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Gremlins 2 : La Nouvelle génération – Joe Dante

gremlins2

Gremlins 2 : The New Batch. 1990

Origine : États-Unis
Genre : Comédie
Réalisation : Joe Dante
Avec : Zach Galligan, Phoebe Cates, John Glover, Dick Miller…

Le succès commercial de Gremlins fut fracassant. Seuls trois films firent mieux en cette année 1984, dont Indiana Jones et le temple maudit de Steven Spielberg, heureux producteur exécutif du film de Joe Dante avec sa société Amblin Entertainment. Ravis de la fortune amassée par ce qui ne devait être au départ qu’un film d’horreur à moyen budget, Spielberg et ses distributeurs de la Warner décidèrent sur le champs d’une séquelle. Guère intéressé par ce projet qu’il jugeait inutile, Joe Dante quitta très tôt le projet après qu’une de ses idées ait été mise dans les cartons. Amblin et Warner cherchèrent donc un nouveau réalisateur capable de donner vie à Gremlins 2. En vain. Plus le temps passait, plus le public risquait d’oublier le film original. Devant l’urgence, Joe Dante fut donc une nouvelle fois rappelé, avec la promesse de concevoir le film comme bon lui semblait, pour un budget triplé par rapport à celui de Gremlins premier du nom. Et le réalisateur de ressortir le concept déjà avancé quelques années plus tôt, lors des premières tractations pour la séquelle : Gremlins 2 devait s’appuyer sur son prédécesseur pour mieux l’enterrer, partageant ainsi un esprit très auto référentiel avec son public. En d’autres termes, là où Gremlins fut le résultat de la collaboration entre Spielberg et Dante, Gremlins 2 allait être totalement le film de son réalisateur.

Rédiger un scénario ne fut pourtant pas une tâche aisée. Il fallut plus d’un an pour aboutir à quelque chose, période pendant laquelle Rick Baker, le nouveau responsable des effets spéciaux, eut tout loisir de créer de nouveaux profils pour les Gremlins. Dante trouva finalement son bonheur avec l’aide de son ami Jonathan Kaplan, qui le mit en relation avec Charlie Haas, scénariste au passé de journaliste, auteur d’un article sur les “immeubles intelligents”. Les deux hommes tombèrent d’accord pour reprendre cette idée et développèrent le scénario de concert. Situé à New York, le nouveau Gremlins allait se dérouler presque intégralement dans la tour Clump, immeuble d’affaires ultra-moderne construit à l’initiative du promoteur Daniel Clump (John Glover). Toujours en couple, Billy et Kate (Zach Galligan et Phoebe Cates) travaillent tout les deux pour Clump, le premier en temps que dessinateur au département artistique, la seconde comme guide touristique. C’est par un énorme hasard que Billy se rendra compte que le mogwai Gizmo, livré à lui-même après la mort de son maître chinois, se trouve dans les mains du département génétique dirigé par le Dr. Catherer (Christopher Lee). Bien entendu, après l’avoir libéré, une série de malchances va mener à la réapparition des Gremlins… Bien dure sera la tâche de Billy et de Kate (mais aussi de Murray Futterman / Dick Miller, venu avec sa femme rendre une visite à ses anciens voisins) pour éviter que les Gremlins ne vivent jusqu’à la nuit prochaine, moment où ils pourront quitter l’immeuble pour envahir New York.

Dès le départ, Dante prend ses distances avec le premier Gremlins. Cette séquelle débute elle aussi à Chinatown, mais cette fois, aucun artifice de Noël, aucune voix off pour nous “raconter une histoire”. Chinatown est grise, sale, et Daniel Clump envoit son chien de garde Forster (Robert Picardo) racheter la boutique du vieux chinois au Mogwai, dernière entrave à l’implantation d’un nouveau complexe architectural moderne. Le chinois refuse, mais dès la scène suivante il est mort, les grues détruisent son établissement et libèrent Gizmo, aussitôt intercepté par les généticiens du Dr. Catherer. Symboliques, la démythification et la destruction de Chinatown indiquent que Dante a décidé de s’affranchir de toutes les bribes d’émotion et de premier degré qui servaient de base aux moqueries de Gremlins. Gremlins 2 est un film qui a conscience d’être un film. Dante ne prétend aucunement sacraliser l’histoire racontée, bien au contraire : tout du long, le réalisateur se moque des conventions cinématographiques et s’adresse directement au spectateur en lui soumettant un défilé de gags faisant appel à sa propre conscience d’assister à un film. Les libertés prises avec les structures classiques du cinéma sont justement à l’origine de cette proximité entre le cinéaste et son public : le manque de repère sous-entend que le réalisateur détruit la barrière qui le sépare habituellement de ses spectateurs. Généralement impliqué émotionnellement ou intellectuellement par un film, le spectateur n’est pas habitué à être pris à parti directement par le réalisateur du film projeté et à se retrouver dans le film. Le plus bel exemple de ce parti-pris hérité de la tradition des trains fantômes, des films de William Castle et du film Hellzapoppin’ intervient au milieu de Gremlins 2, lorsque la pellicule du film semble se détruire pour laisser place à une horde de Gremlins débarquant en plein cinéma, provoquant l’ire de Hulk Hogan, videur catcheur averti par un patron de cinéma qui doit aussi faire face à un public mécontent (scène remplacée dans l’exploitation vidéo par une bande magnétique qui saute et par une invasion de Gremlins auprès de John Wayne). Directement repris au Désosseur de cadavres de William Castle, ce procédé (accueilli froidement par les pontes de la Warner) détruit littéralement l’écran séparant le réalisateur du spectateur et entérine l’implication active de ce dernier dans ce qu’il regarde.

En cela, Gremlins 2 a tout du film “train fantôme”, dans lequel les gags lui explosent à la gueule sans s’annoncer. L’introduction (réalisée par Chuck Jones) ouvre ainsi le film sans équivoque : Bugs Bunny et Daffy Duck s’adressent directement à la caméra, et donc au spectateur. Elle annonce aussi toute l’influence des cartoons, qui avec leurs énormités enjoignant aux spectateurs de ne pas accorder trop d’importance à l’histoire racontée donnent la mesure humoristique du film de Dante. Sachant pertinemment que tout le monde s’attend assister à une redite de Gremlins, l’ancien poulain de Corman prend un malin plaisir à détruire toutes les icônes installées (et déjà quelque peu écornées dans la foulée) par le premier volet. La destruction de Chinatown est le premier de ces déboulonnages. Suivront les multiples humiliations et tortures imposées à Gizmo, l’attaque des Gremlins sur le critique Leonard Maltin qui a l’outrecuidance de dénigrer le premier film, la mise en boîte des fameuses règles entourant les mogwais (les problèmes des fuseaux horaires et de la nourriture coincée entre les dents qui rendent complexe la règle des repas après minuit), la variation toujours plus glauque du “monologue de Kate” (écourtée avec empressement par Billy avant que la pédophilie ne soit mentionnée) etc etc… Et puis bien sûr, en point d’orgue, il y a la nouvelle génération de Gremlins, plus visqueux que leurs ancêtres.

Profitant du laboratoire de génétique, Dante invente tout un tas de Gremlins atypiques : le gremlin intellectuel, le gremlin Arcimboldo, le gremlin araignée, le gremlin électrique, le gremlin fantôme de l’opéra, le gremlin chauve-souris, les gremlins “Laurel et Hardy”, la gremlin femme fatale…. Poussant infiniment plus loin le concept des gremlins originaux, Dante imagine tout ce qui lui passe par la tête (avec l’aide de Rick Baker) pour faire de ses bestioles de véritables épicuriens, qui ne jurent que par leur quête du plaisir. Dante revient aussi aux sources des gremlins, à leur fonction de faire dérailler la technologie. Déjà très propice aux dysfonctionnements, l’immeuble Clump tombe en ruine sitôt que les gremlins y sont lâchés. Le film se transforme alors en véritable chaos, jusqu’à l’orgie finale, une fête où le gremlin intellectuel chante du Sinatra sous les cotillons et les confettis. En post-production, Spielberg ordonna quelques coupes, craignant le trop plein de gags aussi bien que la longue durée du film (Dante et son fidèle producteur Michael Finnell s’y plièrent bien volontiers). Il n’y a pas à s’y tromper : Dante préfère mille fois ses gremlins, largement plus sympathiques que le gentil Gizmo (qui, gavé à la télévision et trop martyrisé par ses cousins se prend pour Rambo face aux Viet-Congs…) ou que des humains caricaturaux bien trop sages : le vilain Forster (équivalent de la Deagle du premier film), Billy et Kate (qui en bon péquenots venus dans la grosse ville semblent ironiser sur L’Extravagant Mr. Deeds de Capra), le patriote Murray Futterman et sa femme mielleuse, la carriériste patronne de Billy, le sadique Catherer (Christopher Lee est bien à sa place) etc etc…

Seul un personnage dispose d’une personnalité un peu plus inhabituelle : Daniel Clump. Capitaliste obsessionnel par nature et non par choix, Clump possède une certaine innocence qui le déconnecte totalement des réalités (d’où cet immeuble surréaliste) et qui le fait s’enthousiasmer comme un gamin à la moindre évocation d’une manœuvre financière. Son projet de développer le merchandising autour de Gizmo laisse à songer que Steven Spielberg servit au moins partiellement de modèle au personnage. Mais le patron de Amblin Entertainment n’est pas le seul visé : avec Clump (dont le nom évoque également Donald Trump) et sa tour, Dante brosse une satire mordante de l’évolution de la société et de la technologie, se détachant petit à petit des valeurs humaines pour une société machinale et robotisée. Avec ses Gremlins (c’est à dire les représentations des défaillances de la technologie), Dante imagine un retour de bâton tonitruant. Leurs penchants anarchiques sont tout aussi prononcés que l’est la bêtise de cet immeuble “intelligent” et du système capitaliste absurde qui le gouverne.

Joe Dante n’aura donc pas utilisé sa carte blanche pour rien. Il sera parvenu à réaliser un film de studio plus que subversif : il s’agit d’un véritable bras d’honneur adressé au principe des séquelles, à la conception hollywoodienne du cinéma, à l’évolution de la société… Puisant ses racines dans un cinéma populaire dont il n’a de cesse de s’inspirer (énormément de références cinématographiques sont encore à signaler) mais dont plus grande monde n’avait envie d’entendre parler, Gremlins 2 se pose en brûlot satirique qui consterna Steven Spielberg et qui inspira la plus grande crainte à la Warner. Dante avait si bien réussi son coup que même un remontage n’aurait rien changé : incapables d’exploiter ce qu’avait filmé Dante dans le sens qu’ils auraient souhaité, les pontes de la Warner sortirent le film en l’état. De l’aveu même de Joe Dante, Gremlins 2 fut le film de gros studio sur lequel il connut le plus de liberté. Il en a rudement bien profité.

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