CinémaFantastique

Incubus – Leslie Stevens

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Incubus. 1965

Origine : Etats-Unis
Genre : Fantastique
Réalisation : Leslie Stevens
Avec : William Shatner, Allyson Ames, Eloise Hardt, Ann Atmar…

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Dans une paisible région côtière, Marko se remet lentement de ses blessures, stigmates d’une guerre inconnue, grâce aux bons soins de sa sœur Arndis. Ils ont l’air heureux et rien ne semble pouvoir rompre leur quiétude. C’était sans compter la présence de succubes dans la région, dont l’une d’entre elle, Kia, souhaite s’accaparer l’âme pure de Marko. Devant son échec, elle se résout à invoquer le démon Incubus pour l’aider dans son entreprise.

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Homme de théâtre avant tout, Leslie Stevens s’essaie au cinéma à partir des années 50, d’abord en tant que scénariste (notamment Le Gaucher de Arthur Penn, 1958) avant de passer à la mise en scène en 1960 avec Propriété privée. Il ne réalise en tout et pour tout que trois films, chacun d’entre eux n’ayant guère attiré l’attention du public. En ne bénéficiant d’aucune distribution sur son propre sol, Incubus scelle définitivement les velléités de cinéaste de Leslie Stevens. Malgré ce manque de visibilité, Incubus peut se targuer d’être le seul film de l’histoire du cinéma à avoir été tourné en esperanto. L’esperanto, créé par l’ophtalmologue polonais Zamenhof en 1887, est une langue artificielle qui se veut universelle. Une universalité que prône également l’art. L’emploi de l’esperanto peut paraître incongru voire superfétatoire, alors qu’il participe au climat d’étrangeté que Leslie Stevens désire instaurer. Il inscrit ses personnages dans un univers intemporel et autonome dans lequel le Mal se propage à loisir. Un Mal insidieux qui prend la séduisante apparence de jeunes femmes à la blondeur immaculée contre lesquelles aucun homme ne semble pouvoir (vouloir ?) résister. De la part de Leslie Stevens, on sent une volonté exacerbée de réaliser un film à part -ce dont atteste l’emploi de l’esperanto- un film ésotérique sur lequel plane l’ombre d’Ingmar Bergman, notamment la mise en scène et la position des corps durant la conversation sur la plage entre Kia et Amael. On retrouve alors ces questionnements sur le Bien et le Mal, ou encore le sens à donner à sa vie, qui sont présents tout au long de la carrière du cinéaste suédois.

Incubus s’articule symboliquement autour d’une éclipse solaire qui marque l’intrusion des forces du mal dans la vie de Marko, au moment où ce dernier fait la connaissance de Kia. Avant l’éclipse, le film se teinte d’un charme bucolique que même le meurtre d’un autochtone ne parvient pas à entacher. Leslie Stevens opte pour un rythme contemplatif qui épouse l’attitude de Kia, fine observatrice des moindres faits et gestes de Marko, l’homme à l’âme si pur qu’il constitue un incroyable défi pour la jeune femme. Suite à l’éclipse, l’univers de Kia et Marko s’assombrit. Kia a affaire à un terrible cas de conscience, fruit de l’amour soudain qui s’empare d’elle à l’instant précis où elle se blottit dans les bras de Marko. Lui céder reviendrait à s’avouer vaincue, terrassée par la pureté de son âme et des sentiments que cet homme fait naître en elle. Et lui résister l’enfermerait un peu plus encore dans sa condition de succube, esclave des basses oeuvres du malin. Pour Marko, les changements s’effectuent de manière détournée. Pour l’atteindre, le Mal s’en prend d’abord à sa sœur, rendue aveugle par l’éclipse. Il l’instrumentalise pour que Marko en vienne à souiller son âme. Le plus drôle dans tout ça, c’est que rien dans l’attitude de Marko ne nous indique qu’il possède une âme à ce point exceptionnelle qu’elle en effraie la succube la plus aguerrie. A force de rester volontairement dans le flou, Leslie Stevens ôte toute épaisseur à ses personnages, ce qui ne leur permet guère d’exister à nos yeux. En dehors d’un passif de soldat, on ignore tout de Marko. Ce personnage demeure une énigme, tout comme l’origine de son aura de pureté. D’ailleurs, lorsqu’on voit comment il se soucie peu du sort de sa sœur, alors qu’elle lui a consacré tout son temps pour qu’il se remette le plus rapidement possible, on se dit qu’il ne vaut pas mieux que les victimes habituelles de Kia et de ses soeurs. A trop s’occuper de lui et de sa passion dévorante pour Kia, il en oublie sa sœur et ses souffrances, se laissant totalement aller à l’égoïsme. Il paraît alors bien inutile d’invoquer le démon Incubus tant le sentiment amoureux ternit l’éclat de sa pureté. Mais Leslie Stevens tient à ce que le Bien et le Mal s’affrontent de la façon la plus évidente et stéréotypée qui soit. Ainsi, le démon Incubus revêtira t-il à point nommé ses atours de bouc au pelage d’un noir ténébreux, conformément à l’imagerie traditionnelle. Nous aurons également droit à la secte satanique dont les fidèles sacrifieront une femme en l’honneur de leur maître.

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Leslie Stevens s’est donné bien du mal pour un résultat bien peu convaincant. Son matériau de base s’avère trop pauvre pour susciter autre chose qu’un ennui poli, et ses artifices trop voyants pour qu’on puisse crier au génie. De plus, il n’évite pas l’excès de bondieuserie lors du dernier acte, et il n’a pas su donner vie à Marko, personnage pivot du film, il est vrai mal servi par la piètre prestation de William Shatner. Ce dernier brille par son inconsistance et un jeu qui se limite à quelques sourires pseudo charmeurs. Le diable lui-même semble en avoir tenu rigueur au réalisateur de l’avoir mêlé à tout ça. Sinon, comment expliquer autrement que presque toutes les copies aient été détruites par un incendie ? Les cinéphages curieux, dont je suis, peuvent remercier la cinémathèque française d’en avoir conservé une copie en lieu sûr et ainsi nous permettre d’étancher notre soif de curiosité. Ce coup-ci, cette soif s’apparente plus à un défaut mais bon, quand le vin est tiré, il faut le boire. Alors, buvons !

2 réflexions sur “Incubus – Leslie Stevens

  • Zeidra

    Petite correction : Zamenhof était médecin ophtalmologue. Il n’a jamais eu la moindre formation de linguistique.

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Répondre à Bénédict Arellano Annuler la réponse

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