L’Homme orchestre – Serge Korber
L’Homme orchestre. 1970Origine : France
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Evan Evans est un chorégraphe à la mode, entouré de musiciens hors-pairs, dont un neveu batteur un peu fantasque. Sa tribu de danseuses est menée de main de maître et il impose à ses filles une discipline rigoureuse faite de travail incessant et de vertu chaste. Eh oui, un homme en coulisses = un polichinelle dans le tiroir et vlan ! C’est toute une tournée qui pourrait partir en quenouille, pour ne pas dire autre chose !
Petit bonhomme bondissant aux idées musicales qui lui viennent comme des flashes et qu’il transmet à ses musiciens par télépathie, il entraîne à travers le monde toute sa compagnie pour un show dansé et chanté à succès. Bidibidiba ! comme le dit le gimmick de la danse phare du spectacle qui revient sans cesse.
Tout roule donc comme sur des roulettes, si l’on excepte quelques tentatives de sortie du « couvent » (sic Evan Evans) de Françoise, la danseuse en chef, pour aller retrouver un homme. Mais c’est alors qu’ils sont à Rome, en pleine tournée triomphale, qu’un vrai problème surgit sous la forme d’un gros bébé joufflu posé sur le lit d’Evans avec un mot désignant son neveu comme père de l’enfant. Que cela se sache, et c’en est fini de sa réputation de rigueur morale et d’intransigeance… Bidibidibaaaaa…
On le voit, la trame du film est assez ténue, ce que reconnaît d’ailleurs Serge Korber, son réalisateur, qui lui trouve une structure et une ossature trop légères, trop anecdotiques. Rien au niveau de l’histoire n’est véritablement original ni même franchement passionnant, et l’intérêt du film, semi-raté il faut bien le dire (et en étant un peu indulgent), réside ailleurs. Dans les numéros de de Funès d’abord, ce qui a fait son succès depuis pas mal de temps déjà, des Gendarmes au Corniaud, en passant par les Fantômas ou Le Tatoué. On retrouve ici son sens du comique dans une scène principalement (et c’est peu), celle où il raconte la fable du Loup et l’agneau, le soir à la veillée, aux filles de la troupe, sans paroles mais avec force mimes, grognements, onomatopées et grimaces. Le reste du film est plus pauvre à ce niveau et parsemé de moments comiques plus brefs, quoique parfois réussis (la chorégraphie japonisante, par exemple). Mais si de Funès est assez en-deçà de certaines de ses prestations comiques déjà vues (et même si on est d’accord pour dire qu’il y a énormément de déchet dans sa filmographie, recelant néanmoins de jolies pépites, ou quelques diamants bruts fichés dans des écrins quelconques – je pense notamment à la mémorable scène du boutonneux d’Oscar), c’est peut-être aussi parce qu’il donne l’essentiel de son énergie à la danse elle-même, participant aux chorégraphies (pas une nouveauté chez lui, c’est vrai, sauf qu’ici il ne s’agit pas de danser pour faire rire, comme dans Rabbi Jacob ou Le Grand restaurant, mais bien de danser et de faire danser pour de vrai, serait-on tenté de dire) et se calant sur la musique pour rythmer le film (et on sait que la comédie, comme la musique, sont affaires de rythme). Bidibidiba !
Pour cela, il bénéficie des multiples morceaux de François de Roubaix, compositeur multi-instrumentiste et talentueux qui a notamment travaillé avec Robert Enrico (pour Les Grandes gueules, Ho !, Les Caïds, Le Vieux fusil), mais aussi pour Jean-Pierre Melville (Le Samouraï), José Giovanni (La Scoumoune et son thème inoubliable, mais aussi Dernier domicile connu, dont la musique est bien meilleure que le film), sans oublier de multiples participations pour la télévision (le générique de Chapi Chapo, pour n’en citer qu’un). Bref, de Roubaix apporte la crédibilité à cette histoire un peu vague en lui apportant les musiques qui la parcourent et l’électrisent et, dans une moindre mesure, les chansons, beaucoup moins réussies par contre. Bidibidiba !
Pourtant, on reste sur sa faim. Les danseuses sont jolies, les chorégraphies bien dans l’esprit « comédie musicale » 70’s et les images parfois retravaillées pour obtenir des effets qu’on imagine assez mal chez Jean Girault (le réalisateur des Gendarmes). Mais l’ensemble est vraiment trop faiblard pour emporter l’adhésion. Les spectateurs venus pour du de Funès « classique » seront relativement déçus. Mais ceux qui espéraient peut-être un renouvellement de la part de l’acteur le seront aussi. Les fans de comédies musicales trouveront qu’il manque de vraies chansons (et leur interprétation, en particulier celle de de Funès et de son fils, piètre acteur mais chanteur pas bien meilleur, plombent un peu l’ambiance) alors que les contempteurs de ce genre de cinéma trouveront qu’il y en a encore trop ! (c’est mon cas, je l’avoue). Néanmoins, et pour ne pas perdre le fil : bidibidiba !
D’ailleurs, la répétition constante de ce gimmick entré par l’oreille gauche puis par la droite, avant de revenir dans les deux en même temps puis de recommencer finit sérieusement par nous sortir par les trous de nez ! Bidibid…assez !!!
Le film ne connut, me semble-t-il, qu’un succès relatif. Son réalisateur, Serge Korber tournera la même année Sur un arbre perché avec Louis de Funès mais ne marquera pas les esprits avec ses autres films, y compris les pornos réalisés sous le pseudo de John Thomas durant les années 70.
François de Roubaix mourra 5 ans plus tard, en 1975, lors d’un accident de plongée en Corse (la mer était sa seconde passion), laissant un grand nombre de bandes originales très réussies à réécouter (dont bon nombre ont été éditées dans la collection de CD dirigée par Stéphane Lerouge). Il recevra, à titre posthume, un César en 1976.
Olivier de Funès, après un dernier film avec son père, deviendra pilote de ligne pour Air France. Une reconversion nécessaire tant son jeu était mauvais.
Quant à Louis de Funès, il lui restait 13 ans à vivre après ce film, l’occasion de terminer une carrière avec quelques beaux succès, pour la plupart multi-rediffusés à la télé. L’Homme orchestre fait d’ailleurs un peu figure d’exception dans sa filmographie, le sortant de son ordinaire comique en tentant d’explorer de nouvelles facettes. L’affiche très colorée rendait bien l’esprit du film tournant autour de ce démiurge dominateur régnant sur sa troupe féminine dans un univers chatoyant.
Une exception donc, mais pas une franche réussite, néanmoins.
Mais bon, pour rester dans le ton : bidibidiba !