Certains l’aiment chaud – Billy Wilder
Some like it hot. 1959Origine : Etats-Unis
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Quatre ans après le fantastique Sept ans de réflexion, Marilyn Monroe et Billy Wilder se retrouvent pour une nouvelle comédie, adaptée de Fanfaren der Liebe, film allemand réalisé en 1951. Des retrouvailles assez improbables, tant le tournage de Sept ans de réflexion avait été difficile en raison de la vie privée mouvementée de Marilyn, qui avait la fâcheuse tendance d’envahir sa vie professionnelle, lui faisant oublier ses répliques et entraînant un tournage monstrueusement compliqué pour le réalisateur, qui dut en outre gérer la jalousie de Joe DiMaggio, alors mari de la star, ainsi que l’effervescence du public dans les scènes tournées en extérieurs. En 1959, l’actrice ne va pas beaucoup mieux et c’est d’ailleurs là un de ses derniers films (elle se suicida en 1962). Mais quel film ! Probablement l’une des meilleures comédies de tous les temps ! Et pourtant, le tournage fut encore aussi complexe que celui de Sept ans de réflexion, Marilyn oubliant encore sans cesse ses répliques, forçant un Wilder de plus en plus colérique à refaire des prises sans arrêt. Le réalisateur dut en outre choisir l’emploi du noir et blanc au lieu de la couleur initialement prévue en raison du maquillage de Tony Curtis et de Jack Lemmon, trop grossier pour pouvoir apparaître tel quel à l’écran.
Les deux acteurs incarnent en effet respectivement Joe et Jerry, deux musiciens de jazz sans argent, qui pour fuire la pègre de Chicago décident de s’habiller en femmes, seul moyen de rejoindre une compagnie musicale intégralement féminine en partance pour la Floride. Devenus Josephine (Tony Curtis) et Daphné (Jack Lemmon), ils croiseront la route de Sugar (Marilyn Monroe), candide blonde qui leur fera perdre les sens et pour la conquête de laquelle ils se livreront à une lutte permanente, tout en évitant de trahir leur véritable identité afin de ne pas se faire exclure de la compagnie et de ne pas se faire repérer par les mafieux, toujours après eux !
On retrouve donc là ce qui faisait tout le piment de Sept ans de réflexion, à savoir l’homme perdant la tête pour une femme divine, innocemment chaude comme la braise. Mais ici il n’y a donc pas un mais deux hommes ! Sans se départir de leur amitié, ils se livreront donc à un duel de drague, duel voué dès le départ à l’échec, puisque si le personnage masculin de Sept ans de réflexion était coincé par les liens sacrés du mariage, eux le sont par la nécessité de continuer à apparaître comme des femmes. Mission à priori impossible : déjà comment pourraient-ils construire une vraie relation si ils ne révèlent pas leur identité, et, surtout, Sugar se révèle à ce point attirante et parfois proche d’un des deux hommes (et encore, dans une des scènes, Jerry/Daphné se retrouve coincé dans sa cabine avec Sugar et douze autres jeunes filles !) que tout homme ne peut que réagir physiquement. L’érection n’est jamais clairement présente, mais Wilder a recours à plusieurs symboliques, et l’humour viendra donc de la tentative des deux hommes pour ne rien laisser transparaître de leur émoustillement. Pour que le procédé réussisse, Marilyn se doit donc d’être aussi glamour qu’à l’accoutumée, et, malgré ses problèmes personnels et les problèmes de tournage qu’elle entraîna, elle est fidèle à son image. Toujours aussi innocente, prenant toujours des allures de stupide blonde non consciente de ce qu’elle provoque (et cette fois c’est justifié, puisqu’elle ne pense avoir affaire qu’à deux femmes), elle est plus sexy que jamais. Ses scènes musicales tiennent ainsi du génie. Elle y fait montre d’un grand talent de chanteuse (Judy Garland fut d’ailleurs sa “coach” durant le film) ainsi que d’un corps tout bonnement parfait, souligné par un habillage très moulant et transparent, en rien gâché par la grossesse de l’actrice (elle fera plus tard une fausse couche), qui bien que légèrement ronde ne perd rien de ses charmes. Le résultat, on le connaît : c’est entre autre la fameuse chanson “I wanna be loved by you”. Le Président Kennedy aura lui-même droit plus tard à une chanson d’anniversaire de la part de Marilyn, ce qui ne laissera insensible ni lui, ni sa femme Jackie, jalouse, et qui annula l’invitation de Marilyn à la soirée d’anniversaire.
Il ne faudrait cependant pas croire que Marilyn porte le film à elle seule. Elle ne serait rien sans ses partenaires Jack Lemmon et Tony Curtis, le second prenant peu à peu l’avantage sur le premier dans sa “quête à la Marilyn” en ayant recours à un autre déguisement, cette fois celui d’un richissime homme d’affaire aux accents de Cary Grant qui prétend rester insensible aux femmes afin d’inciter Sugar à tenter de réveiller sa libido. Certes, le jeu est compliqué, et Joe doit donc composer avec deux identités fictives (ce qui sera bien entendu source d’humour grâce à la précipitation et à la confusion qui naît parfois chez lui), mais ça en vaut la chandelle ! Tony Curtis trouve là l’un de ses plus grands rôles et retranscrit une énergie incroyable, décuplée par un montage qui ne donne que très peu d’instants de répits à son personnage. Quant à Jack Lemmon, lui, si il perd petit à petit le combat mené pour Sugar, il écope en revanche d’un vieux millionaire (prodigieux Joe E. Brown) qui n’aura de cesse de le draguer, l’amenant finalement à se prendre véritablement pour une femme, l’appel des millions ne faisant que lui faire oublier sa véritable identité. Jack Lemmon est tout aussi parfait que Tony Curtis, et si il n’aura pas deux déguisements à gérer, il souffrira au contraire de penchants schyzophrènes ! Le film ne parle pas à proprement parler d’homosexualité, mais en tout cas il analyse avec un style très décomplexé (d’autant plus méritant que l’époque était assez prude) le rapport des hommes aux femmes, il place des hommes dans la situation de jeunes femmes courtisées, il illustre avec brio le sentiment d’attirance, qui au final dépassera toutes les questions d’apparences sociales ou physiques (la toute dernière réplique du film, prononcée par Joe E. Brown, qui illustre ce propos d’une façon on ne peut plus comique, est devenue culte).
Bref, nous sommes là en présence d’un film génial, d’une “screwball comedy” (genre surtout en vigueur dans les années 30 et 40 et dans lequel Frank Capra s’est brillamment illustré) tardive, aux situations et aux dialogues savoureux, et qui s’appuie en outre sur un autre genre plutôt en désuétude dans les années 50, le film noir, qui fournit à Certains l’aiment chaud tout ce qui est relatif aux gangsters qui poursuivent Joe et Jerry, et qui est explicitement cité par la présence de George Raft, présent dans le Scarface d’Howard Hawks en 1932, ainsi que par des références visuelles à ce même Scarface, à Little Caesar (Mervyn LeRoy, 1931) et à L’Ennemi public (William A. Wellman, 1931). Un genre qui n’a à priori rien à faire dans la comédie de Billy Wilder, mais qui vient l’enrichir d’un décalage profond entre le sérieux et la violence de ces mafieux de Chicago et l’humour de deux personnages travestis déambulant aux côtés de belles jeunes femmes dans une pension du bord de mer en Floride. Il lui permet également de finir tambour battant, d’accélérer son rythme qui, entretenu par une bande originale composée de “hot jazz” (un jazz particulièrement festif) ne s’était pourtant jamais ralenti depuis la première minute du film, dans une boutique de pompes funèbres transformée en bar clandestin (le film se déroule en 1929, au moment de la prohibition).
Bien des films sont hâtivement désignés comme “chef d’oeuvre”. Celui-ci mérite réellement ce titre.