Breakfast Club – John Hughes
The Breakfast Club. 1985Origine : États-Unis
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Cinq collégiens se retrouvent un samedi matin pour effectuer leur journée de retenue sous la surveillance du directeur de leur collège. Bien qu’étudiant dans le même établissement, aucun d’eux ne se connaît, chacun fréquentant des cercles d’amis différents. Cette journée va leur offrir l’opportunité de procéder à une véritable catharsis, chacun révélant au fur et à mesure ses doutes, ses craintes, ses regrets et ses envies. Ils sortiront tous changé de cette journée pas comme les autres.
Genre à part entière, le teen movie se décline en deux tendances : la comédie grivoise dans la droite lignée de Porky’s, dont American Pie fait figure de jeune héritier, et la comédie douce-amère, dont se réclament les premiers films de John Hughes. Ce dernier s’est fait une spécialité du film d’adolescents, toute son œuvre tournant autour de cette figure. Après la triste journée d’anniversaire d’une adolescente à qui les parents ont oublié de fêter les 16 ans (Seize bougies pour Sam, 1984), John Hughes reprend les deux jeunes acteurs principaux -Molly Ringwald et Anthony Michael Hall- pour procéder à un décryptage de la faune étudiante via le portrait de cinq adolescents, tous représentatifs d’une catégorie bien définie. Ce sont donc Claire Standish, la fille à papa très populaire ; Allison Reynolds, la déjantée mal dans sa peau ; Andrew Clark, le sportif ; Brian Johnson, le premier de la classe ; John Bender, le rebelle. Avec ce quintet à l’aspect volontairement caricatural, auxquels s’ajoutent leur surveillant Richard Vernon et le concierge Carl, John Hughes cherche à aller au-delà des apparences en faisant tomber les masques. Pour se faire, il s’astreint à un huis clos -la salle de retenue, très vaste il faut bien l’avouer- dans lequel les cinq collés vont devoir cohabiter.
John Bender, par son franc parler et sa faconde, incarne l’élément déclencheur, celui qui, par son côté rentre-dedans amène les langues à se délier. En bon rebelle, réfractaire à toute forme d’autorité, il bénéficie quasiment d’un abonnement à vie pour cette salle de retenue, ne ratant jamais une occasion de s’opposer au personnel enseignant, Richard Vernon au premier chef. Il jouit d’une assurance à toute épreuve, n’ayant peur et honte de rien. Claire sera sa première cible qui, avec ses airs de sainte nitouche, ne manque pas de l’intéresser. Après vient le tour de Andrew, qui paie là son attitude chevaleresque en venant au secours de Claire. Puis Brian se fait également tailler un beau costume pour l’hiver. Seule Allison, ne pipant mot et très en retrait des autres, évite ce tir groupé. En agissant ainsi, John se donne immédiatement de l’importance en faisant converger tous les regards vers lui. Il parle fort, gesticule, se fait inquisiteur, toujours avec ce souci de diriger la manœuvre. C’est lui la vedette et celui qui assume le plus volontiers sa présence en ces lieux. Pour Claire, être en retenue équivaut à un énorme bouton sur le bout de son museau. Cela nuit à son standing et la rabaisse au rang d’un Bender, cet élève si grossier et si attirant à la fois. C’est bien connu, les contraires s’attirent et, si Claire et John ne font rien qu’à se bouffer le nez tout au long de la journée, on sent dans leur regard que l’un et l’autre commencent à s’apprécier. D’ailleurs, ce sont les relations au sein du groupe qui tendent à changer dans leur ensemble. Une certaine solidarité commence à se nouer entre eux, provoquée une fois de plus par le comportement emporté de John, qui s’attire les foudres de Mr Vernon. Mis à l’écart, il parvient à s’extirper de sa « prison » et àretourner auprès des autres, qui ne cesseront alors de le couvrir. Cette scène marque le terme de la première partie et la fin des travaux d’approches. Les cinq élèves se sont plus ou moins jaugés, savent désormais à qui ils ont affaire et peuvent donc entreprendre d’aller un peu plus loin dans l’introspection.
John Hughes ne s’intéresse pas outre mesure à leurs facéties, mais plutôt aux raisons qui font que tous les cinq puissent fréquenter le même collège sans pour autant se connaître. Quels sont donc ces carcans invisibles dans lesquels ils se retrouvent enfermés, au point de ne pas pouvoir se mêler avec tout le monde ? Petit à petit, les propos des cinq élèves trahissent la forte pression qui pèse sur chacun d’eux. La pression de leurs pairs, tout d’abord, qui leur interdit de se détacher de leur groupe d’appartenance. Tu es un sportif ? Alors qu’irais-tu faire au milieu des premiers de la classe, adeptes du club d’échecs ou des mathématiques ? Relatée ainsi, la vie dans les collèges américains s’apparente à celle des prisons. Dans les deux cas, ces micros sociétés se divisent en différents groupes de la même appartenance : sociale dans le premier cas et raciale dans le second. Et puis il y a la pression parentale dont découle celle des pairs. Breakfast club repose sur un mince suspense relatif au motif qui a conduit chacun des cinq élèves en salle de retenue. Et au-dessus de chacune des bêtises de Claire, Allison, John, Andrew et Brian trône l’influence des parents. Brian, par exemple, a toujours vécu dans la quête de l’excellence inculquée par ses parents. Le moindre faux pas, la moindre mauvaise note lui sont interdits. A force, tout cela lui pèse et l’amène à perdre confiance en lui dès qu’il n’atteint plus cette excellence exigée. Andrew, lui, s’est investi dans la lutte pas tant par amour de ce sport mais parce qu’il vit continuellement dans l’ombre de son père qui, lui, a été un brillant sportif dans cette même école. Il souhaite que son père soit fier de lui, et ses propres aspirations passent loin derrière, lorsqu’elles ne sont pas purement et simplement mises de côté. Et il en va ainsi de chacun d’eux, prisonnier de l’image qu’il tente de renvoyer pour faire plaisir à leur entourage. Chacun d’eux vit derrière un masque d’hypocrisie que cette journée exceptionnelle parvient pour une fois à faire choir, encore plus sûrement que s’ils s’étaient rendus chez Mireille Dumas. Mais la route est encore longue, comme en témoigne la réaction de Andrew face à une Allison métamorphosée sous les couches de maquillage dispensées par Claire. Avant qu’elle ne mette son visage en valeur, c’est à peine s’il la voyait, plus attiré par le style lumineux de Claire. Et maintenant qu’elle ressemble à cette dernière, le regard qu’il porte sur elle a changé, il se radoucit, se faisant même de velours. Quant à Brian, l’intellectuel, il en est réduit à tenir la chandelle pour les deux autres couples, et à rendre leur devoir à leur place. Il faut toujours qu’il y en ait un qui se fasse exploiter.
Et quid des adultes dans tout ça ? Et bien ils sont essentiellement représentés par Mr Vernon et Carl. Le premier est un professeur aigri et excessif qui n’hésite pas à menacer un élève qu’il déteste ouvertement. C’est un homme obtus, totalement refermé sur lui-même et son statut, qui refuse tout autre rapport que celui de force. Il s’estime meilleur que ses élèves et reste persuadé qu’on ne peut rien tirer d’eux. Il n’a plus aucune fibre pédagogique et se rend au collège comme on va pointer à l’usine. De son côté, Carl incarne la raison. En tant que concierge, il jouit d’un poste d’observateur éclairé de tout ce qui se passe au collège. Il sert en somme de trait d’union entre les élèves et le personnel enseignant, s’entendant bien avec ces deux pôles. En outre, sa lucidité peut paraître comme un autre pied de nez aux idées reçues, qui voudraient qu’un concierge soit forcément quelqu’un de limité. Et puis il y a les parents, qui apparaissent brièvement en ouverture et en clôture du film. Bien que courte, leur présence permet déjà de dessiner les traits de caractères de chacun de leurs enfants ou, tout du moins, d’avoir une idée de ce qui peut leur peser sur le cœur. Ainsi, on ne s’étonnera pas de voir John arrivé seul, ce qui témoigne du désintérêt de ses parents et offre un éclairage sur son attitude dissipée. S’il cherche tant à capter le regard des autres en classe c’est parce que chez lui, il ne rencontre que de l’indifférence. Le collège lui sert alors de salle de représentation pour crier à la face du monde toute sa souffrance d’être un enfant délaissé. Et pour lui, comme pour ses quatre compagnons, cette journée de retenue s’est muée en véritable thérapie de groupe.
John Hughes s’écarte volontairement du folklore inhérent à la vie des collèges (compétitions sportives, bal de promos, …) pour se concentrer sur ce qu’il estime être l’essentiel, le collégien lui-même. S’il ménage tout de même quelques plages de détente consécutives à la prise de marijuana par la bande, l’essentiel du film distille une tonalité douce-amère qui met en lumière le malaise adolescent. C’est parfois inutilement larmoyant, pas toujours compréhensible pour nous autres français (je n’ai personnellement jamais connu ce phénomène clanique durant ma scolarité) mais l’ensemble sonne plutôt juste et, surtout, donne une image un peu moins niaise qu’à l’accoutumée de l’adolescent, figure pas toujours choyée dans ce genre cinématographique.