La Main qui tue – Rodman Flender
Idle Hands. 1999Origine : Etats-Unis
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Incurable glandeur devant l’éternel, Anton ne se rend même plus à l’école, ne sortant de chez lui que lorsqu’il vient à manquer de marijuana. Heureusement pour lui, il n’a qu’à traverser la rue pour se ravitailler, son ami Pnub possédant toujours un peu d’herbe en rab. Anton partage ainsi sa vie entre fumettes, écoutes de musique au casque, télévision et sandwichs faits à la va-vite. Il se soucie peu des autres, ses parents au premier chef, dont il ne s’enquiert guère de l’absence jusqu’à ce qu’il découvre leurs cadavres cachés dans le salon. C’est le moment que choisissent ses deux potes Pnub et Mike pour débarquer à l’improviste. Mal leur en prend puisqu’ils se font assassiner par leur ami, qui découvre par la même occasion que non seulement sa main droite ne lui répond plus mais qu’en plus celle-ci est prise de folie homicide. Et après ses parents et ses deux amis, sa main assassine aimerait volontiers mettre fin aux jours de Molly, la jolie voisine dont Anton est amoureux depuis qu’il est tout petit.
La Main qui tue… Derrière ce titre français un brin ridicule, et qui pourtant résume parfaitement la tonalité du film, se cache un représentant décomplexé de la nouvelle vague de films d’horreur pour adolescents initiée par le succès de Scream. A sa tête, on trouve le bienheureux Rodman Flender, ex-membre de l’écurie Corman pour lequel il a réalisé Unborn et Sens interdits, et dont la carrière, hormis la parenthèse Leprechaun 2, se résumait depuis lors à des épisodes de diverses séries télévisées. Récupérant le bébé après que quelques autres réalisateurs aient travaillé sur le projet, il bénéficie pour la première fois d’un budget confortable et de l’appui d’un gros studio. Et son bonheur ne s’arrête pas là puisqu’il jouit également d’une totale liberté de manœuvre. Trop heureuse de produire un film d’horreur, la Columbia se garde bien de lui mettre des bâtons dans les roues. C’est même elle qui a enjoint les scénaristes à orienter davantage leur récit vers l’horreur. Toutefois, comme je l’ai évoqué plus avant, La Main qui tue n’est pas vraiment du genre à flanquer une bonne “pétoche” aux spectateurs. Et lorsqu’il s’y emploie, le film échoue dans les grandes largeurs, à la fois par manque de crédibilité et par un excès d’effets superfétatoires.
Comme pour bon nombre de films d’horreur, Rodman Flender souhaite ouvrir son film par une scène choc. Celle-ci part d’ailleurs d’une idée plutôt originale et efficace, en l’occurrence un message funeste (« Je suis sous le lit ») inscrit à l’encre fluorescente sur le plafond d’une chambre, et donc visible qu’une fois la lumière éteinte. Jouant habilement sur les peurs enfantines (les croquemitaines ont la fâcheuse tendance à se cacher soit dans le placard, soit sous le lit), cette heureuse idée demeure sans suite. Est-ce le fait que nous soyons à la veille de la fête d’Halloween ? Que le couple évoque une probable blague de leur fils ? Ou tout simplement qu’un public probablement averti n’ignore pas qu’il se trouve devant une potacherie ? Quoiqu’il en soit, ladite scène ne fonctionne pas du tout, guère aidée par une musique tonitruante soulignant (surlignant serait un terme plus juste) le moindre mouvement de caméra visant à nous faire sursauter, voire par l’usage du bon vieux cliché du chat jaillissant de nulle part pour effrayer son maître. Non seulement cette entame sonne faux, mais en outre elle amène une incohérence relative à la volonté du réalisateur de surprendre –dans une moindre mesure– son public. En effet, étant donné qu’Anton se révèlera être l’assassin de ses parents, on peut rétrospectivement s’interroger devant le manque d’entrain que met sa main maléfique pour tuer ses amis le lendemain matin, voire même les deux agents de police qui l’interpellent brutalement en début de soirée. Et même après s’être révélée à son propriétaire dans toute son indépendante brutalité (curieusement, Anton n’a aucun souvenir de ses exactions de la veille… crise de somnambulisme ?), la pogne assassine se montre encore indécise face à Molly. Un coup elle se fait menaçante, tentant de la poignarder puis de l’étrangler ; un autre, elle se fait lubrique en se collant violemment à son popotin. Quoique dans ce cas précis, cette indécision paraît plus compréhensible compte tenu de l’interprète de Molly, l’alors débutante Jessica Alba, une tête à claques juchée sur un corps splendide.
De toute évidence, Rodman Flender est victime de sa volonté de nous présenter son personnage avant de le plonger dans un cauchemar aux forts relents d’Evil dead 2, mais certainement aussi de l’envie de la Columbia d’inclure davantage de scènes horrifiques au film, l’amenant à en placer une en préambule. Héros de l’histoire, il faut qu’Anton parle un minimum aux spectateurs, et donc que nous le voyons s’ébattre dans son quotidien de tire-au-flanc. Levé alors que le soleil est déjà haut dans le ciel, il ne se déplace jamais dans la demeure familiale sans un casque sur ses oreilles, ou le son de la télévision monté au maximum. En outre, il agit comme s’il vivait seul à la maison, fumant des joints sur le canapé du salon sans se préoccuper d’une éventuelle présence parentale. Anton s’ébat dans un univers étriqué qui ne saurait être complet sans la présence de ces deux compagnons de glande, et de Molly, cette voisine pour laquelle il serait presque prêt à se faire violence si sa timidité ne venait pas s’ajouter à sa fainéantise. Bref, Rodman Flender s’amuse à dépeindre une jeunesse particulièrement inconséquente, et sans autre plan d’avenir que fumer un bon joint bien calée dans son canapé. Face à cette attitude, les parents semblent avoir baissé les bras. D’ailleurs, mis à part ceux d’Anton qui ne survivent pas à la première bobine, les parents sont les grands absents de l’histoire. Et de manière générale, ce sont les adultes qui brillent par leur absence, à l’exception de quelques silhouettes éparses. Même les deux agents de police sortent à peine de l’adolescence ! Dans cet univers ouvertement adolescent, l’irruption de cette main satanique qui ne prend possession que de corps oisifs (d’où le titre original Idle Hands, qu’on pourrait traduire par « les mains inactives ») aurait donc valeur de coup de pied au cul asséné à une jeunesse désœuvrée et fière de l’être. Il serait aisé de voir dans la démarche du réalisateur un geste moralisateur, néanmoins il apparaît évident que cela ne correspond pas du tout à ses intentions. Rodman Flender préfère prendre le parti de rire –et grassement de préférence– de ce comportement je-m’en-foutiste plutôt que de le fustiger. Tout le film est donc traversé d’un second degré inoffensif à base essentiellement de blagues potaches, qui place immédiatement La Main qui tue à mi-chemin entre Scream et sa parodie Scary Movie. Ici, rien n’a vraiment d’importance. Anton a beau avoir plusieurs meurtres sur les bras, le principal reste la présence de Molly à ses côtés, obtenue justement grâce à sa mésaventure. Du reste, le je-m’en-foutisme des personnages principaux s’étend à tout le film puisque le scénario multiplie les incohérences (Molly devient subitement LA personne à sacrifier alors qu’un peu plus tôt dans le récit, elle devait mourir de manière bien plus directe) et les personnages inutiles (l’inefficace exorciste Debi LeCure et le métalleux Randi ainsi que toute la sous intrigue qui les concerne) avec un bel aplomb qui forcerait presque le respect.
A sa sortie, La Main qui tue fut un bel échec, renvoyant du même coup Rodman Flender à ses épisodes de séries télés. Et on ne peut guère crier à l’injustice tant le film échoue sur tous les tableaux, humour comme horreur. Allez ! Il y a bien une scène qui réussit à faire sourire, celle où Anton, après la découverte des cadavres de ses parents, se déplace dans la maison en poussant son chien -tout aussi effrayé que lui- en guise d’éclaireur. C’est peu, trop peu pour un film qui se voulait déjanté, et qui au final ne parvient qu’à être épuisant.