La Vie de Brian – Terry Jones
Life of Brian. 1979Origine : Royaume-Uni
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Face au succès de Sacré Graal, les membres du Monty Python se trouvèrent envahis par une seule question : “Quel sera votre prochain film ?”. N’ayant aucun projet dans ce sens, ils ne surent que répondre. Ce fut Eric Idle qui improvisa une réponse dont l’ironie allait se muer peu de temps après en prédiction : la vie de Jésus. Ayant déjà brocardé les légendes arthuriennes, les autres membres de la troupe furent unanimes pour cette fois se payer la religion. Mais pas n’importe comment : si les organisations religieuses et les diverses tendances d’interprétations théologiques tendaient et avaient toujours tendu le bâton pour se faire battre, Eric Idle, John Cleese, Michael Palin, Terry Jones, Terry Gilliam et Graham Chapman ne trouvèrent rien de spécialement drôle dans le message de Jésus. Ainsi décidèrent-ils de concentrer leur scénario non sur la parole divine de La Bible mais sur les adorateurs de cette parole et sur les contradictions qui les divisent. Un choix qui peut être regretté, tant certains épisodes de la Bible peuvent prêter à rire (il n’y a qu’à lire Pierre Desproges pour s’en rendre compte), mais qui avait déjà tout pour faire grincer des dents. Ce fut le cas lors du financement du film : les premiers investisseurs firent faux bond à la dernière minute pour être remplacés par l’ex Beatles George Harrison (pouvant être aperçu une fraction de seconde dans une scène de foule), grand fan et ami des Pythons qui marqua le coup en créant sa propre société de production cinématographique, Handmade Films. Ce le fut encore lors de la sortie puisque plusieurs pays l’interdirent purement et simplement (Norvège, Irlande), et ça l’est toujours 30 ans plus tard puisque certains groupes religieux, certains pays ou certaines villes condamnent toujours sa diffusion. Mais concrètement, les fortes résistances initiales à La Vie de Brian tendent à se résumer à quelques intégristes sur leurs grands chevaux, et le film est même parfois diffusé à l’initiative de responsables religieux (à petite échelle bien sûr, le Vatican se refusant encore paradoxalement à égayer les cérémonies officielles). Plus discutables sont cependant certaines coupes pratiquées par les Pythons eux-mêmes dans le montage d’origine, qui contenait de grosses piques à l’encontre des plus ardents sionistes, assimilés à Hitler à travers le personnage d’Otto, chef à petite moustache d’un groupe de libération représenté par des casques à pointe et par une croix de David modifiée pour ressembler à une svastika. Un sujet très polémique, qui aurait certainement fait scandale par les appréciations qui l’auraient accueilli, mais qui aurait encore amplifié le courage d’opinion dont les Pythons firent preuve rien que pour le film tel qu’il est au final. De ces insinuations ne reste plus qu’une seule scène en fin de métrage, ce qui est beaucoup trop peu pour faire naître une polémique sur le sujet concerné. Le prétexte invoqué pour cette machine arrière est que ces scènes cassaient le rythme du film et faisaient sortir le spectateur de la satire sur le christianisme. Guère convaincant, surtout que ce qui se retrouve au sein de La Vie de Brian -et qui en fait un excellent film- aurait très bien pu intégrer cet apport qui se serait situé dans la continuité de la satire sur les organisations religieuses… et politiques.
Car si l’on en retient essentiellement l’aspect religieux, certainement plus proche du public occidental, le second film du Monty Python (profitons-en pour dire qu’officiellement les six larrons ne forment pas les Monty Pythons mais le Monty Python) va pourtant au-delà et dresse une comparaison plutôt bien vue entre les clivages divisant les Églises et ceux divisant les mouvements gauchistes de libérations nationales. Le Front du Peuple de Judée (celui dans lequel entre Brian), Le Front du Peuple Judéen, le Front Populaire du Peuple Judéen et le Front Populaire de Judée (ce dernier se résumant à une seule personne insultée de “scissionniste” par le Front du Peuple de Judée) font ainsi écho à la prolifération de groupuscules gauchistes dans les années 70 au Royaume-Uni. Toujours voire encore plus valable après l’implosion des Partis Communistes traditionnels (dont les adhérents les plus orthodoxes se dispersent en une infinité de groupuscules), ce constat effectué à grand renfort de dérision sur des divergences fumeuses est non seulement une géniale idée comique mais aussi une bonne leçon à recevoir pour tous ces Partis bien intentionnés qui à force de lutter les uns contre les autres sur un niveau théorique en viennent à perdre de vue leurs objectifs initiaux et à perdre temps et énergie dans des combats menés contre les mauvais adversaires. Bref quand les “libérateurs” ne se battent pas avec leurs voisins de chapelles, ils restent assis à débattre stérilement sur la tactique à utiliser dans la lutte contre le vrai ennemi, lequel apparaît comme un géant à peine dérangé par toutes ces nuées de moustiques dont la plus grande exaction est de réussir à tagguer un mur (et encore, avec l’aide d’un garde idiot) ou de revendiquer une lâche victoire aux jeux du cirque, le condamné triomphant par la fuite jusqu’à l’arrêt cardiaque de son poursuivant gladiateur. En définitive, la seule chose que parviennent à faire ces rebelles est de s’imposer individuellement en martyres. Le but ultime des divers “Fronts” se limite à cela : l’opposition aux oppresseurs les poussent à des positions de principes symbolisées à titre d’exemple par l’attribution du droit aux hommes d’avoir des enfants (juste pour avoir un droit de plus, quand bien même cela est impossible !). Mais la finalité est depuis longtemps perdue, surtout que dans le même temps l’oppresseur a développé la civilisation au point que certains rebelles se rendent compte un beau jour qu’en réalité il n’y a plus lieu de faire une opposition… si ce n’est contre le groupuscule voisin.
Le même scissionnisme se retrouve bien entendu chez les croyants, sauf que cette fois Brian n’est plus un spectateur constatant l’ineptie de ses amis, mais le sujet d’idôlaterie de personnages encore moins réfléchis que les leaders des Fronts de libération. Si ces derniers ont oublié les origines de leurs luttes, ces disciples de Brian fondent leur vénération sur des aberrations prenant pour point de départ un discours improvisé par Brian afin de se faire passer pour un prédicateur et échapper aux gardes romains. A noter que ce discours se termine sans véritable fin, ce qui provoqua justement le désir d’en apprendre plus de la part de ses auditeurs, désir qui devient très vite hors de contrôle. En fin de compte, le peuple est davantage en attente d’histoires le concernant que de prophéties… Ce qui explique en partie pourquoi la Bible est devenue un best-seller : la mythologie qu’il développe en appelle au peuple et le fait participer à une mythologie qui lui est propre, à séparer de la culture romaine importée en territoire de Judée. Mais à la base, Brian n’a pas cette volonté de rassembler. Il est la victime d’un malentendu, comme quand bébé il fut assimilé à tort par les Rois mages au messie. En fait, pas plus qu’il n’est la représentation de Jésus (ce qui est prouvé par l’existence de deux scènes mettant en scène le vrai Christ, dont une où sa parole est déjà mal perçue : “Blessed be the cheese makers”) Brian n’est un personnage comique. Le rire se fait à ses dépens par les situations dans laquelle son statut forcé de messie le plonge par la faute de ses collègues politiques ou de ses adorateurs religieux qui lui valent également la persécution des romains. A partir de son speech improvisé, ses moindres paroles et ses moindres gestes sont disséquées par ses “fans”, et il est lui-même physiquement traqué par ses poursuivants, qui attendent de lui des miracles et des paroles propices à les faire s’impliquer dans une cause ou une autre. C’est par ce biais que les principaux “disciples” en viennent à prendre tout et n’importe quoi pour un signe : les partisans de la chaussure qui tirent les enseignements d’une chaussure perdue par le prophète et les autres qui tirent les leurs d’une gourde achetée par obligation chez un vendeur de rue. Et à côté de cela, personne n’écoute ce que Brian a à dire, jugeant qu’il ne peut s’agir que d’une métaphore. La moindre action de Brian est sujette aux polémiques d’interprétations, et les scissions religieuses se font à partir de là, aussi vite que le Front du Peuple de Judée se met à rejeter le Front du Peuple Judéen. Brian est le dindon de la farce : il se retrouve malgré lui être l’origine des luttes fratricides et des lynchages d’hérétiques. En une heure trente, La Vie de Brian résume 2000 ans de christianisme, ses aléas et ses conflits internes. Le bilan des fidèles ayant perpétué les enseignements divins sur la base de choses discutables ou d’objets en tous genre (les icônes catholiques sont les premières visées) n’en apparaît que comme plus ridicule.
Bien plus profond que Sacré Graal, le film témoigne d’une professionnalisation du Monty Python en terme d’écriture cinématographique. N’étant pas une succession de sketchs reliés au petit bonheur la chance et disposant d’un scénario solide et d’une mise en scène plutôt statique (Gilliam ayant accepté de déléguer entièrement la réalisation à son collègue) quoique bénéficiant des décors du Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli, le film de Terry Jones se montre donc moins “fou” que ne l’était leur précédente tentative. Si il est plus intelligent, il est aussi moins drôle, tout en restant malgré tout à des lieues des comédies “classiques”. Il peut en outre compter sur les talents d’acteurs (et de chanteurs) de ses acteurs ainsi que sur quelques fulgurances non-sensiques typiquement pythonesques prenant la forme d’un rapide intermède totalement hors-sujet à bord d’un vaisseau spatial pris dans une guerre interstellaire, d’une lapidation sauvage ou encore -et surtout- de cette scène impliquant les gardes de Pilate se retenant de rire à l’évocation du nom du romain “Biggus Dickus” par un Michael Palin en grande forme (une scène aux rires non simulés, paraît-il). Pour ma part, La Vie de Brian est effectivement moins drôle que Sacré Graal. Mais le Monty Python reste définitivement le successeur du grand Peter Sellers dans les hautes sphères de la comédie britannique.