Chasse au gang – André De Toth
Crime Wave. 1954Origine : Etats-Unis
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Le polar américain connut son âge d’or durant les années 40-50, engendrant mille et un bons films, de la petite production au film à la distribution riche en vedettes. En ce temps là, les réalisateurs savaient aller à l’essentiel, évitant de se perdre en circonvolutions. Magnifiés par le noir et blanc de rigueur à l’époque, ces films sondaient au plus profond l’âme humaine, nous dépeignant des personnages tour à tour violents, veules, lâches, menteurs, mais aussi courageux, têtus voire même compatissants. Il s’agit d’un cinéma qui s’intéresse avant tout aux petites gens et à leur quête incessante de jours meilleurs. Il en va ainsi de Chasse au gang, moins un film sur un braquage, qu’un film sur la longue et difficile réinsertion de l’un de ses personnages.
Deux ans ! Deux ans déjà que Steve Lacey se tient à carreau, a trouvé un boulot et s’est marié. Ex-taulard en liberté conditionnelle, il souhaite désormais rester sur le droit chemin et ne plus penser à ses années de prison. D’anciens compagnons de cellule ne l’entendent pas de cette oreille. Suite à un vol à main armée qui a mal tourné, ils se rendent chez Steve, bien décidés à le convaincre de participer, et ce par n’importe quel moyen, à un audacieux braquage dont la réussite ne fait pour eux pas l’ombre d’un doute.
Aller à l’essentiel implique de ne pas se perdre en vaines plages d’exposition. André De Toth s’en passe aisément, nous plongeant immédiatement au cœur de l’action à la suite des trois pieds nickelés, parmi lesquels un Charles Bronson encore titulaire de son nom de naissance, qui lancent les hostilités via le braquage d’une station-service qui se solde par une maigre recette et un blessé grave dans leur rang. De ces agissements découlent la suite d’un récit au cours duquel nous verrons à quel point il est malaisé d’échapper à sa condition d’ex-taulard. C’est comme si les règles qui régissent l’univers carcéral s’exerçaient également à l’extérieur. Les trois malfrats ne conçoivent pas les choses autrement. A leurs yeux, tout ancien détenu se doit de leur venir en aide, et ils ne tolèrent aucun refus. Certain, comme le vétérinaire, s’en accommode fort bien. Grassement rétribué, soigner en catimini des blessures par balle ne le gêne pas le moins du monde. Pour Steve Lacey, il en va autrement. Complètement rangé des voitures, il désire mener une petite vie tranquille, partagée entre son épouse et son travail. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Il vit constamment dans la peur qu’un ancien détenu vienne troubler sa tranquillité et mette en péril sa liberté conditionnelle. Ses craintes se matérialisent avec l’intrusion chez lui du malfrat grièvement blessé, qui ne trouve rien de mieux que d’y exhaler son dernier souffle. Pour se dédouaner, il en informe son “tuteur”, et ce dernier appelle la police. A partir de là, Steve Lacey va vivre de terribles moments. Durant tout le film, on le renvoie constamment à sa condition d’ex-taulard. Pour l’inspecteur Sims, chargé de l’affaire, un malfrat reste un malfrat. Il ne croit pas en leur rédemption et le fait bien comprendre à Steve. Il joue avec ses nerfs, l’incarcère quelques jours pour le fragiliser, lui faire avouer sa complicité. Quant aux deux autres malfrats, cette petite vie sans relief dépasse leur entendement. Eux qui vivent d’adrénaline et rêvent d’amasser une fortune, ne comprennent pas qu’on puisse trouver son compte en vivant dans un modeste appartement, et en allant pointer quotidiennement à son travail. Cependant, ça reste le cadet de leurs soucis. Steve peut bien vivre comme il l’entend, tant qu’il leur vient en aide comme il se doit. Steve se retrouve pris au piège entre la police qui ne croit pas en son innocence, et les deux malfrats qui font appel à ses services en souvenir du bon vieux temps. Seule son épouse le soutient, étant la seule à croire en son bon fond.
André De Toth mise peu sur le spectaculaire. Il s’appuie essentiellement sur les joutes oratoires opposant ses différents personnages, ce qui confère une tonalité théâtrale à l’ensemble. Il y a peu de scènes en extérieur, l’essentiel de l’intrigue se concentrant dans l’appartement de Steve. Ainsi, le casse final ne constitue en rien le morceau de bravoure du film. Il est d’ailleurs rapidement expédié, voire un peu trop tant le sort de certains personnage nous parait peu clair. Chasse au gang se veut davantage un film d’acteurs, dominé par la haute stature de Sterling Hayden, dans le rôle de l’inspecteur Sims. Rompu aux mœurs des malfrats, il mène toute cette affaire de main de maître, démontrant de fortes dispositions pour la manipulation. A la fois désabusé et tenace, il est de ces personnages immédiatement attachants, qui se révèlent au cœur de l’action. On le devine solitaire, peut-être même envieux du bonheur de Steve, ce qui expliquerait son comportement bourru à son égard. Pourtant, tous deux souffrent du même mal. L’un comme l’autre, ils demeurent prisonniers de leur uniforme, et on les verra toujours à travers ce prisme là. Une fatalité qui les rapproche in fine, avant de définitivement les séparer.