Haute tension – Alexandre Aja
Haute tension. 2003.Origine : France
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A l’approche de leurs examens, deux étudiantes, Alexia et Marie (Maïwenn et Cécile de France), se rendent à la campagne chez les parents de la première pour réviser au calme. Un vœu pieu rapidement battu en brèche par l’irruption quelques heurs après leur arrivée d’un tueur sanguinaire. Une fois la famille d’Alexia décimée, il kidnappe cette dernière et la jette à l’arrière de sa vieille fourgonnette, sans se douter que Marie a pu se glisser à l’intérieur. Un cruel jeu du chat et de la souris s’engage alors…
Alexandre Aja, deuxième. Après un premier long passé inaperçu (Furia, 2000), en dépit de la présence au générique d’une Marion Cotillard loin d’être la vedette “internationale” que nous connaissons aujourd’hui mais tout de même auréolée du succès de Taxi, le jeune réalisateur persévère dans le cinéma de genre avec ce Haute tension qu’il souhaite dans la lignée de Evil Dead, Massacre à la tronçonneuse ou encore Maniac. Des classiques du cinéma d’épouvante que l’on retrouve régulièrement cités dès qu’il s’agit de promouvoir un film de genre, et qui ont tous eu droit à leur remake. Loin d’être un gage de qualité, ces références récurrentes relèvent à la fois d’une certaine paresse et de la volonté de parler au plus grand monde sans qu’il y ait forcément un réel lien entre le film ainsi promu et ces illustres modèles. De fait, Haute tension se réclame davantage du survival tout en cédant à la mode du moment : le retournement final, plus communément appelé le ” twist”.
Réaliser un bon film d’horreur tient de la gageure tant le genre se retrouve paralysé par toute une série de poncifs que je m’étonne encore aujourd’hui de voir régulièrement reconduits avec un tel aplomb. A croire que ces films ne veulent s’adresser qu’à des spectateurs vierges de tout antécédent dans le domaine, et donc qui ne pourront pas anticiper tel ou tel événement. Je n’en reviens toujours pas que de nos jours, les réalisateurs ne puissent pas faire l’économie de ce que je qualifierais de “résurrection-minute”. Cette manie de ranimer l’odieux tueur qu’on croyait mort afin de prolonger l’horreur d’une scène choc supplémentaire et purement gratuite me laisse à chaque fois circonspect devant ce que je considère comme une marque de facilité. C’est d’autant plus étonnant que Wes Craven s’était ostensiblement moqué de ce procédé à l’occasion de Scream en 1996, et que depuis on aurait pu penser que les réalisateurs de films d’horreur s’y reprendraient à deux fois avant de recourir à ce genre de stratagème. Que nenni ! Les gens du cinéma n’ont semble t-il retenu que l’aspect parodique du film de Wes Craven, le reconduisant ad vitam eternam dans des productions affligeantes dénuées de tout recul sur le genre abordé, et préférant se vautrer allégrement dans les clichés plutôt que de les contourner. Au moins, à défaut d’originalité (Alexandre Aja aime bien que ses morts se relèvent une dernière fois), le jeune réalisateur témoigne t-il d’un certain sérieux au moment d’aborder le genre, se refusant à toute distanciation malvenue. Alexandre Aja se refuse donc à parasiter son film par quelques touches d’humour, mais s’autorise néanmoins un soupçon d’ironie, laquelle ne prend tout son sens qu’une fois le twist éventé. Cependant, le sérieux affiché de l’entreprise n’empêche nullement la distanciation tant redoutée avec le spectateur.
Un film d’horreur est un édifice à l’équilibre fragile qui demande un certain doigté pour que la tension demeure prégnante sur toute sa longueur sans jamais relâcher son étreinte sur le spectateur. A ce titre, le pouvoir de suggestion s’avère souvent plus efficace qu’un trop plein d’hémoglobine, détail que semblent pourtant oublier bon nombre de réalisateurs, et relayé par cette idée reçue selon laquelle un film interdit aux moins de 16 ans doit forcément être traumatisant. Ici, Alexandre Aja a pris le parti de ne rien cacher, hormis la mort d’un enfant. Il est toujours amusant de constater la frilosité de certains tenants de l’horreur dès qu’il s’agit de s’attaquer aux enfants de manière frontale. Son jusqu’au-boutisme affiché en prend un sérieux coup dans l’aile, alors que rien ne l’obligeait à placer un garnement au sein de cette intrigue. Que le tueur s’attaque ou non à un enfant ne change rien à la manière d’appréhender le personnage, qui n’en devient pas plus haïssable après qu’il l’ait tué qu’avant. Par contre, le voir décapiter quelqu’un à l’aide d’une commode, ou taillader un pauvre bougre à la scie circulaire avec force jets d’hémoglobine tend à desservir le climat horrifique souhaité. Il devient alors difficile dans ces conditions de prendre ce que l’on voit au sérieux tant le côté outrancier de l’entreprise transparaît aussi ouvertement. Le gore prend alors le pas sur l’horreur, et si ce parti pris est propice à de jolies illustrations à l’attention de la presse spécialisée, il l’est beaucoup moins pour le maintien d’une terreur sourde qui se voit ainsi totalement désamorcée. La suite n’est alors plus qu’un vain exercice de style lors duquel le réalisateur joue la carte du suspense, sans se départir de quelques menues incohérences. Certaines servent les desseins du scénario comme le fait de voir Alexia dormir avec des boules quiès dans les oreilles alors que 2 minutes auparavant elle vantait la tranquillité de l’endroit. Il fallait au moins ça pour justifier qu’elle ne se réveille pas alors que sa famille se fait décimer. D’autres sont plus amusantes, comme l’habitacle constamment éclairé de la voiture que conduit Marie alors qu’elle a éteint ses phares pour ne pas être repérée par le tueur. Mais tout cela n’est rien comparé à la foultitude de questions sans réponses que soulève le fameux twist du film, pour le coup réellement surprenant tant celui-ci paraît tiré par les cheveux. Certes, et comme il est de coutume avec ce genre de procédé, on peut s’amuser après coup à relever les indices distillés ci et là tout au long de l’intrigue. Ceux-ci existent et démontrent que le film a été mûrement réfléchi. Toutefois, ils ne sauraient cacher bien longtemps le côté roublard de l’entreprise, qui se dote de surcroît de quelques fautes de goût à visées psychanalytiques une fois que le pot aux roses est connu.
A l’époque de la sortie du film, Alexandre Aja avait immédiatement été présentée comme le messie d’un cinéma de genre moribond par une presse spécialisée jamais avare en termes dithyrambiques, et fâchée avec la mesure. Un état de grâce qui s’est depuis confirmé alors que le réalisateur est parti faire carrière aux États-Unis. Pourtant, rien ne justifie un tel engouement, le bonhomme se révélant incapable d’apposer un œil neuf sur les genres abordés. Haute tension est un film qui se noie dans la masse du tout-venant horrifique, avec des personnages à la psychologie aussi sommaire qu’immédiatement identifiable. Peut-être moins maladroit derrière la caméra que certains de ses pairs, Alexandre Aja n’en demeure pas moins irritant par sa propension à se vautrer dans la facilité et le clin d’œil entendu.