CinémaDrameErotique / X

L’Empire des sens – Nagisa Oshima

empiredessens

Ai no Corrida. 1976

Origine : Japon / France 
Genre : Drame / Érotique / Porno 
Réalisation : Nagisa Oshima 
Avec : Eiko Matsuda, Tatsuya Fuji, Aoi Nakajima, Meika Seri…

Ancienne prostituée, Sada est maintenant employée chez une tenancière de restaurant, ce qui ne l’empêche pas de s’échapper de temps à autre pour s’offrir à un vieux mendiant repoussant. Mais surtout, elle éprouve un trouble plaisir à épier les ébats amoureux de sa patronne et de son mari, Kichizo. Celui-ci a remarqué la jeune femme, qui devient bientôt sa maîtresse, et tous deux s’enfuient ensemble. Commence alors un long périple, d’hôtels en maisons de thé, au cours duquel les deux amants, enchaînés par la passion érotique, poursuivent une étreinte quasi ininterrompue, parfois partagée avec des partenaires de rencontre. Ils se prêtent ainsi à une parodie de mariage, qui s’achève par une orgie. Leur extase charnelle se nourrit encore de ces brefs échanges, que Sada monnaie ses faveurs à l’un de ses anciens clients de prostituée, ou que Kichizo s’acharne au plaisir d’une vieille geisha qui lui rappelle sa mère. Dans sa quête frénétique d’une jouissance toujours plus exacerbée, le couple introduit dans ses jeux érotiques tout un arsenal fétichiste de couteaux et d’instruments tranchants, et, chaque jour, Sada rase rituellement son amant…

Art ou pornographie ? Vaste débat qui n’a pas fini de sévir et qui n’a finalement de sens que pour quelques puritains réactionnaires…
Tout au long d’une séquence étirée, laquelle contient une vingtaine de scènes, Oshima nous montre les deux amants se livrant à des accouplements se multipliant de façon frénétique, ce, sans même s’interrompre pour manger et sans se laisser troubler par les irruptions de la vie quotidienne dans leur intimité. Art ou pornographie… le film fit alors un véritable scandale. Scandale qui tournera au succès commercial, quasi sans précédent, ce en allant a contrario de ce que déclara un jour un célèbre producteur de théâtre : “Une histoire d’amour avec seulement deux personnes n’est ni intéressante ni valable commercialement.” Il semble bien que Nagisa Oshima ait voulu relever le défi.
Un défi qui lui fera connaître tout un tas de problèmes de distribution. A l’époque, au Royaume-Uni comme aux États-Unis, seules les autorités des douanes étaient habilitées à se prononcer sur la valeur esthétique et morale d’une œuvre (et non pas les organismes habituels de censure). Le tournage se déroula dans une prudence de circonstance, puisque, co-produit en France par Anatole Dauman et au Japon par Kôji Wakamatsu, le film fut tourné au pays du soleil levant. Cependant, chaque jour, Oshima devait envoyer la pellicule impressionnée, en boîtes scellées, dans un laboratoire français de développement, afin qu’elle ne soit pas saisie par la censure japonaise, alors beaucoup plus sévère qu’en Occident.

Art ou pornographie, donc ? Tout dépend de la manière de montrer plus que ce l’on montre en soi. Cette débauche d’orgasmes et de jeux érotiques, pervers ou non, est filmée avec une sorte de maniérisme hautain ainsi qu’une stylisation telle qu’elle interdit tout plaisir visuel immédiat.
Ai no Corrida, à l’instar de certains films de Wakamatsu (Va va vierge,…), confine, par le choix d’un ton tragique, à la froideur théâtrale. A ce propos, le caractère tragique et inexorable des élans mis en scène dans L’Empire des sens accroît encore davantage la distance théâtrale : l’aptitude de Kichizo à des érections illimitées n’est pas plus concrète et réaliste que l’insatiable appétit de Sada. Celle-ci exige que chaque étreinte la mène toujours plus loin et plus profond dans la jouissance. il s’agit d’une volonté partagée de sublimation qui conduit les amants jusqu’au spasme fatal. Un spasme fatal faisant office de preuve : celle que cette apothéose ne pourra jamais être revécue, ni même partagée avec aucun autre partenaire.

Ce n’est pourtant pas tant le couple dépeint par Oshima qui interdit toute identification entre le spectateur et les personnages. Il s’agit de l’ensemble du film, par son objectivité documentaire, qui apparaît socialement inacceptable. La passion physique de Sada et de Kichizo déborde des limites de leur vie privée ; les servantes qui entrent dans la chambre sont parfois invitées à partager leurs ébats ; pour se consacrer au plaisir de Sada, Kichizo a dû abandonner épouse, maison, métier. C’est cette rupture que consacre la cérémonie parodique de mariage, qui s’achève donc par une orgie.
L’univers des deux amants est par ailleurs cerné par une société bourgeoise puritaine et répressive. Ainsi, une scène assez brève, nous montre Sada et Kichizo passant dans une rue où défile un régiment ; à un autre moment, on voit des enfants agiter des drapeaux lors d’une manifestation patriotique et un sous-titre nous informe alors qu’il s’agit d’une histoire réelle qui s’est déroulée en 1936.
Toutefois, ces références historiques ne manquent pas d’ambiguïté puisqu’il apparaît vite évident que le cocon organique sécrété par les amants leur permet d’ignorer délibérément l’oppression militariste qui règne alors.

Certains reprochèrent à Oshima d’avoir “abandonné” l’arrière-plan sociopolitique présent dans ses films précédents. Le réalisateur répondit par une autre question : “Est-ce donc vraiment si significatif de montrer des êtres indifférents à la politique ?
Une indifférence politique qui n’empêche pas Sada, par une étrange ironie du sort, de devenir une héroïne mythique dans son pays : elle est la femme qui a possédé un homme, qui a brisé les tabous sexuels, qui a transformé le mâle en un simple pourvoyeur d’orgasme.
L’Empire des sens est donc un film ritualisé à l’extrême : rasage quotidien, manipulation d’instruments tranchants, cérémonie de la nourriture introduite dans le vagin de Sada avant d’être consommé, etc., pourtant, il semble que dans le jeu mortel auquel s’adonnent les deux amants, le fil de la vie soit identifié au souffle, lequel devient de plus en plus précieux au fur et à mesure qu’il s’amenuise. Finalement quand Kichizo consent, après de nombreuses initiatives suspendues et non sans une attentive lucidité, à une strangulation finale, on assiste à l’assouvissement d’un complot mutuel destiné à célébrer la vie.

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