Le Septième sceau – Ingmar Bergman
Det sjunde inseglet. 1957Origine : Suède
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C’est avec une grande perplexité que j’écris cette critique, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, l’oeuvre d’Ingmar Bergman m’est presque totalement inconnue, chose plutôt génante au moment de se pencher sur Le Septième sceau, film que son propre auteur juge comme étant le plus personnel, celui qui lui tient le plus à coeur. Guère évident de trouver les significations profondes d’un film en large partie très symbolique. Tout juste puis-je dire avec mes maigres connaissances de Bergman que celui-ci, fils de pasteur lutherien, s’est basé sur les peintures religieuses aperçues dans son enfance lors des virées avec le paternel. Des peintures plutôt menaçantes, qui semblent ici avoir donné toute son identité stylistique au film. Autre grosse lacune m’ayant empêché de bien saisir toute la portée du Septième sceau : son sujet métaphysique faisant appel à de nombreuses références chrétiennes, qui vu mon athéisme forcené et mon inculture crasse dans le domaine biblique pensent de façon conséquente dans la balance de ma perplexité… Et pourtant, malgré ces gros handicaps, le film de Bergman ne m’est pas tout à fait paru aussi obscure qu’un David Lynch au coin du bois. A un niveau cinématographique et pictural, le film est effectivement de haut niveau, avec ces magnifiques décord suédois, ce ciel nuageux, ces champs dans lesquels Jof croit voir la Vierge et l’Enfant, et surtout, cette forêt finale, qui avec ces jeux d’ombres ancre encore davantage le film dans un climat surréaliste et même mythique inauguré dès la première scène, lorsque le Chevalier Antonius Block et son écuyer Jöns remettent les pieds sur le sol suédois, après d’éprouvantes croisades. Block rencontre aussitôt la mort, venue le chercher. Mais, désirant profiter d’un répit pour découvrir le sens de la vie et la véracité des promesses divines, Block va lui proposer une partie d’échec qui durera longtemps et qui, entre chaque tour, sera entrecoupée par la visite de la région, dévastée comme le reste de l’Europe par la peste noire. En chemin, Block et Jöns croisera la route d’un couple d’acteur, et de quelques autres personnes qui tenteront de survivre à ce qui semble apparaître comme l’Apocalypse, témoin cette citation biblique (au moins une que j’aurais compris !) dans l’introduction : “Et lorsque l’Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure. Et je vis les sept Anges qui se tiennent devant Dieu; on leur remit sept trompettes”. Voilà donc pour l’histoire, qui, bien plus que de la vie régulée par la religion des suédois du moyen-âge, s’intéresse aux questions métaphysiques et existentielles qui plus tard feront les choux gras des Monty Python (qui s’en sont visiblement inspiré pour la scène du ramassage des morts dans Sacré Graal, mais là je digresse vraiment trop, et je reviens à mes agneaux).
Block s’interrogera donc sur la religion, qui, si elle pose tout un tas de rites parfois cruels (la flagellation en référence à la Passion du Christ, l’execution par le feu des sorcières), ne répond aucunement aux interrogations l’ancien croisé, comme le montre par exemple ce prêtre reprochant à Block de poser trop de questions. Celui-ci cherchera donc des réponses ailleurs, dans l’analyse des comportements de ses amis. Son écuyer Jöns fait preuve d’un scepticisme à tout craint, et à ce titre, il est certainement le personnage qui m’est apparu comme le plus concret et le moins mystérieux, en bon athée hystérique que je suis. Beaucoup plus mystérieux est le couple d’acteurs Jof et Mia, sorte d’Adam et Eve à la naïveté béate et bucolique. Lui voit des apparitions divines, elle est une beauté (Bibi Andersson, l’une des actrices fétiches de Bergman, et d’ailleurs ce n’est pas la seule du casting à être fidèle au cinéaste) aimante et alors guère tentée par quoi que ce soit. Tout deux donnent l’image du bonheur en Eden, chose plutôt insolite dans un pays rongé par la peste, et par les travers bien humains (l’adultère de la femme du forgeron, qui plonge ce dernier dans le déséspoir). Mais justement, leur naïveté les empêche de constituer un élément de réponse à un Block désirant avoir une réponse concrète, et non une autre révélation allégorique. D’ailleurs, je salue au passage le raisonnement pertinent de Bergman, qui remet en doute non pas la parole divine, mais sa formulation, justement sujette à caution (alors que par exemple, dans Le Capital, Karl Marx est très concret !). Pour Block, dès lors, seule la Mort elle-même pourra apporter une vraie réponse à sa question. Mais elle n’est pas causante, et même pire : elle manie l’ironie de façon plutôt marquée, ce qui donne d’ailleurs au film un sens de l’humour assez particulier, réussissant ainsi à forger encore davantage l’identitée d’un film qui n’en manque pas. Le voyage de Block et de ses amis sera donc un parcours metaphysique aussi bien qu’existentiel, questionnant à la fois le libre arbitre humain et l’influence du divin.
J’ai beau ne pas avoir bien tout compris, j’ai cependant perçu assez de choses pour avouer que Le Septième sceau est un film (adapté paraît-il de ce qui devait être à l’origine n’être qu’une pièce de théâtre, ce que je n’ai pas particulièrement trouvé évident à la vision du métrage) unique, un vrai film que l’on peut taxer sans honte de “film d’auteur”, puisqu’il est construit entièrement sur les interrogations de son réalisateur. Ce qui aurait d’ailleurs très bien pu donner un film chiant comme la pluie (surtout que le film fut reconnu par les pontes cannois et par les représentants de la Nouvelle Vague, que j’exècre), mais qui se révèle en réalité fascinant, car Bergman réussit à rendre sa réflexion attrayante aussi bien par la structure de son film (le tout est très bien construit) qu’au travers de son histoire faisant plus que de marcher sur les terres du cinéma fantastique, auquel il donne une atmosphère originale reposant sur la culture suédoise du cinéaste (et on ne peut pas dire que le cinéma suédois soit de ceux qu’on rencontre à tous les coins de programmes télé).