Fureur aveugle – Efren C. Piñon
Blind Rage. 1978Origine : Philippines
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Pour combattre le communisme galopant en Asie, le gouvernement américain dépose 15 millions de dollars dans une banque à Manille. A charge pour le banquier américain Johnny Duran (Charlie Davao) de gérer cet argent. Mais cette manœuvre, première étape d’un plan à long terme baptisé ESA, arrive bien vite aux oreilles d’un vilain bandit, qui s’en va aussitôt corrompre Duran, lequel ne demande pas mieux. Leur plan est simple comme bonjour : organiser le braquage de la banque. Et pour fausser les pistes, ils ont la bonne idée d’embaucher quatre criminels venus de pays différents… mais qui ont en commun d’être aveugles. Sally (Leila Hermosa), prof de sport au salaire trop chiche, accepte volontiers de les entraîner et de coordonner le braquage. Elle ramène même un cinquième larron, lui aussi aveugle.
Une intrigue suffisamment tordue, un réalisateur spécialiste du bis philippin, un acteur -Fred Williamson- en plein dans sa période funky… Fureur aveugle a de quoi aguicher l’amateur de ces productions saugrenues des années 70, et qui ont finalement couvert un horizon cinématographique assez large. C’est hélas une assez mauvaise pioche, tant ses arguments sont peu exploités. Et comme souvent dans ces cas là, lorsque le potentiel saugrenu n’est pas mis en avant, la base débile de l’édifice n’en ressort qu’avec plus de vigueur sans l’humour qui va avec. C’est à dire que puisqu’il n’y a rien d’autre que l’inanité du scénario sur quoi se concentrer, chaque incohérence devient criante. Et le scénario de Fureur aveugle n’a définitivement aucun sens : comment 15 millions de dollars envoyés à Manille et destinés aux pays d’Asie du sud-est peuvent-ils servir dans la lutte contre le communisme ? Pourquoi le gouvernement américain réunit-il plusieurs experts pour finalement confier la première étape de sa mission (les autres ne sont même évoquées) à un banquier minable disposant d’à peine 1500 dollars sur son compte en banque (donnée obtenue par les vilains corrupteurs) ? Et qu’est-ce que c’est que cette stratégie foireuse visant à brouiller les pistes de la police en engageant des aveugles si ces mêmes aveugles sont déjà très bien connus des services de police ? Surtout que l’un d’entre eux vit à Manille… Ce genre d’absurdités prédomine, et la raison en est que Piñon ne parvient pas voire ne veut pas s’engager dans la voie de la gaudriole qui était toute tracée. Comme si il prenait véritablement son sujet au sérieux… Difficile à croire, surtout dans l’entame du film, qui du générique à l’entraînement des cinq aveugles laissait à penser que le réalisateur allait effectivement jouer la carte de la fuite en avant pour échapper à son scénario douteux.
La présentation de quelques uns (pas tous, on ne sait pourquoi) des bandits nous montre en effet comment ils sont devenus aveugles, généralement suite à des affaires pas très claires liées à la mafia ou aux triades. Cela inclue une fourchette (au sens rugbystique, pas ménager), de l’acide et même, quoiqu’en hors champ, une perceuse. En outre, ces bandits venus de différents pays avaient suffisamment de potentiel pour composer un gang de grandes gueules remarquables… Je pense notamment au hong kongais Lin Wang, adepte d’arts martiaux, et au torero mexicain Hector Lopez (c’est même la lutte contre un taureau qui l’a rendu aveugle !). Tout cela sous la houlette d’une jeune femme dont la simple présence -c’est la seule femme du film hors figurantes- laisse supposer une certaine tension parmi tous ces mâles sans foi ni loi. Las, il ne se passera rien, si ce n’est lors d’une scène où l’un des bandits joue les chevaliers servants face à un autre. Et en fait il ne se passera plus grand chose de remarquable au long du film : ni l’entraînement ni le casse ne sont mis en valeur. Tout est beaucoup trop discipliné, trop carré, et les personnalités s’en retrouvent étouffées. Avec elle, c’est l’espoir d’assister à un spectacle aussi peu conventionnel que ne l’est le postulat du film qui s’envole. Le fait que les cinq bandits soient aveugles finit par se faire oublier… Tellement que lors du casse, personne à la banque ne s’aperçoit de l’infirmité générale. L’entraînement, qui n’a franchement rien de cinégénique (on leur apprend le nombre de pas qui sépare tel guichet de tel bureau, et où sont positionnés les gardes) a en parti conduit à ce gâchis. La cécité même, qui aurait dû servir d’atout -après tout, c’est du même tonneau que les samouraïs aveugles ou manchots- devient un frein au spectacle. Le casse s’effectue de façon très sage : ” Que personne ne bouge !”, et effectivement, personne ne bouge, à part deux ou trois malheureux qui ont le malheur d’avoir dérangé l’ouïe fine de nos cinq comparses et qui se prennent une balle. Une simple bagarre isolée émaille cette scène, mais sans trop de relief. Tout un pataquès au sujet du recrutement et de l’entraînement en vue d’une scène tant attendue, une scène clef, qui s’avère moins relevée que les vignettes de présentation des cinq aveugles. Piñon ne joue même pas la carte du suspense, puisque le coup étant fort bien préparé il n’y a pas de menace directe susceptible de faire partir le casse dans un bain de sang.
Ce qu’il a manqué à Fureur aveugle jusqu’ici, c’est la présence d’un personnage remuant vraiment mis en avant, capable de sortir le film de la pourtant évitable torpeur dans laquelle il a fini par plonger. Et ce personnage, il n’arrive qu’à la toute fin : le flic Jesse Crowder joué par Fred Williamson, envoyé pour mettre la main sur les membres du gang (qui à ce stade ne sont plus très nombreux), lesquels n’avaient ni leader clairement identifié ni ennemi déclaré capable de les galvaniser. Tout ce qui précède l’arrivée de Williamson n’a été en fin de compte qu’une vaste attente, guère plus fascinante que la lecture de Télérama dans la salle d’attente d’un médecin. On aurait presque l’impression que Fred Williamson n’a pas pu se libérer avant, et que par conséquent tout le reste ne fut que remplissage conscient. Peut-être est-ce le cas… Toujours est-il que Williamson incarne le personnage de Jesse Crowder, son Harry Callahan à lui, qu’il avait déjà campé dans No way back, dans Protection rapprochée et qu’il allait reprendre pour The Last fight. Des quatre opus contenant Crowder, Fureur aveugle est le seul à ne pas être américain et à ne pas avoir été réalisé par Williamson. Du coup, il n’est pas impossible que ce troisième volet de la saga ait été refourgué dans l’urgence aux amis philippins, avec à charge pour eux de se débrouiller pour ne pas voler prématurément la vedette à l’acteur principal jusqu’à son arrivée, tout de bleu vêtu, avec coiffe afro, grosse moustache et cigarillo au bec. Un flic funky digne de la blacksploitation dont il est issu, sous-genre dont le présent film ne demandait qu’à reprendre le brin de folie caractéristique, quitte à se passer des services de Williamson. Lorsque Crowder débarque pour la chasse aux méchants il est déjà trop tard : en dépit de son rayonnement 70’s bien marqué, l’acteur n’a rien d’autre à nous offrir qu’une course-poursuite venant conclure le film sur une touche de dynamisme bien trop légère pour sauver un ensemble transparent laissant apparaitre des défauts de cohérence importants. Fureur aveugle est un peu un film d’exploitation sans exploitation, et un film de Fred Williamson sans Fred Williamson…