Delirium – Lamberto Bava
Le Foto di Gioia. 1987Origine : Italie
|
Ex modèle pour magazine de charme, Gioia (Serena Grandi) est désormais à la tête de sa propre revue, Pussycat, qu’elle gère en compagnie de son amie Evelyn (Daria Nicolodi) et de ses deux photographes. Par une nuit pluvieuse, elle reçoit un appel de Mark (Karl Zinny), son voisin handicapé et quelque peu obsédé qui affirme avoir à l’instant assisté au meurtre de Kim, dernière nénette en couverture de Pussycat, censée s’être fait occire dans la piscine. Gioia ne trouve pas le corps et refuse donc de croire le lubrique en fauteuil. Quelques jours plus tard, elle reçoit la photo du cadavre de Kim exposé devant l’une de ses propres photographies. Ca sera le début d’une vague de meurtres dans l’entourage de Gioia.
Alors, qui est l’assassin ? Les cheveux blonds retrouvés sur le lieu du crime laissent à penser qu’il s’agirait soit de Floria, l’ex patronne de Gioia qui désire racheter Pussycat (pauvre Capucine, très loin de son rôle dans La Panthère rose), ou encore d’Evelyn, sous-fifre de Gioia au sein du même magazine ? A moins qu’il ne s’agisse de Mark, le voyeur pas si handicapé que cela selon son médecin ? Ou alors un des photographes, dont le frère de Gioia ? Ou même Alex (George Eastman), l’ex petit ami acteur de séries Z qui vient de ressurgir après plusieurs années de silence ? L’Inspecteur Corsi enquête, mais étant un peu nul, il ne peut que constater chaque nouvelle victime. Arrivé à la fin du film, il croira bien avoir trouvé le coupable, mais il se sera trompé et quelqu’un sera mort pour rien… Delirium devait au départ être un film de luxe susceptible de relancer deux grands noms du giallo : Dario Argento (réalisateur) et Luciano Martino (scénariste). Puis le script fut modifié, et Dario Argento quitta lâchement le projet en laissant sa compagne Dario Nicolodi sous la férule de son remplaçant, Lamberto Bava. Au final, Martino ne fut plus crédité que pour l’histoire originale, reprise en main par le scénariste du désastreux Killing Bird de d’Amato et Fragasso, auquel vint se joindre le plus respectable Gianfranco Clerici (La Longue nuit de l’exorcisme, Assaut sur la ville, Cannibal Holocaust…). Hélas, Clerici avait déjà sombré et s’était compromis dans le scénario d’Apocalypse dans l’océan rouge du fils Bava, et dans celui de Murderock, le mauvais giallo de Fulci qui surclasse pourtant Delirium dans à peu près tous les domaines.
Nous avons ici affaire à un authentique giallo miteux, que le réalisateur du plus mauvais Vendredi 13 aurait refusé de mettre en scène. Bava et ses complices y passent tous les clichés du giallo (que son père a largement contribué à créer) à l’impitoyable moulinette de la fin des années 80. Ainsi l’inévitable villa luxueuse sur les bords de la Méditerranée devient-elle un simple lotissement grand-bourgeois sans âme et sans style. Là où tous les grands anciens aimaient à construire une atmosphère particulière, Bava ne s’attarde pas sur ses décors et filme le principal théâtre de l’action sous un angle quasi unique. Là où les occupants de ces lieux complotaient dans un grand déluge surréaliste, Gioia et ses ouailles ne disposent d’aucune autre profondeur que celle de leurs soutiens-gorges. Serena Grandi et ses amies mannequins sont loin de leurs aînées et de leurs charmes troubles dévoilés avec raffinement. Ici l’érotisme est digne des images trônant dans les cabines des semi-remorques, là où furent certainement recrutées toutes ces actrices insipides. Les séances photos du magazine Pussycat ne produisent pas autre chose que ces clichés grivois, où plusieurs radasses à gros seins peinent à émoustiller quiconque. La meilleure preuve de ce que j’avance est la présence dénudée de Sabrina Salerno, la fameuse chanteuse du chef d’œuvre musical “Boys boys boys” et de son clip estival. Avec ses actrices arrivistes dénuées de tout talent, Bava se laisse gagner par la facilité, ses scènes d’érotisme ne reflétant plus la libération des mœurs mais le simple argument de vente d’une vulgarité sans borne.
Cet érotisme racoleur occupe l’essentiel du film. L’enquête propre aux gialli n’existe pas. Pas de machination, pas d’incursion dans la psyché des personnages, pas d’onirisme. Le film repose sur sa radasse centrale et des quelques personnages tournant autour d’elle. Bava ne cherche même pas à incriminer les meurtriers potentiels, et c’est à la courte-paille qu’à dû se jouer l’identité de l’assassin. Bien sûr, ceux qui sont censés être morts eurent également le droit de participer. A gagner : un rôle dans le climax, où l’assassin déchire les vêtements de Serena Grandi en dévoilant son mobile (la revoir à poil !!!), créant pour l’occasion un traumatisme dont il n’aura jamais été question avant cet instant décisif. Mais après tout, dans cette mise à mort du giallo, Bava ne pouvait faire l’impasse sur le côté freudien. Et tant qu’on mentionne les petits détails référentiels, Bava case comme il peut une scène symbolique à la portée limitée (la tête d’un mannequin de plâtre se brise sur le sol). Il va sans dire que les pleurnicheries de la Grandi ne sont pas captivantes. Elles restent cela dit moins Z que les scènes où Bava se prend de montrer les meurtres (fort peu sanglants au demeurant). Ayant retenu le maniérisme coloré de ses prédécesseurs, le réalisateur se pique parfois sans raison aucune d’illuminer ses décors avec d’affreux éclairages saturés rouge ou bleu. La seule raison possible à ces soudain changements de lumière est l’emploi de la vision subjective de la part d’un tueur qui voit ses victimes comme des monstres repoussants : la première apparaît ainsi comme un cyclope à l’œil surdimensionné, tandis que la seconde (Sabrina Salerno), tuée par un lâché d’abeilles en rogne, affiche d’abord un masque d’abeille avant de retrouver toute sa tête pour aller courir à poil à travers la maison. S’inspirant donc un peu du Phenomena d’Argento, le film devrait alors logiquement bifurquer vers le fantastique. Même pas. Les autres meurtres seront moins “stylisés”, et Bava ne donnera jamais la raison de toutes ces visions ridicules. Delirium. Pour une fois, le titre français est bien plus adapté au film qu’il désigne que le titre original.