Le Jouet – Francis Veber
Le Jouet. 1976Origine : France
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Après 17 mois – et 6 jours ! – de chômage, Francis Perrin (Pierre Richard) obtient un poste de journaliste stagiaire au journal France-Hebdo. Au cours d’un reportage dans un magasin de jouets, Francis attire l’attention d’Eric, un garçonnet qui n’est autre que le fils de Pierre Rambal-Cochet (Michel Bouquet), propriétaire – entre autres – dudit magasin et du titre de presse pour lequel il officie. Amené là pour choisir le jouet de son choix, l’enfant désigne le journaliste comme étant celui qu’il désire. Pris à la gorge, et désireux de conserver son emploi, Francis accepte à contrecœur de se prêter au jeu.
Fort des succès du Grand blond avec une chaussure noire et de L’Emmerdeur, dont il a signé les scénarios et qui sont devenus au fil du temps des classiques de la comédie française, Francis Veber se décide à passer à la réalisation, suivant en cela les conseils de Claude Berri. Des débuts déconcertants qui n’entretiennent finalement que peu de liens avec les films qui ont fait sa gloire. Dans Le Jouet, l’humour se fait moins léger, à l’image de François Perrin, personnage récurrent de l’auteur qui n’a ici plus rien de lunaire.
Dans cette France giscardienne, la dynamique des Trente Glorieuses n’est plus qu’un lointain souvenir. Le nombre de chômeurs gonfle, et avec lui la servitude des salariés, lesquels craignent plus que tout de se retrouver à la rue. Pour avoir déjà mangé son pain noir, et se refusant à remettre le couvert, François Perrin renonce à toute dignité en jouant le jeu d’un gamin pourri gâté qui n’a pas l’habitude qu’on lui dise non. Le film joue sur les rapports de force entre les personnages, qu’on pourrait résumer à une lutte des classes, François Perrin incarnant le bon peuple lorsque Pierre Rambal-Cochet et son fils représentent la bourgeoisie. Pierre Rambal-Cochet est un peu l’égal d’un Rupert Murdoch ou d’un Marcel Dassault, sis à la tête d’un Empire tentaculaire qui va du titre de presse aux diverses usines en passant par une chaîne de magasins de jouets. Fort de ses millions, il agit en despote, brisant une carrière sur la seule foi d’une poignée de main jugée trop humide ou en achetant la maison de son choix en sommant la famille qui l’occupe de partir sur le champ. Sans jamais élever la voix, il impose sa force tranquille à ses interlocuteurs, celle de ces puissants sûrs de leur fait qui estiment avoir tous les droits. Une attitude qui se retrouve dans le comportement de son fils en un mimétisme bien peu flatteur pour l’adulte. Néanmoins, Francis Veber ne s’acharne pas uniquement sur la classe dominante, fustigeant dans un même mouvement la passivité coupable des petites gens. Une position qui se résume à cette réplique de Pierre Rambal-Cochet : « Qui est le monstre ? Celui qui ordonne ou celui qui obéit ? ». La question reste en suspens, Francis Veber se gardant bien d’y répondre de manière catégorique. Chaque personnage du film revêt à un moment ou à un autre des atours monstrueux, fidèle reflet de la complexité des êtres.
François Perrin est de ces hommes dociles qui ne lèvent pas le petit doigt lorsque l’un des leurs se retrouve mis à la porte sous un prétexte ridicule. Il s’accroche à son stage comme un mort de faim, d’autant plus qu’il est à l’origine du licenciement de sa femme. Face à sa situation inconfortable, il n’émet que des protestations d’usage, se pliant – un temps – de bonne grâce à son statut de fou du roi. Sa révolte se joue sur un mode mineur, plus proche de la douce revanche que d’une quelconque revendication sociale. Et encore peut-on se demander qui d’Eric ou de François est le jouet de l’autre, tous deux ayant de bonne raison d’en vouloir à Pierre Rambal-Cochet. Plutôt que de trancher, Francis Veber opte une fois encore pour le consensus. François et Eric finissent par jouer d’égal à égal, entretenant une relation amicale nimbée d’un respect mutuel. Incidemment, François passe aux yeux d’Eric de l’ami qu’il n’a jamais eu à une sorte de figure paternelle rêvée. Leur complicité naissante prend alors le pas sur le dynamitage attendu du milieu bourgeois dans lequel François a été placé contre son gré. Ses tentatives de déstabilisation d’un patriarche stoïque en toutes circonstances demeurent vaines car sans conséquences, de simples piqûres d’insecte contre une cuirasse de rhinocéros. Un homme seul ne saurait ébranler durablement un Empire aux fondations si solides. En revanche, l’humanité dont il fait preuve, par opposition à la froideur de Pierre Rambal-Cochet, a tôt fait de révéler les failles d’une cellule familiale brinquebalante et qui n’a longtemps tenu que par le seul pouvoir de l’argent. Le message est clair, tout ne s’achète pas, et certainement pas l’amour d’un fils.
Pour son premier film, Francis Veber signe une œuvre douce-amère où le burlesque qu’on lui connaît s’éclipse régulièrement au profit d’un humour plus grinçant. Mettant pourtant Pierre Richard en vedette, alors très populaire, Le Jouet n’a pas rencontré son public. Vendu, à tort, comme une simple comédie, le film a dû en décontenancer plus d’un. Aujourd’hui, il fait figure d’exception au sein d’une filmographie entièrement dédiée à l’humour quitte à céder à la formule. Un film attachant, à défaut d’être pleinement réussi, qui ne laissait en rien augurer la légèreté des futures collaborations entre Francis Veber et Pierre Richard.