Le Flingueur – Michael Winner
The Mechanic. 1972.Origine : États-Unis
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Arthur Bishop gagne sa vie en tant que tueur à gages. L’un de ses contrats l’amène à tuer une vieille connaissance, ancien ami de son père, et de se rapprocher inopinément de son fils à la faveur des obsèques du patriarche. D’abord suspicieux devant le comportement du jeune homme, Arthur décide de lui parler de son métier, envisageant d’en faire son apprenti. Une décision qui ne plaît guère à son commanditaire, lequel met un contrat sur sa tête.
Avant d’aboutir à ce film de Michael Winner mettant Charles Bronson en vedette, le scénario du Flingueur signé par Lewis John Carlino, également auteur de Seconds – L’Opération diabolique et des Frères siciliens, est longtemps passé de main en main sans trouver preneur. Pourtant, du beau monde s’y est intéressé. Kirk Douglas, Burt Lancaster ou encore George C. Scott se sont à un moment donné penchés sur le scénario. Il a même été question que Martin Ritt le réalise avec dans les rôles principaux Cliff Robertson et Jeff Bridges. Des difficultés qui trouvent leur explication par l’homosexualité revendiquée du personnage principal et la présence d’une scène de sexe dans les bras de son apprenti. On peut alors s’étonner de l’intérêt de Charles Bronson pour un tel rôle, lequel s’explique par sa lecture partielle du scénario. Et une fois que Michael Winner, avec lequel il venait de tourner Les Collines de la terreur, a accepté de réaliser le film, le scénario a été expurgé de toutes les allusions à l’homosexualité d’Arthur Bishop, au grand dam du scénariste, proprement dégoûté du traitement réservé à son script. A ce point de développement du film, le studio ne pouvait envisager le départ de sa vedette sous peine de jeter définitivement le projet aux oubliettes.
Vedette, Charles Bronson ne l’a pas toujours été. A quelques rares exceptions près, dont l’excellent et encore trop méconnu Mitraillette Kelly de Roger Corman, Charles Bronson était abonné aux seconds rôles. Et puis Sergio Leone et son Il était une fois dans l’Ouest sont passés par là. Grâce à ce personnage de vengeur quasi mutique, Charles Bronson a vu sa cote monter à Hollywood et des projets, certes encore modestes, pouvoir se monter sur son seul nom, suivant en cela une trajectoire similaire à celle de Clint Eastwood. Jamais plus à l’aise que lorsqu’il lui faut caractériser son personnage par les actes davantage que par les mots, Charles Bronson bénéficie d’une entame de 15 minutes dépourvues de tout dialogue durant lequel on suit son personnage dans ce qui constitue son quotidien. Arthur Bishop s’impose comme un orfèvre du crime. Un artisan consciencieux qui prend la peine de longuement étudier sa cible avant de procéder. Il ne cherche pas simplement l’efficacité mais également à masquer tous ses assassinats en accidents ou en morts naturelles. L’homme est prudent et n’aimerait pas attirer sur lui l’attention des forces de l’ordre. A ce titre, il réduit au maximum ses interactions avec les gens, s’interdisant toutes relations un tant soit peu poussées. Pour se détendre, il s’offre néanmoins les services d’une prostituée de luxe – jouée par l’incontournable Jill Ireland, la compagne de Charles Bronson – de laquelle il exige, outre ses services classiques, de lui rédiger et lui lire des lettres d’amour comme un simulacre d’une relation normale. On touche là les limites de la profession, ou tout du moins de la manière dont Arthur Bishop l’envisage. Certes, il habite dans une luxueuse villa, collectionne les toiles de maîtres (il se perd par moment dans la contemplation d’un tableau de Jérôme Bosch) et use d’un matériel de haute technologie, que ce soit pour son métier (les armes, explosifs et autres appareils photos et téléobjectifs) ou son loisir (chaîne hi-fi) mais demeure désespérément seul, illustrant en cela l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur ». Cette solitude explique son soudain attachement à Steve McKenna, bien plus qu’un hypothétique sentiment de culpabilité après avoir tué son père. En l’absence du sous-texte homosexuel du scénario, Michael Winner oriente son film vers une plus consensuelle relation père-fils au-dessus de laquelle ce bon vieux complexe d’œdipe ne plane jamais bien loin.
Ce choix, induit par un pragmatisme de bon aloi, pose néanmoins problème. Arthur Bishop n’étant pas homme à s’attacher – en témoigne le plaisir presque enfantin qu’il prend à manipuler Harry McKenna avant de le tuer – sa soif de transmettre paraît trop soudaine. Difficile de s’arracher à des décennies de solitude et d’habitudes, ce qu’il fait pourtant sans problème sur la seule foi de la parole du jeune homme et l’extrême détachement dont celui-ci fait preuve face à la détresse de sa petite amie au moment où celle-ci se taille les veines sous leurs yeux. Une scène forte, à la fois glauque et éclairante sur cette part d’humanité totalement absente chez des individus comme Arthur pour qui la mort ne représente rien d’autre que la promesse d’une importante somme d’argent. Arthur voit en l’impassibilité de Steve les bases pour en faire son égal alors qu’il n’est qu’un jeune homme imbu de lui-même. Cette erreur de jugement passe mal car toute la seconde partie du film repose sur ce frêle ressort scénaristique, lequel devait être bien plus solide en y adjoignant l’attirance sexuelle entre les deux hommes. Là, le coup du jeune loup et du vieux sage, outre le fait d’ôter toute singularité au film, dilue les enjeux entre passages obligés et scènes d’action. En fait, Michael Winner ne sait pas trop quoi faire de cette relation. L’idée d’un conflit des générations n’existe pas vraiment et il faut donc accepter la bêtise croissante d’Arthur Bishop à mesure que le récit se déroule. Lui, le professionnel d’une prudence à toute épreuve n’hésite pas à imposer un jeunot en dépit de toutes les règles en vigueur dans le milieu, quitte à se mettre son commanditaire à dos. D’ailleurs, tout le mystère entourant l’organisation disparaît en même temps que l’intelligence du protagoniste principal. Ainsi, sans raison valable, Michael Winner nous dévoile le commanditaire au détour d’une scène aussi grotesque que le choix de celui-ci de passer par pertes et profits des années de fructueuses collaborations avec Arthur Bishop en faveur d’un blanc-bec qui a tout à prouver, sa loyauté au premier chef. Le dernier acte en Sicile, pour spectaculaire qu’il soit, n’apporte aucune plus-value à l’intrigue. Et celle-ci de s’achever sur un match nul entre deux ego incapables du moindre discernement.
A force de réécritures, Le Flingueur a perdu tout son sel. En dépit de la frilosité de ses choix, Michael Winner parvient néanmoins à nous captiver lors d’une première partie d’une grande efficacité. Et puis tout se casse la figure dès l’intrusion du personnage de Steve McKenna dans la vie d’Arthur Bishop. A partir de là, le film ne se résume plus qu’à des scènes d’action et de fusillades répétitives, certes emballées avec métier mais au service du néant.