Guess what we learned in school today ? – John G. Avildsen
Guess what we learned in school today ?. 1970Origine : Etats-Unis
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Avoir réalisé deux Rocky et trois Karaté Kid, ça vous catalogue son homme. Réalisateur familial, ni nul ni génial, s’effaçant devant ses influents acteurs (il a tout de même dirigé entre autres Sylvester Stallone, Jack Lemmon, Marlon Brando, George C. Scott et Morgan Freeman sans en être devenu très célèbre pour autant), voilà ce qui caractérise la carrière du John Gilbert Avildsen post-Rocky. En revanche, s’attarder sur son début de carrière (démarrée à la fin des années 60), c’est se plonger dans des univers de débauche incluant des hippies, des substances illicites, des alcooliques, des gens sexuellement libérés dans des films appartenant parfois pleinement au cinéma d’exploitation. On retrouve ainsi Avildsen aux commandes de la comédie érotique Cry Uncle, produit par Lloyd Kaufman et plus tard distribué en vidéo par sa Troma. Pour autant, ses films ne sont pas forcément guillerets, comme en témoigne Joe, drame des moeurs avec Peter Boyle et Susan Sarandon pour sa première apparition à l’écran. Quel que soit leur traitement, ces films s’inscrivent tous dans des préoccupations typiques de leur époque. Sur le mode “farce”, Guess what we learned in school today ? aussi, et pas qu’un peu.
Le quartier est en émoi : le docteur Lily Whitehorn (Yvonne McCall) se propose de donner des cours d’éducation sexuelle aux enfants. Le très réac ménage formé par le militaire Lance Battle et sa femme Rita (Zachary Hains et Jane McLeod) est clairement contre, eux qui ont toujours tout fait pour préserver l’innocence de leur fils Robbie (Devin Goldenberg), âgé de 17 ans mais naïf comme un gamin de 10 ans. Les Manley, leurs voisins, sont pour leur part divisés sur le sujet. Femme libérée, voire dissolue, Eve (Rosella Olsen) est bien contente de l’arrivée du Dr. Whitehorn. Par contre, son mari Roger (Dick Carballo) trouve cela scandaleux. Et pour cause : flic de profession, il consacre sa carrière au combat contre la pornographie sous toutes ses formes. Pour lui, aucun doute : le Dr. Whitehorn fait partie d’un vaste complot communiste.
Ce sujet est certes on ne peut plus évocateur de la révolution sexuelle de son époque, mais il n’est pas le seul élément à faire du film une oeuvre typique de son année de production. Quoi que cela soit saugrenu compte tenu du scénario très limité rédigé par un habitué des nudies, le montage évoque également ces films arty dans lesquels la narration est explosée au mépris des unités de temps et d’espace. Les transitions se font ici très brusquement, sans aucune logique, avant même que les personnages de l’intrigue ne nous soient pleinement connus, et le réalisateur quitte une scène pour mieux y revenir après en avoir démarré une autre (sur laquelle il reviendra ensuite… ou non). D’où la sensation d’être d’entrée de jeu déstabilisés par Avildsen. Puis l’on finit par s’y faire, et par ne plus guère remarquer le procédé. J’avoue cependant ne pas très bien comprendre la signification d’un tel montage dans le cas présent, où aucun jeu particulier n’est effectué sur la notion de temps (si ce n’est quelques flash-backs rudimentaires). L’explication la plus logique semble être que le réalisateur, conscient de la maigreur de son scénario, a cherché à dynamiser son film par un autre moyen, celui de l’anarchie narrative. Un peu dans le même esprit que les deux “films sandwichs” qui n’avaient pas encore été tournés par John Landis, sauf que les gags sont ici inscrits dans une intrigue qui ne demandait qu’à rester linéaire, et non dans une suite de sketchs hétéroclites sur une même thématique (la télévision, un sujet très large, qui justifiait que les films de Landis partent dans toutes les directions). En gros, disons que la forme complexe ne colle pas vraiment au fond simpliste. Après tout, le film ne progresse jamais vraiment : il n’est jamais question pour les anti-Whitehorn d’être crédibles, Roger Manley ne cherche jamais à l’arrêter, et il faut attendre la dernière demi-heure pour que l’éducation sexuelle de Robbie Battle soit effectivement remise en cause. Tout le monde s’agite, mais rien ne bouge. Pas étonnant que le montage apparaisse pompeux. Il ne subsiste en fait qu’une succession de gags légers, tellement légers qu’ils donnent l’impression que Avildsen ne souhaite pas s’impliquer personnellement dans le débat autour de la révolution sexuelle. Il est difficile de considérer Guess what we learned in school today ? comme une satire, tant le scénario reste minimaliste, se contentant de grossières caricatures désignant un camp et un autre. Si l’on devine que le réalisateur penche plutôt du côté progressiste, cela est dû uniquement au fait qu’il s’acharne davantage sur les tares des réactionnaires (ou des conservateurs, si l’on juge qu’ils n’avaient pas encore perdus leur combat), qui pour le coup sont à la limite d’être surchargés. Le militaire et le flic, nommés respectivement Battle et Manley (combat et masculin), soit deux catégories vouées à défendre l’ordre en place, la paranoïa anti-communiste, l’hystérie de l’un (qui ne remarque pourtant pas que sa femme incarne tout ce qu’il combat) et l’hypocrisie de l’autre, l’impuissance du bidasse et l’homosexualité refoulée du poulet, tout cela fait beaucoup. Par chance, les acteurs s’avèrent être doués et Avildsen préfère voir ces traits comiques sous l’angle de la légèreté plutôt que sous celui du graveleux… Ce qui ne rend pas les gags plus drôles, mais qui au moins empêche le film de devenir vulgaire. C’est une qualité qu’il faut lui reconnaître dans son ensemble : malgré son sujet, malgré les nombreuses situations polissonnes qu’il met en scène, malgré la lourdeur des personnages, il ne se rapproche jamais des comédies pour adolescents du type American Pie. Quoique globalement mauvais, le film dispose encore de cette fraîcheur et de cette spontanéité qui est de nos jours bien rare dans les comédies traitant de la sexualité. C’est là que l’on voit qu’il a bénéficié de l’époque de sa réalisation.
Pour peu, on pourrait penser que les réactionnaires ne sont en fait que les hommes. Ce constat est évité de justesse par la présence de Rita Battle, ménagère digne des années 50, qui est cependant moins à cheval sur les principes que son mari, puisque les visites régulières de sa voisine Eve (un prénom éloquent -d’ailleurs la symbolique de la pomme est omniprésente, cf. l’affiche-), qui lui fait fumer des joints avant de causer sexe, entraînent chez elle de fréquentes entorses à ses principes. On sent bien que Rita est une femme frustrée, et que les joints lui permettent de passer le rubicon qu’elle n’ose franchir en état de sobriété. C’est en quelque sorte un personnage de transition, seule marque d’ambiguïté au milieu des deux camps en lutte. C’est aussi, hélas, le personnage le moins marquant. Car du côté de Eve, du Dr. Whitehorn ou de Lydia, leur parti-pris est aussi prononcé que celui des maris qu’elles affrontent. La voisine qui se propose de prendre en main le jeune Robbie, la scientifique qui organise des camps naturistes pour y donner des leçons et la baby-sitter du même âge que celui qu’elle est censée surveiller, toutes sont moins sujettes au ridicule que les hommes, mais elles ne se montrent pas pour autant plus malines. Leur ouverture d’esprit est tout autant excessive, et dépasse d’assez loin le cadre de la liberté des moeurs. Ce qui permet au réalisateur de proposer plusieurs scènes dignes des nudies, venant rappeler que Guess what we learned in school today ? est une comédie de mœurs certes, mais une comédie de moeurs et d’exploitation quand même.
Reste Robbie, le fils innocent. A tout prendre au milieu d’un humour jamais très drôle, c’est encore lui qui se révèle le plus amusant. Sa candeur enfantine évoque vaguement la Justine de Sade, et plutôt que l’autorisation ou non des cours du Dr. Whitehorn, c’est sa propre destinée qui suscite l’interrogation. Restera-t-il un gamin, ou s’adaptera-t-il à son temps ? C’est en fait la seule et unique question d’un film décidément trop simpliste (ou simplet) pour être convaincant.