Black Swan – Darren Aronofsky
Black Swan. 2010Origine : États-Unis
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La troupe du New York City Ballet est en pleine effervescence. Pour ouvrir la saison, le chorégraphe Thomas Leroy (Vincent Cassel) ambitionne de présenter sa version du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Contre toute attente, c’est la frêle Nina Sayers (Natalie Portman) qui obtient le premier rôle tant convoité. Pour autant, elle n’est pas au bout de ses peines. Si Thomas n’a aucun doute quant à ses aptitudes pour incarner le Cygne Blanc, il émet de grosses réserves quant à sa capacité à jouer le Cygne Noir. Pour qu’elle y arrive, il n’hésite pas à la bousculer, allant jusqu’à la mettre en concurrence avec Lily (Mila Kunis), une danseuse en provenance de San Francisco. Mais pour rien au monde Nina ne céderait sa place, quitte à y perdre sa santé mentale…
Comme d’autres avant lui, Darren Aronofsky doit une fière chandelle au festival de Sundance, dont l’édition 1998 couronna son premier film –Pi–, du prix de la mise en scène. Ce coup de projecteur inespéré a permis au film de connaître une modeste sortie en salle et de faire parler de lui. Quoique lorsque j’évoque “un coup de projecteur inespéré”, j’exagère quelque peu dans la mesure où le jeune réalisateur avait justement en ligne de mire ce festival. De là à dire que son envie d’y figurer a conditionné l’aspect “arty” du film, il n’y a qu’un pas que je ne me prive d’ailleurs pas d’effectuer. La suite de sa carrière l’a prouvé, Darren Aronofsky adore plus que tout surcharger ses films d’effets de mise en scène. Même lorsqu’il se lance dans un projet a priori plus modeste –The Wrestler, par exemple–, il ne peut s’empêcher de donner du grain à son image, histoire qu’on comprenne bien que son film se situe dans un milieu populaire et misérable. Par certains aspects, Black Swan se rapproche de The Wrestler en ce sens où, après le milieu du catch amateur, Darren Aronofsky se propose de nous immerger dans le quotidien d’une compagnie de danse avec un même souci du détail mêlé d’une auscultation précise de l’environnement de son personnage principal. En outre, dans l’un comme l’autre, il se sert de l’image public de ses acteurs pour établir une correspondance avec les rôles qu’ils interprètent : l’ancienne gloire en quête de rachat pour Mickey Rourke, la jeune femme un peu lisse en phase d’émancipation pour Natalie Portman. Quoique Closer avait déjà constitué une étape importante dans la carrière de la jeune femme, sans toutefois lui ôter cette image de blanche ingénue qui lui colle à la peau depuis ses débuts. Darren Aronofsky reprend donc cette image à son compte et en fait le cœur du film, Le Lac des Cygnes lui servant de limpide métaphore quant aux transformations de la jeune femme. Le réalisateur n’est pas un parangon de subtilité, et il le prouve une fois de plus avec ce récit initiatique qu’il nimbe de visions cauchemardesques afin d’étoffer de manière artificielle un scénario anémique et dénué d’idées.
A mon sens, Darren Aronofsky n’est qu’un réalisateur roublard qui masque derrière un savoir-faire tape-à-l’œil une absence totale de personnalité. Grand filmeur de nuques devant l’éternel (depuis The Wrestler au moins, Darren Aronofosky adore ces loooongs plans caméra à l’épaule qui talonnent ses personnages principaux), le réalisateur de Black Swan nous brosse un portrait fort convenu du milieu des danseuses étoiles. Sans être de fins connaisseurs de l’univers de la danse classique, nous avons tout de même une petite idée du degré d’exigence que cela requiert. Ainsi, nous ne sommes guère étonnés de découvrir un milieu hautement concurrentiel dans lequel la jeunesse et la fraîcheur s’avèrent des atouts non négligeables. Avec sa finesse coutumière, Darren Aronofsky noircit encore le trait, nous dépeignant un milieu peu aimable et à l’arrivisme exacerbé. Dans ce monde de brutes, Nina ne semble pas à sa place. Trop gentille. Trop fragile. D’ailleurs, c’est le cas puisqu’elle n’est qu’une projection des rêves inassouvis de sa mère, marâtre ultra possessive à l’origine de ses tourments. Sur ces infantilisants rapports mère-fille plane l’ombre imposante du Carrie de Brian De Palma. Les deux films relatent la tentative d’émancipation d’une jeune femme brimée par sa mère, et qui ira jusqu’à s’opposer violemment à elle. A l’instar de Piper Laurie dans l’adaptation du roman de Stephen King, Barbara Hershey s’avère détestable et par moment effrayante. Cependant, tout en écrivant ces lignes, j’en suis encore à me demander si c’est le personnage qu’elle incarne qui suscite l’effroi, ou l’irréel visage qu’elle arbore après être passée par la case chirurgie esthétique. Néanmoins, c’est encore des scènes entre la mère et sa fille, ou entre Nina et Thomas, que jaillissent les moments les plus anxiogènes du film. Lors de ces passages, on sent Nina particulièrement vulnérable et totalement sous l’emprise de ces adultes qui président à son existence. Sa mère, pour lui avoir inoculé sa passion de la danse, le chorégraphe pour être à l’origine de son changement d’attitude. De ces scènes émanent un vrai trouble, davantage que les écarts fantasmagoriques, voire horrifiques que se permet le réalisateur.
Pour des raisons qui m’échappent, Darren Aronofsky enveloppe son film de tout un attirail généralement réservé aux purs films de genre, sans toutefois l’assumer pleinement. Par exemple, la scène saphique autour de laquelle certaines dépêches se sont cristallisées au moment de la sortie du film, se révèle un beau pétard mouillé, aucune des deux actrices ne souhaitant montrer ne serait-ce qu’un bout de téton. Ce n’est pas dans les films italiens des années 70-80 qu’on aurait vu une telle frilosité ! En revanche, comme il tient absolument à nous faire partager l’état psychique défaillant de Nina, au risque de sombrer dans le démonstratif, il n’hésite pas à multiplier les “jump scares” et autres effets directement issus du cinéma d’horreur (on ne compte plus les reflets qui se meuvent indépendamment de la personne projetée) pour un résultat catastrophique. Mal amenés, ces effets font sombrer le plus souvent le film dans le ridicule, à l’image de l’automutilation de la danseuse fanée interprétée par Winona Ryder. Bien que filmée dans la pénombre, ladite scène ne parvient pas à masquer l’usage maladroit d’effets spéciaux numériques. Et que dire du final qui, sous prétexte de finir en apothéose, se résume en fait à un condensé de ce que nous venons de voir, avec force effets démonstratifs quant à la folie de la fragile Nina. A cet instant, les seuls frissons qui nous parcourent l’échine sont dus à la musique de Tchaïkovski et non pas à ce qui se passe sur l’écran, vains effets de manche d’un réalisateur qui a confondu apothéose avec overdose.
Sous ses airs de film auteurisant, Black Swan n’est que le banal récit du difficile passage à l’âge adulte de Nina, dont la vacuité se retrouve masquée par de multiples afféteries. Reconnaissons néanmoins à Darren Aronofsky deux talents. Le premier concerne sa direction d’acteurs. Ils se révèlent tous excellents. Natalie Portman, bien sûr, qui n’a pas usurpé son Oscar, mais également Vincent Cassel qui en impose dans un rôle plus obscur entre le Pygmalion et le vil séducteur. Et le deuxième talent du réalisateur réside dans sa capacité à faire passer des vessies pour des lanternes, ou dit plus crûment, des films médiocres pour de grands films quasi unanimement loués par une presse qui, pour l’occasion, en a perdu toute mesure.