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Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages – Michel Audiard

 

fautpasprendre

Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. 1968

Origine : France 
Genre : Comédie 
Réalisation : Michel Audiard 
Avec : Françoise Rosay, Bernard Blier, Marlène Jobert, André Pousse…

Jeune femme capricieuse, Rita (Marlène Jobert) a une grande passion, l’argent, et une moins grande, les hommes, de préférence des gangsters fortunés. Avec le vol d’un milliard de francs en lingots d’or (butin lui-même volé par un autre gang à une banque franco-libyenne), elle aurait de quoi être heureuse en compagnie de son copain du moment, Fred l’élégant (André Pousse). Mais non : en échange de la moitié du magot elle a trahi Fred au profit du gang de Charles le téméraire (Bernard Blier), qui vient donc braquer ses collègues et concurrents. Charles refuse cependant de verser sa part à Rita. Vexée, celle-ci demande de l’aide à sa tantine Léontine (Françoise Rosay), légende de la pègre parisienne que l’on pensait retraitée. Pour comprendre la réaction que ce retour entraîne, écoutons Charles le téméraire s’adressant à ses hommes : “Messieurs, si je vous ai arrachés à vos pokers et à vos télés, c’est qu’on est au bord de l’abîme. La maladie revient sur les poules. Et si j’étais pas sûr de renverser la vapeur, je vous dirais de sauter dans vos autos comme en 40. Le tocsin va sonner dans Montparnasse. Il y a le choléra qu’est de retour. La peste qui revient sur le monde. Carabosse a quitté ses zoziaux. Bref, Léontine se repointe“.

Premier film de Michel Audiard en tant que réalisateur, et si l’on peut dire que les dialogues de l’homme sont aussi atypiques qu’à l’accoutumée, il est en revanche bien difficile d’être convaincus par ses qualités de cinéaste. Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages (un des titres les plus longs du cinéma français, caractéristique du Audiard réalisateur) se distingue en effet par sa construction particulièrement bordélique, pensée certainement dans le but de renforcer les effets absurdes. A plusieurs occasions, des cartons et sous-titres envahissent l’écran, permettant au spectateur de se repérer au milieu d’un capharnaüm de scènes incluant une vaste galerie de personnages assez inégaux. A titre d’exemple, le film démarre ainsi avec Rita qui, nue et lascive, se présente au spectateur, amenant celui-ci à penser que le personnage de Marlène Jobert sera le principal moteur du film. Puis d’un coup surgit un carton “et pendant ce temps-là” nous retraçant l’histoire du vol des lingots (avec une apparition de Jean Carmet en superstitieux extrémiste), avant le retour de Rita qui finit sa présentation, et qui finalement se fera très vite voler la vedette par sa tantine et par Charles le téméraire. Ce procédé très maladroit n’est pas sans nuire au rythme du film, le privant d’une grande part de spontanéité, c’est-à-dire d’un des principaux ingrédients des scénarios de Michel Audiard. Un peu à l’image de son générique (un dessin animé pas franchement drôle), Audiard semble s’être lancé dans un style assez “bande-dessinée” prenant bonne distance des réalités physiques et adressant moult clins d’œil aux spectateurs, à travers les fameux cartons, ou encore en faisant parler ses personnages directement à la caméra, donc au public. Dire qu’à ce point de vue l’échec est complet serait exagéré, quelques cartons (généralement écrits avec des imbécilités) sont amusants, de même que quelques interpellations du spectateur font mouche (principalement celles de Marlène Jobert, dont le personnage n’a par ailleurs pas grand intérêt face aux figures de gangsters bien mieux maîtrisées par Audiard). Il n’empêche que globalement, Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages se distingue par une certaine exagération, par une volonté d’en faire trop qu’Audiard ne semble pas maîtriser, certains gags étant aussi poussifs que pesants (l’excellent Bernard Blier qui devient fou et récite des comptines enfantines en titubant).

Malgré ses grossiers défauts, le film parvient tout de même à rester loin au dessus des comédies françaises de maintenant, justement lorsque Audiard parvient à stabiliser son attention sur des scènes posées, traversées de ces impayables dialogues propres au scénariste. Peut-être en reflet aux critiques qu’il avait subi lors de l’avènement de la Nouvelle Vague, Audiard se plait volontairement à introduire des bandits vieille école dans le cadre psychédélique du Paris de 1968. La différence entre les anciens (Léontine, Charles) et les nouveaux (Rita, Tiburce -le neveu de Charles-) est criante : là où les premiers se distinguent par leur charisme et par les dialogues que l’on connait bien, les seconds se font remarquer par leur féroce immaturité. Tiburce, nouveau petit ami foireux de Rita, ne peut ainsi se retenir de verser dans la comédie musicale lorsqu’il évoque ses sentiments amoureux. La confrontation vieux cons / jeunes cons vue par Audiard est digne d’intérêt. Les vieux ne sont pas prêts de passer la main, et niveau humour, il faut bien admettre qu’ils sont encore loin au dessus des jeunes, à qui il reste tout à apprendre (“Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse avec cinq cents briques, hein ?! Surtout d’nos jours… Le SMIC est en plein chancelique, la TVA nous suce le sang, la Bourse se fait la malle… J’ai calculé, j’en aurais à peine pour cinq piges… J’aurais cinquante berges… Tu voudrais tout d’même pas que j’retourne au charbon à c’t âge-là, non ? Tu serais pas vache avec les vieux, des fois ?“).

Ce qu’il manque au premier film d’Audiard tient donc essentiellement à son rythme. Avec un peu plus de stabilité, avec moins de précipitation et d’exagération, Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages se serait certainement rapproché du niveau d’un Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques. Son heure et quart n’est pas foncièrement déplaisante : c’est juste qu’elle n’a rien de mémorable. Sa structure éclatée en est le principal obstacle. Fort heureusement, le réalisateur débutant se corrigera très vite.

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