Driver – Walter Hill
The Driver. 1978Origine : États-Unis
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Dans un Los Angeles nocturne et dépeuplé, un mystérieux individu joue les chauffeurs pour tous malfrats susceptibles de régler ses émoluments élevés. Un flic, excédé à l’idée de ne pas réussir à lui mettre le grappin dessus, cherche à le piéger en s’associant à des bandits à la petite semaine. Un jeu du chat et la souris s’instaure alors entre les deux hommes.
Après Le Bagarreur, Walter Hill n’a pas tout de suite trouvé les financements pour se lancer dans le tournage d’un nouveau film. Soutenu par le même producteur, Lawrence Gordon, il effectue un crochet par le petit écran en créant Dog and Cat, une fantaisie policière qui a pour co-vedette une jeune débutante du nom de Kim Basinger. La série fait un flop après seulement 6 épisodes au compteur mais n’entache en rien les relations de travail entre le réalisateur et son producteur. Tant et si bien que les deux hommes poursuivent leur collaboration, tous deux se retrouvant pour Driver, film au générique duquel figure également Matt Clark, lui aussi de l’éphémère aventure Dog and Cat.
Pour sa seconde réalisation, Walter Hill a choisi d’œuvrer dans l’abstraction. Aucun de ses personnages ne bénéficie d’une identité, chacun d’eux se limitant à leur fonction (le chauffeur, la joueuse, le détective, la connexion…). A ce stade, ce ne sont même plus des stéréotypes mais de simples coquilles vides. Ainsi, le personnage qu’incarne Isabelle Adjani, dans ce qui constitue sa première incursion dans le cinéma américain, n’occupe pas de réelles fonctions. Elle semble tourner autour du “driver” mue par le seul appât du gain, sans pour autant qu’on puisse la considérer comme une femme fatale. Si l’on excepte son faux témoignage au début, elle n’influe jamais réellement sur le récit. Elle navigue en électron libre, simple atout glamour à apposer en haut de l’affiche. Triste, comme l’est également le traitement du héros. Principal moteur de l’action, le “driver” promène son monolithisme comme seul gage de décontraction. Chauffeur hors-pair qui n’a pas froid aux yeux, il avance dans la vie avec la certitude d’être au-dessus de la mêlée. Dans sa caractérisation, on sent poindre l’envie de Walter Hill de faire de Ryan O’Neal l’équivalent de Steve McQueen. D’ailleurs, la tenue qu’arbore le “driver” renvoie au Doc McCoy de Guet-apens, film dont le scénario était signé… Walter Hill. Sauf que son héros taciturne n’a aucune étoffe. On ignore d’où il vient et où il va, et ce qui le motive. L’argent ? Il vit chichement dans des hôtels minables et ne fait part d’aucune envie d’ailleurs. Son existence se résume à voler des voitures en vue des différents coups sur lesquels il s’engage, car il reste le seul décideur, et à rendre chèvres les forces de l’ordre. L’adrénaline, alors ? Il ne prend aucun plaisir à ces divers rodéos motorisés. Le “driver” demeure une énigme, un concept entièrement dévolu à l’action, mais en aucun cas un personnage. Sur ce plan là, seul le flic présente un tant soit peu d’intérêt. De par son obsession – mettre le “driver” sous les verrous – il injecte un peu de vie à cette histoire. Sûr de son fait, et de son professionnalisme, il n’hésite pas à provoquer son adversaire, à tenter de le faire sortir de ses gonds. Il a une conception de son métier qui renvoie au western, car comme il l’avoue à l’un de ses subordonnés « le plus amusant dans notre métier, c’est la chasse à l’homme ». D’ailleurs, il surnomme le “driver” le cowboy desperado, lequel écoute toujours de la country sur un poste radio portatif. Néanmoins, le film n’offre aucun duel en bonne et due forme entre les deux hommes. Ces derniers se contentent de se jauger et de se toiser du regard à de nombreuses reprises sans jamais passer à l’acte. Les échanges de coups de feu et les cascades automobiles ne valent que pour les petites mains. Ils partagent tous deux cette morgue envers leurs interlocuteurs, chacun étant persuadé de sa supériorité et de son excellence. Un statu quo qui perdure jusqu’au générique final.
Los Angeles se révèle l’écrin parfait pour ce jeu du chat et la souris. Ses grandes artères constituent le terrain idéal à des rodéos motorisés de grande ampleur, même si Walter Hill met la pédale douce sur les dégâts collatéraux. Les diverses courses-poursuites s’effectuent de nuit, dans une circulation particulièrement fluide. En outre, la dextérité des conducteurs contribue à minimiser la casse. Pour autant, ces scènes restent spectaculaires par leur fluidité. Walter Hill alterne les points de vue (caméra à ras le bitume, à l’intérieur de l’habitacle, plans larges) pour retranscrire le plus fidèlement possible cette sensation de vitesse. Il impose une mise en scène directe et sans afféteries, et dès que les chevaux s’emballent, il privilégie le son des moteurs, des sirènes hurlantes et des crissements de pneu à toute enluminure musicale. Principale raison d’être du film, pour ne pas dire la seule, la partie poursuite motorisée vaut le déplacement, même si pour davantage d’implication, il aurait été préférable de rendre le “driver” moins infaillible. De fait, Driver se borne à n’être qu’un spectacle, joliment troussé certes, mais froid et superficiel. Une sarabande motorisée dans un monde sans foi ni loi où le nerf de la guerre revient à arnaquer son monde, tellement vicié qu’un fou du volant devient le seul garant d’une certaine rectitude morale.
Avec Driver, Walter Hill peaufine son style, sec et brutal. Il développe un cinéma de la testostérone dont les héros sont avant tout des hommes d’action qui ne s’embarrassent guère de bagages émotionnels. S’il démontre un certain potentiel, il faudra attendre son prochain film, Les Guerriers de la nuit, pour véritablement s’imposer comme un cinéaste à suivre. A noter que si Driver n’a pas marqué son époque, il a indéniablement inspiré l’autrement plus remarqué et plus arty Drive de Nicolas Winding Refn.