Le Diable vient d’Akasava – Jess Franco
Der Teufel kam aus Akasava. 1971Origine : R.F.A. / Espagne
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Dans la contrée exotique d’Akasava, le professeur Forrester et son assistant découvrent la célèbre pierre philosophale, qui permet de changer le simple métal en or ! Autant dire que beaucoup de monde aimerait dérober leur découverte. D’ailleurs l’assistant de Forrester est à peine sorti de la grotte où il l’a trouvé qu’il se fait déjà tirer dessus. Il parvient jusqu’à la demeure de Forrester, lequel, bon gars, court appeler le docteur Andrew Thorrsen (Horst Tappert, futur Derrick). Celui-ci lui tend un piège, dérobe la pierre et laisse le minéralogiste pour disparu, voire mort. C’est pour éclaircir ce mystère que Londres envoie son agent secret Jane Morgan (Soledad Miranda), qui devra mener son enquête en se faisant passer pour une danseuse de charme. Thorrsen et sa femme vont devoir batailler dur pour ne pas se faire pincer, surtout que Jane n’est pas la seule sur le coup.
Ce Jess Franco pas piqué des hannetons marque une sérieuse rupture de style dans le cycle que traversait alors le réalisateur madrilène en compagnie de sa muse du moment, une Soledad Miranda dont il relançait la carrière. Leurs films en commun avaient jusqu’ici versés dans l’érotisme lyrique (les adaptations du Marquis de Sade), parfois accompagné d’une bonne dose de fantastique (Vampyros Lesbos). Difficile d’imaginer le tandem et ses habituels camarades (Howard Vernon, Paul Muller, Alberto Dalbes…) se livrer à autre chose. Et pourtant, Le Diable vient d’Akasava allait gaiement le réorienter dans une autre direction, celle du film d’espionnage à la James Bond, vaguement inspiré par un écrit de l’écrivain Edgar Wallace, et s’inscrivant donc (très) vaguement dans la lignée des krimis, cousins teutons des gialli italiens dont les codes furent puisés dans les écrits de Wallace. Maintenant, toutes ces influences s’effacent devant l’incroyable style d’un réalisateur visiblement heureux de mettre sa solennité gothique entre parenthèses. Avec Le Diable vient d’Akasava, il est en roue libre, l’improvisation semblant avoir été son maître-mot. Le scénario aussi bien que la mise en scène ou le montage très rapide semblent être dictés par la guillerette musique jazz psychédélique qui le recouvre les trois quarts du temps : les coups de théâtres improbables se succèdent les uns aux autres dans un torrent de zooms et de dézooms anarchiques, pouvant aussi bien être flous, cadrer à côté du sujet, se stopper en pleine course sans émouvoir le réalisateur plus que cela. Confuse (et c’est un euphémisme), l’histoire ne se repose jamais entre les allées et venues à Akasava et Londres, et l’on restera bouche bée devant certaines révélations pour le moins audacieuses : sur le point de livrer un combat à mort, Jane et le soit-disant neveu de Forrester (Fred Williams) venu rechercher son oncle se rendent compte qu’ils travaillent en fait pour le même camp ! Et les deux espions de se gondoler comme des vénitiens. Ils s’amusent en fait comme des petits fous, tardant à se mettre au travail (les mauvaises langues diront qu’ils imitent le réalisateur) et préférant de loin se livrer à leurs activités favorites : la drague pour lui, les danses lascives pour elle. Soledad Miranda rompt avec l’image de perverse torturée que lui avaient collé ses précédents films avec Franco. Elle se montre ici libérée, n’ayant pas peur de se dévêtir par simple plaisir de tourner des scènes de danses enfiévrées dans des tenues improbables (une robe faite entièrement de lanières). Forcément, l’agent secret qu’elle incarne est moyennement crédible (que dirait-on de James Bond si il se baladait la bite à l’air ?), mais au moins elle n’est pas la seule, puisque dans son voisinage se trouve aussi l’agent spécial italien. Et là attention ! Le 007 latin est incarné par Jess Franco lui-même. Hyper glamour avec ses vêtements Tati, son embonpoint, sa peau grasse, ses cheveux sales et son bouc qui pousse de travers, il tente sa chance auprès de l’espionne anglaise, pour se prendre un vent monumental qui, croit-on, le fera passer du côté des méchants. Lorsqu’il dérobe le cadavre d’un homme de main de Thorrsen assassiné par Jane, on le croit prêt à faire un scandale. Même pas : il le jette à l’eau. Jane aura paniqué pour rien, Franco aura fait une scène dans le vide. Quand aux méchants du film, ils répondent tout autant à ces critères absurdes : le docteur Thorssen de Horst Tappert est l’antithèse exacte des ennemis diaboliques de James Bond qui veulent conquérir le monde. Avec sa clinique minimaliste (la salle d’opération a l’air d’être installée dans son salon !), ses hommes de main cinglés (Howard Vernon et sa mine de ravi de la crèche) et sa femme fatale qui le fait cocu (Ewa Strömberg), le docteur n’est vraiment pas le genre de type à qui les services secrets européens envoient habituellement leurs agents. Il n’a pas non plus le profil d’un trafiquant de pierre philosophale. Mais à Akasava, lieu où le Diable est censé être né (!), tout est possible, même le surnaturel : les capacités de la fameuse pierre comprennent aussi la zombification de quiconque regarde ses lueurs avec un peu trop d’attention. Du coup, la clinique de Thorssen abrite aussi des zombies rouges comme des écrevisses !
Il a souvent été dit que les films de Jess Franco étaient construits comme des jams de jazz, avec leur caractère fou et imprévisible. Le Diable d’Akasava en est une parfaite illustration. Son style n’est clairement pas fait pour plaire au plus grand nombre, et en fin de compte seuls les adeptes de Franco pourront savourer ce grand moment de bizarrerie psychédélique. Tout le monde pourra en revanche regretter qu’il s’agisse du dernier film tourné par Soledad Miranda, qui mourut peu avant la fin du tournage dans un accident de voiture alors qu’elle était en route pour signer un contrat censé faire définitivement décoller sa carrière…