Assaut sur la ville – Mario Caiano
Napoli spara. 1977Origine : Italie
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Sans être officiellement la suite de l’excellente Opération Casseurs d’Umberto Lenzi, Assaut sur la ville du vénérable Mario Caiano s’inscrit comme son descendant légitime, au titre de sa localisation dans la ville de Naples (d’ailleurs en VO le Lenzi se nomme Napoli Violenta et le Caiano Napoli spara), mais aussi de son personnage en commun (l’enfant Gennaro, interprété par Massimo Deda) et de la presque homonymie de leurs personnages principaux (le commissaire Belli joué par Leonard Mann succédant au commissaire Betti de Maurizio Merli et s’y référant à une occasion). L’histoire ne varie pas des masses, ni de celle d’Opération Casseurs ni de celle de bien des polars italiens : la ville est terrorisée par les incessants crimes et délits de la mafia, et la police a bien du mal à faire entendre sa voix. Comme d’habitude. Il ne reste plus qu’à répartir les rôles : Leonard Mann est donc le commissaire Belli, et Henry Silva est Santoro, le principal mafieux, contesté au sein même de son organisation mais protégé par le bon vouloir du vieux Don Alfredo (Enrico Maisto). La couverture de respectable entrepreneur de Santoro ne trompe personne, si ce n’est la justice, qui est aveugle et se laisse embobinée par les alibis fumeux du mafieux, pour la plus grande colère du commissaire Belli, nargué en permanence par son ennemi et fréquemment obligé d’outrepasser ses pouvoirs.
Encore un polar sécuritaire ? Non ! Assaut sur la ville est un film sans limites ! Son scénario a beau se réduire à peau de chagrin, Caiano dynamite toutes les conventions, oublie toute retenue, et transforme le sempiternel jeu des gendarmes et des voleurs en jeu des fachos et des mafieux ! Le tout bien entendu avec une violence comme seuls les italiens savaient la présenter : réduite au rang de simple banalité, d’une gratuité incroyable, d’une immoralité flagrante… Et, contrepartie de ce jusqu’au-boutisme, cette violence revêt des allures de comédie noire, cynique, presque voyeuse, bis jusqu’au bout des ongles. Chercher à différencer les flics des mafieux est illusoire : les premiers ont beau être officialisés par le pouvoir en place (qui, loin de la rue, n’a aucune idée de ce qui se trame), rien ne les distingue des mafieux qu’ils combattent. Tous deux volent les voitures des honnêtes citoyens lorsque le besoin s’en fait sentir, tous deux n’hésitent pas à se donner en spectacle, et tous deux n’ont pas peur de sortir leurs pétoires en pleine foule. Celle-ci est écrasée (parfois littéralement) par les deux camps en lutte, elle n’existe pas. Quand l’on croit tenir un specimen de citoyen lambda capable de survivre au milieu de ce monde, le lien se fait dans les dix minutes avec la police ou le crime. C’est le cas notamment de ce chauffeur de taxi, qui n’est en fait qu’un flic de la brigade spéciale, ou encore du petit Gennaro, qui tout en étant l’ami du commissaire Belli vit d’arnaques et de divers larcins. Tous les “neutres” sont maltraités : une femme enceinte se prend un coup de pied dans le ventre au début du film, une cliente de taxi sera obligée de subir la course-poursuite échevelée de l’agent infiltré (et, probablement habituée, elle ne se plaindra que de son avion raté) et une ancienne mafieuse repentie sera ramenée de force en Italie pour servir d’appât à la police… Le pire étant peut-être réservé à cet automobiliste dont la voiture est précipitée dans un ravin, le sang du conducteur giclant sur le pare-brise au cour de la descente. Les dommages collatéraux sont importants, mais la lutte entre les flics et les mafieux (ou parfois entre les mafieux eux-mêmes) n’est pas non plus très propre, témoin la décapitation d’un flic motard à l’aide d’un fil tendu au travers d’une route. La liste des violences d’Assaut sur la ville est longue comme un discours de Fidel Castro. Les braquages, les prises d’otages, les fusillades, les courses-poursuites ne s’arrêtent jamais. Le monde napolitain est décidément pourri, et Caiano semble en rire sous cape. Les quelques digressions de l’intrigue à proprement parler, amenées par ailleurs bien souvent comme des cheveux dans la soupe, ne relâchent même pas la pression : un voleur à la tire menace un enfant devant ses parents avant de se faire envoyer dans le décor par le fameux faux taxi, un pédophile se fait caster dans la cour d’une prison squattée par les mafieux (qui ont un minimum d’honneur), et puis bien entendu le petit Gennaro n’a de cesse d’arnaquer les passants, volant même une voiture de luxe du haut de sa dizaine d’années. Ce petit Gennaro est la seule touche ouvertement comique du film, comme le prouve la très bonne musique de Francesco De Masi, devenant soudain burlesque. En d’autres lieux, son statut de gosse de la rue tournant délinquent n’aurait pourtant pas prêté à rire… Mais ses crimes étant probablement les choses les plus innocentes du film, Caiano se permet ce petit écart, assez ironique. Les relations entre Belli et Gennaro sont également les seules fois où des personnages se montreront amicaux l’un envers l’autre. Une amitié pourtant atypique, puisque Gennaro n’écoute pas son ami et que cet ami, flic, le menace… de l’envoyer à l’école. Les valeurs sont donc placées assez bas, et la fin du film, véritable coup de tonnerre inimaginable dans des productions hollywoodiennes, achève de faire d’Assaut sur la ville le digne successeur d’Opération Casseurs (quoique celui-ci était encore plus sauvage que le film de Caiano).
Le seul regret à avoir est certainement l’acteur principal, Leonard Mann, dont le physique de jeune premier et dont la molesse générale sont très loin d’égaler la prestance d’un Maurizio Merli. Mais Henry Silva dans le rôle de l’antagoniste de Belli est cela dit plus qu’un prix de consolation…