Edmond – Stuart Gordon
Edmond. 2005.
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« Vous n’êtes pas à votre place ». Ces mots prononcés par une diseuse de bonne aventure n’en finisse plus de trotter dans la tête d’Edmond Burke (William H. Macy). A tel point que sur un coup de tête, il annonce à son épouse qu’il la quitte. Il occupe alors son vendredi soir à traîner dans les rues, à écumer bars, peep-show et maisons closes à la recherche d’une réponse à ses nombreuses interrogations. Qu’a t-il fait de sa vie jusqu’à présent ? Et que compte t-il en faire désormais ?
Bien avant d’être catalogué spécialiste de H.P. Lovecraft pour le grand et le petit écran (pas moins de cinq adaptations au compteur), Stuart Gordon a débuté en tant qu’homme de théâtre. En 1969, il fonde l’Organic Theatre Company. A la tête de cette structure, il monte des pièces durant plus d’une décennie dont Tribulations sexuelles à Chicago, première pièce de David Mamet, autre illustre habitant de Chicago et né la même année que lui. Les deux hommes partagent également le fait d’avoir démarré leur carrière au cinéma – en tant que réalisateur – au mitan des années 80 (1985 pour Stuart Gordon avec Re-Animator, 1987 pour David Mamet avec Engrenages). Réaliser Edmond revient donc pour Stuart Gordon à renouer avec ses premières amours tout en renouant avec l’éminent dramaturge dont il s’agit de la deuxième pièce, écrite et jouée pour la première fois en 1982. Le casting semble d’ailleurs estampillé David Mamet puisque outre son vieux complice William H. Macy, on retrouve à l’écran son alter-ego Joe Mantegna, son épouse Rebecca Pidgeon ainsi que l’éternel second rôle Jack Wallace (l’aumônier de la prison). Mais que les amateurs du cinéma de Stuart Gordon se rassurent, Jeffrey Combs participe également à la fête dans le rôle du réceptionniste peu compréhensif d’un hôtel miteux.
Edmond relate l’histoire d’un burn-out. Un sujet pour le moins commun qui se teinte ici d’une forme de fatalité amusée. Tous les déboires à venir d’Edmond nous sont ainsi exposés plein cadre par les cartes tirées par la diseuse de bonne aventure. Pêle-mêle, et loin de toute exhaustivité, sont posées sur la table “la lune”, “la mort”, “le pendu”, “la roue de la fortune” ou encore “l’as d’épée”. Des cartes qui évoquent une situation difficile à supporter, la rupture ou la fin d’une relation, et qui invitent à rester vigilant car si les choses peuvent évoluer pour le mieux, elles peuvent également mal tourner. En fait, tout dépend des choix de l’individu. Il convient de ne pas réagir de manière instinctive et inadéquate et surtout de ne pas se croire intouchable. Or les mauvais choix, Edmond les enchaîne à un rythme métronomique. A tel point qu’il semble regretter d’avoir quitté sa femme lorsque la somme de ses mauvaises décisions le conduit dans une impasse. Mais rien n’est moins sûr puisque à ce stade, la mauvaise foi et l’aveuglement nourrissent ses propos. Edmond est un homme taciturne, presque éteint. Il affronte le quotidien en donnant toujours l’impression de s’excuser d’être là. Son existence se résume à l’expression “métro boulot dodo “. Le soir, il dîne seul. Ses échanges avec sa femme se limitent à des récriminations d’icelle envers leur femme de ménage, coupable d’avoir cassé une lampe à 250$. Triste routine qu’il décide de rompre à sa manière, en biaisant, avant que sous le flot des interrogations de son épouse, il soit obligé de verbaliser les raisons de son malaise. Mais sans hausser le ton. Jamais.
Dans sa première partie, le film s’apparente à la virée d’un inadapté, de la plongée d’un naïf dans un univers de stupres, de luxures et d’arnaques en tous genres. Symboliquement, ce passage dans ce monde de la nuit qu’il connaît peu est assuré par l’un de ses semblables au comptoir d’un bar. Un type seul en costume qui déblatère sur la pression qui pèse sur eux, hommes blancs, en comparaison de ces « nègres qui ont la belle vie parce qu’il y a des responsabilités qu’ils n’ont jamais acceptées ». Selon cet anonyme, l’homme – blanc, toujours – doit pouvoir sortir de lui-même, comprendre tirer son coup avec une inconnue. La carte de visite d’un bar à hôtesses qu’il tend à Edmond équivaut à un sésame vers un pays d’illusions où les belles femmes pullulent mais pour mieux vous plumer. Edmond accepte le voyage, sans promesse de retour. Il se lance avec sa foi d’homme au bord de la crise de la cinquantaine… à moins que ce ne soit celle de la quarantaine qui arrive avec beaucoup de retard. Sa méconnaissance des codes, doublée d’une pingrerie déplacée, l’envoie immédiatement dans le mur. Lui le futur quinquagénaire qui se prétend émasculé par son mariage ne comprend pas que ces filles jouissent d’encore moins de libertés que lui. Qu’elles doivent rendre des comptes et que tout ce qu’elles gagnent, elles sont contraintes de le partager avec leur employeur. Au fond, Edmond n’est qu’un triste sir qui a fait de l’apitoiement sur lui-même son cheval de bataille et qu’à force de se regarder le nombril, il en oublie de regarder les autres. Dans ces instants où perce encore un humour dérisoire, les déboires d’Edmond renvoient aux mésaventures de Paul Hackett dans After Hours.
Et puis il y a le point de bascule. Edmond moqué une fois de trop, tabassé puis dépouillé. L’homme humilié trouve alors le réconfort dans une arme, un couteau de la Première Guerre Mondiale acheté – trop cher ! – à un prêteur sur gages. L’homme éteint s’illumine alors à la lueur de la haine. Une haine tournée vers lui, pauvre individu conditionné depuis près de 50 ans à avoir peur et à faire profil bas en toutes circonstances, qu’il dirige vers les autres. Il trouve en cet objet belliqueux une force insoupçonnée qu’il déploie de manière irraisonnée. Ce couteau, c’est ce pénis qu’il dit avoir perdu en se mariant. Il l’expose désormais fièrement à la face du monde, symbole de sa virilité retrouvée. Une autre illusion puisqu’en agissant ainsi, il se comporte ni plus ni moins comme l’être veule et lâche qu’il a toujours été. Ce surplus de courage qu’il trouve dans ce couteau, il l’exprime essentiellement envers les faibles. Et une fois désarmé, il redevient cet homme insignifiant qui s’écrase face à l’adversité, et dont les mots psalmodiés valent suppliques.
Une sourde ironie accompagne tout du long la descente aux enfers d’Edmond. Stuart Gordon se fait démiurge, disséminant de-ci de-là des indices comme autant de balises des instants clés lors desquels Edmond prend systématiquement la mauvaise décision. Porté par un exceptionnel William H. Macy tour à tour pitoyable et glaçant (éprouvant face à face avec la trop confiante Glenna), Edmond distille avec une froide lucidité le goût amer d’une société toujours plus engoncée dans ses clichés et préjugés issus d’un autre temps.
C’est adapté d’une pièce de théâtre des années 80, est ce que le film est plus contemporain avec aujourd’hui ou annonce t’il le chemin qui nous attend?
Le film ne s’embarrasse d’aucun marquage temporel. Les téléphones portables sont notamment absents et on ne voit pas de voitures. Ce qu’il raconte s’avère atemporel.
Ce que je veux dire c’est que le film m’apparait plus d’actualité aujourd’hui, que lors de sa sortie en pièce de théâtre.
J’ai l’impression que l’homme blanc de plus de 40 ans est stigmatisé dans notre société que ce soit de façon inter ethnique, inter générationnel, inter sexuel.
Edmond me fait penser aux membres du fight club, ils ont l’impression qu’ils ont perdu une part d’eux même et veulent la recupérer, sauf que lui s’y prend comme un manche.
Ce qui tendrait à démontrer l’acuité et la pertinence du regard de David Mamet.
Dans Stuck on a une personne qui laisse agoniser un sdf encastré dans le parebrise de sa voiture de peur de tout perdre. C’est inspiré d’une histoire vraie.
Dans King of the Ants, un simplet est utilisé et abusé par des personnes sans scrupules, pour se débarrasser d’un autre, et lui faire porter le chapeau.
Et là dans Edmond, on a un mec, parce qu’il a eu une révélation, un peu aidé par une voyante, que sa vie c’est de la merde, et qu’il veut faire ce qu’il veut, en s’affranchissant des règles édictées par la société, finit par tout perdre.
S’il y a une morale dans ces trois films ce serait quoi?
A brûle pourpoint, je dirais une forme d’égoïsme teinté de lâcheté même s’il faudrait que je voie King of the Ants pour me faire une idée plus précise.
A l’horreur sociale je préfère celle pleine de monstres de Dagon, elle m’apparait tellement loin du monde actuel et deconnectée.
Celle de Mamet, on pourrait la voir au journal de 20 heures, et ça ne donne pas un reflet qu’on a envie de regarder.