Comment épouser un millionnaire – Jean Negulesco
How to marry a millionaire. 1953Origine : Etats-Unis
|
Le premier film de l’histoire du cinéma tourné en Cinemascope (bien qu’il ne fut que le second à sortir sur les écrans, après La Tunique de Henry Koster) démarre par cinq bonnes minutes de représentation musicale par l’Orchestre de la 20th Century Fox sous la conduite d’Alfred Newman, directeur musical de la Fox et compositeur de la musique de Comment épouser un millionnaire. Le morceau que l’orchestre interprète est le thème principal du film Street Scene, et la caméra, si elle bouge de gauche à droite, ne donne jamais dans le zoom, gardant à l’écran l’ensemble des musiciens. Pourquoi un tel prologue, avouons le franchement agaçant ? Et bien pour exploiter les possibilités du Cinemascope, avec une largeur du champ capable d’en mettre plein la vue du spectateur. Il n’est pas sûr que filmer un orchestre ait été le meilleur moyen de mettre en valeur cette nouvelle technologie… Pas plus que de choisir l’adaptation d’une pièce de théâtre, ce qu’est Comment épouser un millionnaire, comédie au casting prestigieux honteusement sous-exploité.
Le film narre ainsi le quotidien de trois filles emménageant ensemble dans un appartement de luxe qu’elles utiliseront pour se faire passer pour des filles du grand monde afin de mieux mettre le grappin sur des millionnaires, de les épouser et ainsi de vivre une vie de luxe qu’elles peuvent jusqu’ici difficilement se permettre, l’appartement n’ayant été obtenu qu’avec l’argent obtenu par l’une d’elles, récemment divorcée.
La première de ces filles, la tête pensante, l’instigatrice du projet et celle qui a réussi à obtenir cet appartement, se nomme Schatze Page (Lauren Bacall). C’est la plus déterminée, c’est la plus intelligente. La seconde est Pola Debevoise (Marilyn Monroe, qui explosa en cette année 1953… même si à mon sens cela tient davantage à Niagara et à Les Hommes préfèrent les blondes qu’au film de Jean Negulesco), une bigleuse complexée. Enfin, la troisième est Loco Dempsey (Betty Grable), jeune femme qui se caractérise par une stupidité hors-normes. Toutes trois vont penser tomber sur le millionnaire de leur vie : Schatze avec un veuf solitaire, Pola avec un borgne douteux et Loco avec un homme marié lassé de sa famille… Pourtant, elles seront toutes amenées à rencontrer des hommes bien plus intéressant que leurs millionnaires, quoique beaucoup moins riches qu’eux.
La déception est rude ! Malgré ses vedettes, Comment épouser un millionnaire est une comédie très oubliable, jamais drôle et téléphonée de bout en bout. En montrant les aventures parallèles de ses trois filles, Negulesco raconte en réalité trois fois la même histoire, là où une seule aurait suffit… Mais le film n’aurait alors plus duré une heure trente mais une demi-heure, ce qui pour l’évènement du Cinemascope aurait été déconseillé. C’est ainsi que les histoires de Pola et de Loco apparaissent superflues, toutes deux étant calquées sur celle de Schatze. D’abord la rencontre d’un millionnaire, puis la rencontre d’un homme “commun” (un ancien riche en banqueroute pour la première, un forestier pour la seconde) et finalement le dilemme entre choisir l’argent ou opter pour les sentiments. L’humour ici se limite à la bêtise exagérée de Loco (dont le millionnaire est marié) et à la myopie de Pola (qui rentre dans des murs et se trompe d’avion). Nous marchons ici en plein running gags, pénibles et certainement pas compensés par les millionnaires respectifs de chacune, aussi creux l’un que l’autre. Les personnages souffrent d’un cruel manque de personnalité, et Betty Grable, autant que Marilyn Monroe, se trouve réduites au rang de “quelconque”, évitant également au passage d’être sexys.
Lauren Bacall s’en sort un peu mieux, de même que son millionnaire et que son humble prétendant. Tout trois ont droit à des identités plus marquées, moins primesautières, moins premier degré. Le millionnaire est ainsi un sage, et le prétendant est un homme cachant son jeu, cherchant à faire ressortir le meilleur de Schatze. Mais si ils échappent au premier degré, ces personnages n’en sont pas plus comiques : ils deviennent en réalité davantage sérieux, et leur contribution à la comédie se limitera à quelques références en forme de clin d’œil (Lauren Bacall déclarant ainsi à son vieux millionnaire qu’elle aime les hommes âgés, comme par exemple Humphrey Bogart, compagnon de l’actrice dans la vraie vie et dans des chefs d’œuvre du film noir). Leur objectif se contente davantage d’être l’exposition d’une morale on ne peut plus classique, suggérée durant la majeure partie du film et concrétisée dans le final : l’amour vaut mieux que l’argent.
Si ce n’est une Lauren Bacall froide et calculatrice, il n’y a vraiment pas grand chose à sauver de ce film pourtant réputé.