L’Abattoir – Rick Roessler
Slaughterhouse. 1987Origine : Etats-Unis
|
Parce qu’il est criblé de dettes et qu’il refuse de vendre sa propriété à un ex-employé devenu concurrent, le vieux Buddy Bacon (Joe B. Barton) risque bien de s’en faire virer manu militari. C’est qu’il y tient, à son abattoir, lui le vieux boucher artisanal que le modernisme honni a poussé à la retraite. Mais il ne s’en laisse pas compter, et pour une fois le goût de son fils Lester (Don Barrett) pour le hachoir servira à autre chose qu’à démembrer les braves gens. Abattre le concurrent, son avocat et le shérif apparaît aux yeux de Buddy comme une cause juste. Le règlement de compte sous forme de guet apens est prévu pour bientôt, le jour de la fête du cochon. Et tant pis si des jeunes célébrant un week end de quatre jours se fourvoient également dans le piège tendu aux trois notables.
Slasher, peut-être bien, mais slasher rural ! L’épithète “rural” est aussi important que le nom “slasher”. En fait, L’Abattoir se veut autant une déclinaison de Massacre à la tronçonneuse et pour le style d’humour de 2000 Maniacs qu’un simple jeu de massacre à la Vendredi 13. Tombé de la dernière pluie (il n’avait rien fait avant et ne fera jamais rien après), le réalisateur et scénariste Rick Roessler n’a absolument pas de budget, mais il a des idées puisées à droite et à gauche, sans que son film ne souffre du syndrome de la photocopie comme tant d’autres productions horrifiques, minimalistes ou non. Certes, son scénario est indigent, mais il faut savoir raison garder et mettre en avant ce qui le transcende. Et commençons par le meilleur : Lester Bacon, un dégénéré tenant moins de l’humain que du cochon, animal qu’il aime à caresser affalé dans la boue. Il ne s’exprime d’ailleurs pas en parlant, mais en couinant, et il est plusieurs fois associé à une musique très “Amérique profonde”. Cousin de Leatherface, le brave Lester est comme lui incapable de raisonner et n’entend rien aux remontrances de son plouc de père, dont il a hérité de l’habileté dans le maniement des outils mortels. Moins ambitieux, Roessler ne fait que réduire la famille de Leatherface aux deux seuls individus essentiels et il substitue le rudimentaire hachoir à l’imposante tronçonneuse, mais il n’est pas difficile de voir la parenté qui unit les anciens bouchers texans à leurs homologues de cette sinistre campagne indéterminée. Les plans du massif Lester surgissant de la porte de son abattoir pour saisir sa victime, l’usage du crochet pour pendre les victimes, la relation père-fils, l’existence d’une pièce réunissant tous les ossements et carcasses des animaux abattus ou encore le masque utilisé par Lester à une occasion (clin d’œil évident, autrement il ne l’aurait pas porté), tout cela est directement puisé chez Tobe Hooper. La seule différence est que Roessler appuie sur l’aspect “campagnard” de la famille Bacon et insuffle au film une touche de comédie qui n’était pas aussi exagérément poussée dans Massacre à la tronçonneuse. Ou plutôt, ce dernier contrebalançait cet humour par une réelle capacité à mettre son public mal à l’aise. Roessler a peut-être essayé de faire de même (ce qui se remarque surtout dans l’abattoir abandonné, au fort potentiel malsain), mais dans ce cas, c’est un échec, tant l’insistance sur les ressemblances entre le gros Lester et les porcs enracine le film dans l’humour noir. Le vieux Bacon et son caractère bien trempé, têtu comme une mule et hystérique dans sa vengeance, assoit également le film dans cette veine bouseuse digne de 2000 Maniacs, et s’oppose aux êtres civilisés que sont le concurrent, l’avocat et le shérif, personnages bien plus classiques dont l’effacement n’est qu’une façon de dire que les Bacon sont bien les protagonistes principaux de L’Abattoir. Ainsi, Roessler ne porte aucun jugement sur les notables ni sur l’expropriation des Bacon, pourtant à l’origine de tout. Ce faisant, il assume complètement l’imbécilité de son film, dont le seul objectif est de faire de l’humour noir sur le dos aussi bien des tueurs que de leurs victimes. Et à ce niveau, il réussit son objectif. Car L’Abattoir n’est définitivement pas une parodie de film d’horreur comme ont souvent eu tendance à l’être ses contemporains du même calibre -quand ils n’était pas que des slashers machinaux sans relief-. Même avec des “méchants” aussi chargés, il reste un véritable film d’horreur, généreux en scènes sanguinolentes envoyées avec la délicatesse qui sied à la famille Bacon, dont le nom charcutier n’est par ailleurs qu’une des quelques fantaisies utilisées par le réalisateur pour les noms de personnages ou pour certains accessoires.
Compte tenu de sa modestie (autant pour le budget que pour les ambitions), L’Abattoir est un bon film. Dire qu’il est davantage serait un peu tirer sur la corde. Car si dans le fond il ressemble davantage au cinéma “libre” des années 70 qu’au cinéma “balisé” des années 80, il génère également plusieurs défauts dont certains spectateurs, hermétiques au côté “plouc”, pourraient lui tenir rigueur. Ces défauts découlent de son scénario simpliste, qui pousse Roessler à broder aux entournures. Difficile en effet de concevoir un film d’horreur digne de ce nom en ne plaçant que trois victimes annoncées. C’est pourquoi le réalisateur a eu l’idée de greffer à sa trame principale une trame parallèle, qui vient pour le coup rappeler l’époque des slashers. A savoir que le groupe de jeunes (deux couples, plus un autre qui a servi de teaser dans le pré-générique) se promène aux abords de l’abattoir sans avoir un quelconque rôle à jouer dans le différend qui oppose les Bacon et ses trois ennemis. Roessler a beau inventer des justifications (comme de faire de l’une des jeunes la fille du shérif) destinées à interconnecter les différentes facettes du scénario, il ne parvient pas à faire oublier que les trois quarts des victimes du film ne sont que de la chair à saucisse sur pattes destinées à meubler en attendant que sa simili intrigue trouve un dénouement. Puisque le réalisateur ne joue de toute façon pas la carte de l’empathie, cela ne pose pas de problème, a priori. Sauf que Roessler a tendance à s’attarder sur sa bande de jeunes, qui avant d’aller se faire massacrer passe le temps comme le font les traditionnels personnages de slashers. Discussions stériles, blagues foireuses, virées en voiture, et autres futilités jusqu’à ce qu’ils retournent de nuit à l’abattoir pour se lancer un défi puéril (“20 dollars que vous oserez pas y passer une heure !“). Ces scènes viennent couper le ton donné par celles se déroulant auprès des Bacon (heureusement majoritaires) et trahissent la maigreur d’un sujet de départ bien trouvé mais qui décidément ne peut à lui seul soutenir un long-métrage. Fut un temps où les séries B ne duraient qu’une heure et ne s’en sortaient pas plus mal. Roessler aurait mieux fait de suivre cette formule permettant de supprimer le superflu. Ce qu’il fait d’ailleurs pour d’autres victimes, comme l’adjoint du shérif et sa copine, qui ont le double mérite de ne pas trop avoir envahi le film avant de finir en morceaux et de procéder à un écrémage plus régulier du casting, par opposition à tous ces jeunes qui sont tous annihilés en dix minutes, certes intenses. Du reste, il n’y a pas que L’Abattoir qui aurait gagné à être ainsi comprimé, cette remarque étant valable pour de nombreux films. Savoir se limiter à l’essentiel est un art qui se perd…