CinémaPolar

La Proie – Éric Valette

proie

La Proie. 2011

Origine : France 
Genre : Polar 
Réalisation : Éric Valette 
Avec : Albert Dupontel, Alice Taglioni, Sergi López, Stéphane Debac…

Franck Adrien est un braqueur de banque qui croupit en prison. Mis dos au mur par son ancien partenaire qui veut lui faire avouer (à coups de tournevis dans l’oreille) où il a planqué l’argent de leur casse, il choisi de faire confiance à Jean-Louis Maurel, son codétenu, un beauf pieux, qu’il pense accusé à tort de pédophilie. Mal lui en a pris, car l’individu se révèle être un psychopathe manipulateur…

Le pitch de La Proie est vaguement basé sur une histoire vraie (à savoir l’affaire Fourniret, qui avait réussi à dérober le magot du gang des postiches en abusant de la confiance de l’un d’eux) mais on s’en fout, car au final le film assume totalement son coté “de fiction” (à tel point qu’il y a une séquence de nuit américaine !) et c’est plutôt très joli à voir !

Mais cette affaire d’histoire vraie est tout de même intéressante, car malgré les nombreuses séquences d’actions “over the top” et un scénario qui abuse parfois trop des rebondissements pour être totalement réaliste, tout le film se déroule dans un cadre et dans une ambiance qui ont fait preuve d’un souci de véracité très marqué. Cela se sent notamment dans l’utilisation des décors, ou des costumes: ne soyez pas surpris si vous retrouvez les acteurs vêtus des mêmes polos bleus que ceux de notre gendarmerie nationale et arpenter les allées d’une petite banlieue pavillonnaire des plus franchouillardes. Les amateurs d’exotisme à l’américaine seront déçus. Et si ces éléments très familiers n’évoqueront rien d’autre que des cochonneries type Julie Lescaut aux paumés qui regardent France 2 le dimanche après-midi, moi ça me rappelle plutôt le souci de réalisme d’un Jean-Patrick Manchette. La référence est plus conforme au film et après tout lui aussi faisait vivre des fusillades dantesques à ses héros increvables dans un milieu souvent rural et plutôt ordinaire (si si, relisez voir Le Petit bleu de la côte ouest ou La Position du tireur couché…).
Bref, Valette assume de faire son film dans nos campagnes et en ce sens, il se situe dans la droite lignée des plus illustres polars français des années 70.
Enfin en tout cas, on ne verra pas des Swat débarquer dans la Creuse. Mais cela n’empêche en rien ses séquences d’action d’être d’une efficacité sans faille, preuve qu’il n’est pas besoin d’une Lamborghini pour faire une course-poursuite. Une paire de basket et un TER PACA ça suffit, et ça marche même mieux finalement !

Loin des effets pyrotechniques et du m’as-tu-vu, les scènes d’action de La Proie tirent ainsi habilement parti de notre quotidien. Cela coûte moins cher pour un résultat finalement bien plus intense. Éric Valette fait ici montre d’une efficacité dans sa gestion de l’espace qui n’a d’égale que sa générosité en matière de courses-poursuites et de fusillades : une chambre d’hôtel et sa salle de bain lui suffisent pour créer une séquence d’échange de tirs très intense impliquant une escouade de police, une fille en dessous affriolants et un truand corse adepte du pistolet mitrailleur ! Tandis qu’une sortie de voie rapide lui permet de créer une poursuite à pied échevelée et dangereuse, se terminant sur un carambolage assez effrayant.
Cela évoque un peu le parti-pris de films comme La Mémoire dans la peau et ses poursuites en taxi ou en Mini Cooper. Mais si sur le plan de l’efficacité et du réalisme l’objectif est le même, les moyens ne sont pas identiques, et nous sommes ici dans une dimension à la “débrouillardise de série B” qui fait particulièrement illusion à l’écran et qui s’accorde tout à fait avec les prétentions d’actioner réaliste du film.

Il y a un autre point commun avec les films de la trilogie Jason Bourne, c’est le scénario qui prend également la forme d’une course-poursuite sans fin mêlant plein de protagonistes de manière assez maligne. Il en ressort un rythme où les temps mort brillent par leur absence totale. Les scènes d’actions s’enchaînent en effet de manière effrénée, et l’ensemble est assez usant pour le spectateur qui va de frayeur en frayeur et ne sait finalement jamais si la poursuite à laquelle il assiste n’aboutira pas sur une autre poursuite encore plus intense. Cet enchaînement vient toutefois heurter les volontés de vraisemblance. Mais je l’ai dit, nous sommes dans une œuvre de fiction qui assume pleinement son statut, et qui nécessite donc d’un peu de connivence de la part du spectateur. Mais si des films américains parviennent à faire fonctionner la suspension d’incrédulité concernant leurs héros qui multiplient les actes de bravoures tout en souffrant d’une hémorragie interne et avec un bébé à la main, pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas ici ?
D’autant qu’au niveau strictement visuel il n’y a finalement rien à redire, même sur la vraisemblance des sauts qui ont étés les plus dangereux pour les cascadeurs. Les performances physiques et l’implication d’Albert Dupontel n’y sont d’ailleurs pas pour rien, l’acteur ayant tenu à effectuer lui même une partie de ses cascades, allant même jusqu’à occasionner quelques belles frayeurs au responsable des cascades (il suffit d’aller voir les quelques bouts de making of qui traînent dans les vidéos promotionnelles sur le net pour s’en rendre compte !).

Dupontel livre en tout cas une performance d’acteur des plus détonantes. Tout en muscles, l’acteur parvient à être d’une crédibilité sans failles, en plus de livrer un jeu tout en nuances, parfait reflet de l’ambiguïté de son personnage.
D’ailleurs, de manière assez habile, le film reste très ambigu sur la véritable identité de la proie du titre. Et dans chaque scène, les rôles semblent redistribués. Il y a certes la fille d’Adrien qui est clairement la proie de Maurel. Mais ce dernier n’est pas que chasseur et se retrouve pourchassé par Adrien, qui sera lui même dans la ligne de mire de Maurel, en plus d’être la proie des forces de police. Ces derniers seront enfin mis en joue tour à tour par Adrien et Maurel !
Chasseur ou proie, les rôles se confondent, et cela permet aux acteurs de faire pleinement étalage de tous leurs talents. Et de Alice Taglioni à l’époustouflant Stéphane Debac (tour à tour ridicule et glaçant d’effroi !) il n’y a aucune faute de goût dans le casting.
Il faut dire que le cinéma de Éric Valette est très riche en personnages intéressants car ambigus. Je pense évidemment à la flic forte et fragile et au tueur très strict sur son code d’honneur de l’excellent Une affaire d’État mais il ne faut pas non plus oublier la galerie de personnalités très diverses et très marquées que nous présentait Maléfique. Ici on aura droit à une flopée de seconds rôles tous aussi passionnants les uns que les autres. Des personnages aux motivations ou au statut trouble, et à la psychologie fouillée. Ce qui les rend d’autant plus intéressants et donc attachants.
La Proie peut ainsi se payer le luxe de jouer la carte de l’émotion, tribulations et morts des personnages ne se feront pas dans l’indifférence pour le spectateur. C’en est même parfois assez violent !

D’autant plus violent que tout ceci est filmé de manière très sèche, avec un recours impressionnant à une violence bien graphique et qui fait mal (voir le très sanglant affrontement dans la prison). Les cascades bénéficient du savoir faire de Éric Valette, qui privilégie le mouvement de ses personnages au mouvement des caméras et qui montre qu’il sait choisir un angle de caméra pour tirer tout l’impact voulu d’un plan d’action sans pour autant que le spectateur perde le fil.
La mise en scène trouve ainsi le ton juste tout au long des scènes et tend vers une efficacité maximum. On notera à ce propos une utilisation particulièrement judicieuse de la musique, qui semble véritablement faire corps avec les images. Le réalisateur retrouve pour ce film le musicien Noko, qui avait déjà composé le score d’Une affaire d’État et semble utiliser sa partition avec encore plus de justesse que pour son précédent long-métrage (auquel on pouvait reprocher une musique parfois trop présente, quand bien même le thème composé par Noko était assez splendide). Cette quasi-symbiose étant due au fait que la musique préexiste au film : le compositeur commence à travailler à partir du scénario, ce qui permet au réalisateur de penser ses scènes en ayant déjà la musique en tête, et de pouvoir se l’imaginer lors du tournage. Une chose somme toute logique tant la musique fait partie intégrante des procédés de mise en scène, au même titre que le cadrage ou que l’éclairage. Ce n’est donc que justice qu’elle soit également présente, même qu’en pensée, sur le tournage.

Au final, La Proie s’avère être, une fois n’est pas coutume, un excellent film français. Éric Valette confirme tout le bien que je pense de lui depuis son premier long-métrage et apporte la preuve qu’il est possible de faire du cinéma de genre de très bonne qualité en France, même avec peu de moyens. Et devant tant de qualité, on fermera volontiers les yeux sur une intrigue qui rappelle parfois un peu trop les ressorts narratifs des films d’action américains, et notamment du Fugitif, d’autant plus qu’à mon sens le film de Valette surpasse largement la fuite éperdue de Harrison Ford tant par ses scènes d’action, véritablement marquantes, que par son scénario, bien plus ambigu qu’il n’y paraît !
Bref, à défaut d’être original, La Proie est beau et efficace, alors pourquoi s’en priver ?

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