Le Fan – Tony Scott
The Fan. 1996Origine : États-Unis
|
Ah, le baseball ! Sport ultra populaire aux Etats-Unis, celui-ci éprouve bien des difficultés pour s’implanter en Europe où le faible niveau des équipes nationales (combien connaissent l’existence d’une équipe de France de baseball ?) n’a d’égale que le faible nombre de licenciés. Dès lors, et en dépit du concours de nombreuses vedettes (Kevin Costner dans Duo à trois, Jusqu’au bout du rêve et Pour l’amour du jeu ; Madonna et Tom Hanks dans Une équipe hors du commun), les films traitant de baseball ne font guère recette au-delà des frontières américaines. Sans doute le baseball paie t-il là des règles plutôt obscures pour le profane et un rendu peu enthousiasmant, au contraire du football américain dont le déroulement et les actions frontales s’avèrent bien plus cinégéniques que son homologue. Le Fan ne déroge pas à la règle, poussant le vice jusqu’à se planter sur son propre sol. Le ticket prétendument gagnant Robert De Niro – Wesley Snipes n’a pas suffi à attirer les foules, pas plus que la présence de Tony Scott derrière la caméra, pourtant coutumier de succès reposant sur du vent.
Gil Renard (Robert De Niro), VRP pour la coutellerie fondée par son père, est aux anges. Bobby Rayburn (Wesley Snipes), le meilleur joueur de baseball en activité a signé pour son club de cœur, les Giants. Il attend avec impatience le match d’ouverture de la saison lors duquel il pourra applaudir son idole en compagnie de son fils. Sauf que les aléas de la vie font tout pour lui gâcher son plaisir. Son patron le menace de licenciement si il ne parvient pas rapidement à redresser le chiffre de ses ventes. Et il a rendez-vous avec son plus gros client le jour même du match. Ecartelé entre sa passion pour le baseball et la raison, il emmène tout de même son fils au match et l’abandonne dans le stade le temps de filer à son rendez-vous. Et c’est le début de l’engrenage. Son client lui a fait faux bond, son ex-femme ne veut plus qu’il approche son fils et il est viré. Heureusement, il lui reste le baseball. Mais là non plus ça ne va pas fort, son idole fournissant des prestations indignes de son talent.
Le Fan nous immerge dans le quotidien d’un passionné de baseball jusqu’à la psychose. Gil Renard ne vit que pour son équipe des Giants, dont il possède le moindre produit dérivé. Divorcé, les seuls rapports qu’il entretient avec son jeune fils tournent uniquement autour de ce sport. On sent l’homme frustré, empêtré dans ses souvenirs d’enfance de joueur de baseball et de son unique exploit, et qui aimerait se réaliser à travers son enfant. C’est un peu Al Bundy et ses quatre touchdowns en un seul match mais en nettement moins drôle. Et le pauvre enfant de devoir constamment composer avec les bons conseils de son père, intransigeant lorsqu’il est question de baseball, beaucoup moins lorsqu’il est question de sa vie privée. D’ailleurs, peut-on véritablement parler de vie privée lorsqu’on sait que celle-ci tourne entièrement autour d’une équipe de baseball et de son joueur vedette ? Raisonnablement non. Gil est un obsessionnel qui à partir du jour où il perd son boulot consacre l’essentiel de ses journées à son équipe favorite. Il est de ces gens qui nouent un lien tellement intime avec l’objet de leur passion qu’ils croient le posséder.
Dans ce film, le baseball importe peu. Il aurait tout aussi bien pu être remplacé par le football américain ou le basket que cela n’aurait en rien modifié le cœur du récit. Le Fan se concentre sur le processus d’idolâtrie, un sujet qu’il n’est ma foi pas inintéressant de traiter. On a tous en tête des images de ces fans tellement obnubilés par leurs idoles qu’ils poussent le vice jusqu’à leur ressembler. En France, il y a par exemple le cas paroxystique de Johnny Hallyday qui génère une ribambelle de fans copies carbones de l’original et dont les médias se sont gargarisés lors des récents problèmes de santé de la star. Leur manière de prendre ça tellement à cœur, de se faire du mauvais sang pour l’objet de leur passion comme si c’était un membre de leur famille, voire parfois davantage que si il s’agissait d’un membre de leur famille, donne d’eux une image à la fois pathétique et effrayante. Après tout, et pour rester dans l’actualité récente, il ne serait pas étonnant que l’agression du docteur Delajoux, faisant suite à l’infection que Johnny Hallyday aurait peut-être contractée lorsque le médecin l’a opéré de son hernie, soit le fait de quelques fans illuminés. Poussée à l’extrême, l’idolâtrie peut confiner à la folie. Et c’est sur ce registre là que le film de Tony Scott choisit de jouer. Malheureusement, il le fait avec le peu de subtilité dont on le sait capable, qui n’a d’égale que le jeu outrancier d’un Robert De Niro en roue libre. Le film emprunte donc au thriller mais ne bascule réellement dans le genre qu’à mi-parcours, à l’instant même où Gil Renard se prend d’envie d’essayer l’un de ses couteaux sur un être humain. Ce meurtre, perpétré dans les volutes de fumée d’un hammam (ça fait plus classe !), se voit en outre agrémenté de multiples prises de vue de biais. La raison en est simple, il faut qu’on saisisse bien le basculement définitif de Gil dans la folie. Quand je vous disais que Tony Scott n’était pas très finaud ! Et puis cerise sur le pudding, il ose le filtre rouge, à la fois voile pudique jeté sur l’unique scène violente du film et évident symbole du sang versé. La suite n’est plus qu’un jeu de persécution, Gil essayant vaille que vaille d’exister aux yeux de la star, dont il partage quelques points communs. Gil comme Bobby sont deux hommes divorcés dont la sphère privée a implosé à cause de leur trop grande passion pour le baseball. La différence réside dans l’incapacité du premier à se reconstruire alors que le second commence petit à petit à y parvenir. Perdu dans sa folie, Gil se voit en ange gardien de Bobby Rayburn. Il estime même être à l’origine de son renouveau en tant que joueur et vit très mal le manque de considération de son idole à son égard. C’est d’ailleurs dans ce manque de considération qu’il faut rechercher la fêlure du personnage. Gil n’existe que pour et par le baseball. Sans ce sport, les relations avec son fils seraient inexistantes et lui-même éprouverait un grand vide dans sa vie. Là encore, il se rapproche de Bobby Rayburn à la différence, et de taille, que Gil ne bénéficie lui d’aucune reconnaissance. Ainsi, Le Fan repose sur les motivations peu claires d’un personnage totalement paumé dont on nous invite à suivre la déchéance. Or cette tentative d’humanisation du personnage tourne court. Tout est tellement dessiné à gros traits que le personnage peine à s’extirper de cette image de psychopathe lambda, figure archétypale d’un cinéma américain sans grande imagination. Toutefois, dans le face à face qui oppose le fan dérangé à la star imbue de sa personne, on ne peut s’empêcher de préférer le premier. Mais là, c’est davantage dû à Robert De Niro qui, même en très petite forme, parvient à voler la vedette au très effacé Wesley Snipes.
Partant d’un tel postulat, il n’y avait pas grand-chose à espérer de la part de Tony Scott. Et pourtant, il parvient encore à décevoir en réalisant un film franchement mou. Si sa mise en scène tape-à-l’œil est toujours fidèle au rendez-vous, il filme néanmoins avec beaucoup moins d’énergie qu’à l’accoutumée, comme si il se croyait encore dans le huis clos de son précédent film, USS Alabama. En fait, sans doute corollaire du plutôt bon accueil reçu par True Romance (l’effet Tarantino ?), on dirait que Tony Scott souhaite s’acheter une respectabilité. Cela passe par la direction d’acteurs oscarisés (Denzel Washington et Gene Hackman dans USS Alabama, Robert De Niro ici) dans des films qui jouent plus sur la psychologie que sur l’action. Or, Tony Scott a beau faire, le thriller psychologique n’est pas fait pour lui. Et pour peu que les acteurs engagés ne soient pas à la hauteur de leur réputation, comme c’est le cas ici, et c’est toute l’entreprise qui se casse la figure. Alors au sein d’une filmographie déjà pas très fameuse, Le Fan réussit l’exploit de se situer au bas de la liste.