Jeepers Creepers – Victor Salva
Jeepers Creepers. 2001Origine : Etats-Unis / Allemagne
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Sorti à la fin de la vague des slashers post-Scream, Jeepers Creepers annonce en grande partie l’engouement qui viendra peu après dans le milieu de l’horreur pour les survivals des années 70. L’innovation en plus. Car le film de Victor Salva n’est pas un remake. Et même si son sujet et son cadre (un monstre traque deux automobilistes, un frère et une soeur, dans une campagne américaine complètement paumée) peuvent y faire songer, ce n’est pas non plus a proprement parler un survival. Ni un slasher basique comme on en voyait à cette époque. C’est un vrai film d’horreur vieille école, un film de monstre et d’épouvante. Salva retourne à une intrigue simple avec très peu de personnages, et l’entame de son film évoque d’ailleurs furieusement le Duel de Steven Spielberg, puisque nos deux adolescents se font prendre en chasse par un énorme semi-remorque cradingue aux vitres teintées empêchant de voir le conducteur psychopathe. Salva annonce la couleur : son film sera sec et nerveux, en rupture totale avec les slashers mous qui avaient constitué la mode de la fin des années 90 et du début des années 2000. Dépouillé également de tout l’humour grossier qui avait plombé une bonne partie des slashers des années 80, volontiers rentre-dans le lard et pourvu de deux personnages que l’on aura appris à connaître tout au début du film, où les dialogues permettent de véritablement donner une personnalité aux deux adolescents, le film s’inscrit dès lors en rupture totale avec les productions horrifiques contemporaines, perdues entre une multitude de personnages à la figure desquels les réalisateurs et scénaristes jettent habituellement un tueur qui agit vite fait avant de retourner se cacher jusqu’à sa prochaine scène.
Pas de ça ici, et le Creeper est présent tout du long, physiquement ou non. Car son charisme est impressionnant et Salva, loin d’en faire un tueur lambda, entretient encore sa prestance en ne lui donnant que peu de scènes à l’écran (du moins pendant la plus grande partie du film), mais en soignant particulièrement celles où il est effectivement là. Non seulement avec le camion du début, mais aussi et surtout dans une scène très furtive, lorsque les adolescents, s’étant préalablement faits semer par le camion, aperçoivent soudain par la fenêtre ce même camion, et à côté de lui son conducteur qui jette ce qui semble être un cadavre dans une sorte de puits avoisinant une église désaffectée. La scène est brève mais marquante : vu de loin, furtivement, le Creeper est massif, caché sous des vêtements de l’ouest américain et se livre à un acte rompant totalement avec le cadre champêtre qui l’environne. Rien qu’avec ça, Salva impose son monstre, et même en son absence physique, son aura ne quittera pas l’écran, entretenu par les conversations des deux protagonistes et par, bientôt, le retour du fameux camion. Puis viendra le moment traditionnel des slashers, généralement considéré comme débile : le retour à un endroit que l’on sait menaçant. Ici Trish et Darry retourneront à la vieille église, prétextant que le corps qu’ils ont cru voir était peut-être celui d’une personne toujours vivante. Là où ce retour serait passé comme un monument de bêtise dans n’importe quel autre film, Salva arrive à rendre cela crédible d’une part parce que la menace du retour de son tueur est permanente, mais aussi parce qu’il nous dévoile l’antre de ce même tueur : une sorte de “chapelle Sixtine version psychopathe”, pour reprendre les termes du personnage masculin. En effet, c’est impressionnant, et dès lors, l’absence du Creeper cesse complètement d’être un gage de sécurité.
Le film continuera donc à ce rythme, très angoissant, jusqu’à une dernière partie où tout ce fera plus explicite, sans pour autant saboter le beau travail de Salva. Celui-ci ne tombe jamais dans la facilité du massacre en règle et il continue à gérer efficacement toutes les apparitions du Creeper et toute la tension vécue par les personnages. On en apprend également un peu plus sur la mythologie du monstre mais cette fois la révélation n’est pas faite autour d’un feu de camp comme dans n’importe quel film venu, mais se retrouve intégrée à l’histoire de façon aussi crédible que possible, avec une personnage de médium hystérique qui n’est pas pour faire tomber le rythme du film. Cette mythologie se révélera assez effrayante, d’autant plus qu’elle se trouve allègrement dans le domaine du fantastique, ce qui n’est guère étonnant puisque entre-temps le Creeper nous est apparu en pleine lumière, et qu’il n’a pas grand chose d’humain (c’est justement là l’origine de sa quête meurtrière). Il s’agit là d’un vrai boogeyman, d’un vrai croque-mitaine comme on peut en décrire à des enfants, de ceux qui réservent une fin atroce à leurs victimes. Du reste, la chanson accompagnant ses arrivées, une vieille ballade qu’à vue de nez je daterais des années 30, est elle-même de par ses paroles adressée aux enfants, et sert également d’explication aux actes du Creeper.
Jeepers Creepers est plus qu’un bon film, c’est probablement l’un des meilleurs films d’horreur américains sorti depuis une quinzaine d’années. Salva utilise pourtant les mêmes codes parfois absurdes que la plupart des films du même genre, mais il prouve que des meurtres ne suffisent pas à faire un bon film : il faut avant tout que le film cherche à être effrayant via un mise en scène soignée, et la simplicité d’une intrigue peut grandement contribuer à rendre un film efficace, ce que trop de réalisateurs ont tendance à oublier, préférant miser sur la facilité un peu feignante. Salva revient ici aux bases de l’horreur, et ainsi tout ce que son film peut avoir d’a priori idiot (les nombreuses implications sexuelles des actes du Creepers, qui font référence à l’homosexualité du réalisateur) passe sans aucun problème. Le film fera école, et à n’en pas douter, son style radical ne sera pas pour rien dans l’apparition de la mode des “survivals” (et ce même si les réalisateurs desdits films préfèrent plutôt se référer à des classiques comme Massacre à la tronçonneuse ou La Colline a des yeux -quand ils ne les remakent pas directement-).