Hidden – Jack Sholder
Hidden. 1987Origine : États-Unis
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Difficile journée pour le sergent Tom Beck (Michael Nouri), de la police de Los Angeles, qui est chargé d’arrêter un certain De Vries, ex bon citoyen devenu givré criminel. A défaut de l’arrêter en bonne et due forme, lui et ses hommes parviennent au terme d’une furieuse course-poursuite à envoyer le salaud dans le décor, puis à le plomber de balles. Ses heures sont comptées. Fin de l’histoire ? Non ! Car Tom se voit imposé de travailler avec Lloyd Gallagher (Kyle MacLachlan), un étrange agent du FBI qui affirme que De Vries était de mèche avec Miller, son voisin de chambre d’hôpital miraculeusement ressucité, lui aussi citoyen préjugé respectable qui est plus que susceptible de poursuivre une quête criminelle. Quand ce nouveau cinglé passera l’arme à gauche dans la loge d’une strip-teaseuse, Gallagher informera Tom que celle-ci est également dangereuse. C’est louche, cette histoire…
… sauf pour le spectateur, qui même sans ralenti a surement vu la tricherie lors de la passation de pouvoirs entre De Vries et Miller. A moins d’un soudain aveuglement, il sait, lui, que De Vries a craché un bestiaux extra-terrestre illicite dans le gosier de son vis-à-vis, qui du coup en a retrouvé son second souffle, prêt à jouer les prolongations et même plus. Avec ce savoir dont ne dispose par le sergent Beck, le spectateur sait donc pourquoi l’agent Gallagher semble toujours être débarqué de la dernière pluie. Il s’agit sans aucun doute d’une chasse à “l’homme” interplanétaire sur fond de possession corporelle évoquant furieusement L’Invasion des profanateurs de sépultures. Sholder profite du temps d’avance de son public pour faire de l’humour sur le dos de Beck, un flic aussi paumé dans les certitudes de son collègue que ce dernier l’est pour tout ce qui touche aux coutumes humaines. Michael Nouri incarne donc un homme qui en a toujours marre : marre de son boulot qui le plonge toujours dans des situations ubuesques en plus d’être périlleuses, marre de son collègue qui ne comprend rien à rien et qui ne se réveille que pour donner des ordres insensés, marre d’avoir toujours un temps de retard sur la situation… Il passe ainsi la quasi intégralité du film à ronchonner, ce qui le rapproche quelque peu d’un certain John McClane, l’homme à qui il n’arrive que des embrouilles. Parallèlement, Kyle MacLachlan, au sortir de deux films de David Lynch (Dune et Blue Velvet) doit donner vie à un homme constamment dans la lune, un agent décalé fort peu en adéquation avec l’image généralement véhiculée d’un agent du FBI. Son rôle est en fait une répétition générale pour son futur personnage de la série Twin Peaks, où il sera dans la peau de Dale Cooper, un agent très similaire à Lloyd Gallagher. Ce dernier n’est absolument pas complémentaire au sergent Tom Beck, et c’est ce qui donne à Hidden cette allure particulière et réussie de “buddy movie” parodique, dont le point culminant est certainement atteint lors d’une incompréhension mutuelle démarrant sur la sempiternelle réplique policière “Vas-y, je te couvre”.
Car derrière son histoire aux forts relents de science-fiction à l’ancienne se cache un film d’action dans la tradition des années 80. Sans trop d’argent, et c’est ce qui fait toute la différence. Là où les pires films de Stallone ou de Schwarzenegger ne sont généralement que de lassantes successions de cascades et d’effets spéciaux auto-satisfaits, Hidden est au contraire bien plus malin. Doté d’un budget relativement réduit, Sholder ne peut pas s’appesantir sur des scènes pyrotechniques de grande envergure. Il compense ses modestes fusillades par un rythme soutenu, constamment relancé par son alien qui change de corps comme de chemise. Chaque nouveau corps donne un nouveau centre d’intérêt au réalisateur, qu’il exploite sommairement mais efficacement. De Vries et Miller lui donnent ainsi l’opportunité de fustiger la mentalité yuppie de ces riches et respectables citoyens aisés qui dominèrent la décennie de Ronald Reagan. Le Los Angeles qui sert de cadre à l’histoire est le Los Angeles huppé des grandes avenues bordées de palmiers, théâtre idéal pour afficher le caractère sans-gêne de ces citadins égocentriques. Voitures de sport servant à terroriser les automobilistes (la première scène du film est d’ailleurs certainement sa meilleure scène d’action), grosse sono à l’oreille, les quadra ou quinquagénaires possédés par l’alien belliqueux n’ont plus aucune retenue et tabassent même les jeunes ! Dépourvu d’objectif final, l’extra-terrestre ne semble en fait que supprimer les inhibitions des citoyens dont il dispose. Il commence par autoriser De Vries et Miller à passer au dessus des lois, puis il s’en prend à une strip-teaseuse qui devient femme fatale, à un chien qui devient méchant, à un flic plus sécuritaire que jamais et enfin à un politicien qui ne cache même plus son carriérisme corrompu. Paradoxalement, en se cachant dans des corps humains, l’alien fait tomber les masques, les personnalités se révélant au grand jour. Les yuppies, le monde de la nuit, les policiers et les politiciens sont autant de milieux traversés par un film presque perpétuellement en mouvement. La détermination ahurie de l’agent Gallagher, qui se soucie peu des formes revêtues par son ennemi, n’en apparaît que comme plus amusante.
Le principal reproche pouvant être adressé à Jack Sholder est ce dénouement nigaud quelque peu “spielbergien”, à base de fraternisation interplanétaire et de sacrifice altruiste. Un propos déjà latent lors d’une scène (le repas chez les Beck), qui tend cette fois à conformer le film aux vrais buddy movies. Un peu hors-sujet dans une œuvre comme Hidden, qui sous ses oripeaux tape à l’œil cache une appréciable méchanceté gratuite. Réalisateur d’Alone in the Dark et de La Revanche de Freddy pour le compte de la New Line (tout comme Hidden), Jack Sholder s’imposait alors comme un réalisateur à suivre, et ce n’est pas Sidney Lumet qui vous dira le contraire, lui qui récompensa Hidden du grand prix au festival d’Avoriaz 1988 (année ou le Prince des ténèbres de Carpenter et le Robocop de Verhoeven furent également en compétition). Dommage qu’il n’ait finalement jamais su concrétiser ces belles promesses.