vernon Sewell ne parvient pas à rivaliser face à la Hammer. Pas plus que son film ne rivaliserait avec la Amicus, ou avec n’importe quel film anglais conçu avec un tant soi peu d’inspiration. Peter Cushing le considérait d’ailleurs comme le pire film de sa filmographie. Réalisateur depuis les années 30, ce n’est pas sur le tard que Sewell parviendra à se faire un nom, lui qui ne fut plus employé par Anthony Hinds et Michael Carreras (patrons de la Hammer) depuis le début des années 50, ratant ainsi l’âge d’or du fantastique britannique. La même année, il signera La Maison ensorcelée avec un casting glorieux (Christopher Lee, Boris Karloff, Barbara Steele, Michael Gough), sans beaucoup plus de succès.