Le Boss – Fernando Di Leo
Il Boss. 1973Origine : Italie
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Homme de main de Don Giuseppe Daniello, lui-même principal lieutenant de Don Corrasco, Nick Lanzetta profite que la famille ennemie soit réunie dans un cinéma pour la décimer à coups de lance-grenade. En guise de représailles, Cocchi, l’héritier du défunt Don Attardi, ordonne le kidnapping de la fille de Don Daniello et fait savoir qu’il ne la libérera qu’en échange de Don Daniello lui-même. Don Carrasco interdit à ce dernier de répondre au chantage. Il juge que Cocchi ne saura résister à l’appel de l’argent, et il charge donc Lanzetta de négocier l’affaire. Mais Don Corrasco n’entend pas se faire arnaquer pour une histoire de gamine : dans le dos de Daniello, il charge Lanzetta de se lancer dans de grandes offensives et de déclencher la guerre des gangs. La suprématie sur la ville de Palerme est en jeu.
Après Milan Calibre 9 et La Mala ordina, Fernando Di Leo poursuit son exploration du monde de la mafia avec Le Boss, point final d’une trilogie désormais connue comme étant “la trilogie du milieu”. Pour boucler la boucle, Di Leo délaisse un peu la violence déchaînée qui caractérisait les deux précédents volets et abandonne totalement l’humour véhiculé par le personnage de Mario Adorf dans La Mala ordina. Le Boss se concentre principalement sur la démystification de la mafia, élément déjà présent dans les deux films précédents mais qui occupe ici la quasi intégralité du métrage. A l’opposé de la vision qu’en donna Coppola l’année précédente dans Le Parrain, les organisations du crime n’ont ici rien d’attractives. La pauvreté est bien le cadet de leurs soucis (ils ne cachent d’ailleurs pas leur mépris pour les revendications politiques, tout de suite assimilées à du maoïsme estudiantin). Cachée sous un code de l’honneur utilisé à des fins manipulatrices, la “famille” de Don Carrasco (Richard Conte) ne montre aucun respect à qui que se soit. Les individus en son sein ne peuvent se faire confiance, et leurs ententes officiellement basées sur le respect de la hiérarchie ne sont en réalité que des convergences d’intérêts très limitées dans le temps. Quand aux ennemis du vieux Don Carrasco, ils ne se donnent même pas la peine d’apparaître respectables. Don Attardi et ses proches se font ainsi massacrer pendant qu’ils échangeaient des blagues salaces devant un film pornographique. Après que sa “famille” ait été décimée, Cocchi (Pier Paolo Capponi) fait mine d’être furieux et de respecter le chagrin de l’incompétent frère Attardi pour mieux éclipser celui-ci et provoquer une future guerre des gangs en kidnappant et en violant la fille d’un de ses ennemis (Antonia Santilli), également filleule de Don Carrasco. Le rapt de Rina n’est qu’un vague prétexte duquel personne ne se soucie, ni d’un côté ni de l’autre : malgré la compassion affichée devant Don Daniello, Don Carrasco se moque éperdument de la fille, qui ne constitue qu’une monnaie d’échange. Quand à Cocchi et ses hommes, leur attitude envers leur captive, violée dans la bonne humeur, dément à la fois leur chagrin affiché après la mort d’Attardi et le statut de gentlemen parfois attribué à la mafia. Di Leo va même plus loin : la victime elle-même n’est pas une personnalité attachante : droguée, alcoolique, nymphomane, la jeune femme se plait dans cette situation et n’hésite pas à coucher avec plusieurs hommes en même temps. L’annonce du décès de son père ne la touche même pas. Aucun des personnages du Boss n’inspire la sympathie, pas même Lanzetta (Henry Silva), son personnage principal. Homme froid, brutal et calculateur (Silva est bien à sa place), il n’attache aucune importance à ses devoirs envers ses employeurs. Comme tous les autres, et comme Cocchi l’a fait dans le clan rival, il attend activement son heure pour grimper les échelons de son organisation. Son présent statut de tueur lui confère l’avantage de savoir manier les armes en grand professionnel. Il ne s’entiche même pas de la fille Daniello, qu’il libère et qui se soumet volontairement à lui malgré le violent manque d’intérêt qu’il lui porte.
Les rouages de ces sociétés mafieuses ne reposent donc que sur une chose : la trahison. Le Boss est un enchaînement d’alliances froidement trahies. Aucune des alliances existantes en début de film ne tient encore au dénouement, et bien rares sont les personnages à être encore en vie. Cette guerre des gangs vire peu à peu à l’anarchie, mais Di Leo se garde bien d’insister sur des règlements de compte qui auraient pu détourner l’attention des spectateurs de la mécanique vicieuse faisant tourner les familles mafieuses. Pourtant, la violence reste bel et bien présente. Mais une violence sèche et brutale, des explosions de violence filmées sans complaisance, à l’image de l’attaque au lance-grenade qui ouvre le film. La mafia n’a clairement rien de romantique, et elle est ici présentée sous l’angle du réalisme. Di Leo aborde même discrètement le sujet de la corruption politique. Si la mafia peut à ce point imposer sa loi, elle le doit au contrôle qu’elle exerce sur certains membres influents de la sphère politique, tels des députés placés au parlement avec l’aide de la mafia elle-même, qui raisonne en terme de circonscriptions. Le rôle des indicateurs s’en trouve également inversé : ici, ce sont les flics qui donnent des renseignements en échange de quelques avantages. Le commissaire Torri (Gianni Garko) est ainsi le contact de la famille Carrasco. Ce qui ne le préserve pas des trahisons. Jusque là, cette dénonciation de la corruption n’a rien d’exceptionnel. Par contre, Di Leo donne un véritable rôle à son personnage, non pas en le faisant interagir sur l’intrigue, mais en le faisant exprimer des conceptions toutes particulières : pour Torri, collaborer avec la mafia n’est pas uniquement une question d’avantage personnel. Il juge que la société est dispersée, et que seuls les chefs mafieux peuvent préserver l’ordre. Il représente un pouvoir officiel ayant totalement déposé les armes devant une situation qu’il ne parvenait plus à gérer. Torri s’est ainsi allié avec le nouvel ordre, celui de la mafia, trahissant lui aussi son véritable employeur. Les institutions au sens large ont suivi le même chemin ou se sont résignées, à l’image de ce préfet ironisant sur ses insuccès et incapable de neutraliser Torri, pourtant identifié comme traître. Bloqué par sa propre hiérarchie contrôlée par la mafia, il a les mains liées. Quand aux avocats, ils ne servent plus qu’à faire circuler les informations entre Rome et Palerme, et officialisent les nouveaux “parrains”…
Autrement plus sérieux que les polars italiens habituels, généralement considérés comme d’inoffensifs spectacles, Le Boss dérangea la censure, qui imposa à Di Leo le retrait d’une scène montrant un représentant de l’État se faire remettre un pot de vin par la mafia. En titillant ainsi la susceptibilité des autorités, Di Leo prouva le bien-fondé de son film, conclusion acerbe d’une trilogie du milieu qui aura illustré toutes les facettes du polar à l’italienne.