Black Mama, White Mama de Eddie Romero
Black Mama, White Mama. 1973.Origine : États-Unis/Philippines
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Une prison pour femmes de l’île de Luçon aux Philippines reçoit de nouvelles pensionnaires. Parmi elles, deux se démarquent : Lee Daniels (Pam Grier), une prostituée qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et Karen Brent (Margaret Markov), une révolutionnaire prête à tout pour faciliter sa libération. Les deux femmes ne tardent pas à en venir aux mains et, après un séjour au « four », elles sont transférées dans un autre établissement. Au cours de ce transfert, une embuscade orchestrée par les amis de Karen leur permet de s’échapper, mais pas de se tirer d’affaire. Menottées l’une à l’autre, contraintes à s’enfuir, elles doivent s’entendre pour garder la vie sauve puisqu’aux forces de l’ordre à leurs trousses s’ajoutent bientôt les hommes du proxénète Vic Cheng, lequel n’a que modérément apprécié que Lee parte en lui dérobant de l’argent.
Une page se tourne pour Pam Grier. Et il était temps qu’elle goûte à des tournages plus confortables et moins exotiques ! Tombée malade sur le plateau, elle a passé un mois clouée au lit sous l’effet d’une forte fièvre. Black Mama, White Mama, signé du réalisateur local Eddie Romero et également coproducteur au côté de John Ashley pour leur compagnie Four Associates Ltd, marque effectivement la fin de son aventure philippine entamée en 1971 avec Women in Cages. Une période importante de sa carrière puisque si ces films ont abondamment exploité son physique sculptural à des fins mercantiles, ils lui ont dans le même temps permis de se faire un nom et d’obtenir in fine des rôles de femmes affirmées qui ne craignent pas d’en remontrer aux hommes. Alors qu’elle était encore cantonnée au statut de belle plante au service de ces messieurs (Cold Breeze et Hitman le créole de Harlem en 1972), l’attend désormais au pays un statut d’égérie de la blaxploitation dont Coffy, la panthère noire de Harlem et Foxy Brown, tous deux signés Jack Hill, comptent parmi ses titres les plus emblématiques. Lee Daniels, le personnage qu’elle incarne dans Black Mama, White Mama, annonce cette évolution. La prostituée cherche à s’émanciper et met un point d’honneur à faire les choses quand elle le désire et non plus lorsqu’on l’exige d’elle, quand bien même cela devrait lui coûter. Un code de conduite particulièrement strict mais qui l’amène à obtenir gain de cause, la jeune femme goûtant aux joies de la liberté lors d’un plan final symbolique où elle tourne le dos à son ancienne vie pour se lancer dans de nouvelles aventures, épousant en cela le parcours de sa comédienne.
Black Mama, White Mama se situe à la croisée des chemins. Dès son entame, le film déroule le parfait manuel du Women In Prison pour mieux s’en écarter par la suite. Lee et Karen arrivent dans une prison dirigée par une femme, la sévère mais juste Logan. Une droiture morale que ne partage pas Densmore, sa principale subordonnée et également amante. Celle-ci prend un malin plaisir à jouer de sa position pour obtenir les faveurs de détenues qu’elle aura au préalable sélectionnées en les espionnant sous les douches, non sans s’abandonner au passage à l’onanisme. Sa montée de plaisir s’effectue au moyen d’un montage accéléré alternant les plans des prisonnières chahutant sous les douches et d’elle se masturbant dans la pénombre d’un cagibi attenant. Cette scène permet en outre à Eddie Romero de s’attarder complaisamment sur la plastique de ses comédiennes à la faveur de jeux d’eau auxquels les détenues s’adonnent bien volontiers, trouvant dans le tuyau d’arrosage le substitut phallique qui tendra à leur manquer lors de leur détention. De l’érotisme de bon aloi pour ce genre de film qui trouve son prolongement, et en quelque sorte sa conclusion, lors du châtiment infligé aux récalcitrantes Lee et Karen, à savoir une journée passée debout dans l’exiguïté d’un casier métallique dont les parois sont chauffées à blanc par le soleil, la poitrine dénudée, dos à dos et enlacées l’une à l’autre. Une intimité forcée qui préfigure l’orientation à venir du récit. Ce calvaire sonne la fin de la récréation et la sortie de la case prison.
Sur un postulat identique à La Chaîne de Stanley Kramer, Black Mama, White Mama ne dispense pas le même discours. Aucun racisme n’entache les rapports entre Lee et Karen. Sans pour autant occulter la lutte pour les droits civiques qui sévit alors aux États-Unis (Karen à Lee : « Nous essayons de libérer cette île. Tu es noire, tu peux comprendre ça, non ? »), Eddie Romero n’en fait pas son cheval de bataille. Il place leurs rapports sous le prisme du déterminisme social contre lequel chacune s’élève à sa manière. Toujours sous l’emprise des hommes, Lee cherche à s’émanciper et à disposer de son corps quand et comme elle l’entend. Elle ne se veut la porte-étendard d’aucune cause, agissant à titre individuel. A l’inverse, issue d’une bonne et riche famille, Karen semble vouloir s’acheter une vertu en épousant – et finançant – une cause révolutionnaire dont les contours demeurent volontairement flous. L’ennemi n’est jamais nommé mais une petite plongée dans l’histoire nous rappelle que les Philippines se trouvent alors sous l’emprise du Général Marcos, un dictateur proche du gouvernement américain qui établit la loi martiale en 1972 pour tuer dans l’œuf l’émergence d’un activisme étudiant. A l’écran, la complicité américaine prend la forme de Ruben (l’incontournable Sid Haig), un cow-boy d’opérette qui dispense ses services selon son bon vouloir. Un personnage ridicule davantage préoccupé par la taille du pénis de ses commanditaires ou de chahuter avec les filles de l’un de ses contacts, que d’accomplir son travail. Dans le domaine, le local Vic Cheng, sorte de pacha libidineux qui se fait manucurer les ongles des pieds pendant que ses hommes soumettent à la torture l’une de ses filles, lui tient la dragée haute. Parmi les personnages masculins, seul Ernesto s’en sort avec les honneurs, bénéficiant de son statut de révolutionnaire luttant pour une cause juste. Cependant, son salut dépend avant tout d’une femme. Seule Karen dispose des contacts qui lui permettrait d’obtenir des armes en quantité suffisante pour équiper ses sympathisants. Sans elle et ses moyens financiers, la révolution tournerait court. A ce titre, le final se teinte d’amertume couronnant l’individualisme de Lee (elle réussit à quitter l’île et donc son tourmenteur, Vic Cheng) au détriment du combat révolutionnaire et altruiste mené par Karen.
Black Mama, White Mama partage avec The Big Bird Cage un même propos émancipateur concernant la condition des femmes tout en se montrant moins primesautier dans son approche de la cause révolutionnaire. Que Eddie Romero soit philippin, et donc plus impliqué que son homologue Jack Hill dans le devenir de son pays, n’est pas étranger à cette différence de traitement. Il ne réalise pas pour autant un film engagé, sacrifiant aux ficelles du genre. Il s’agit avant tout pour lui de mettre en valeur ses deux actrices principales, lesquelles se retrouveront l’année suivante pour le péplum The Arena, dans un contexte propice à l’aventure et à l’action. Sur ce point, le contrat est rempli même si le spectacle proposé n’est pas toujours d’une grande intensité ni d’une grande originalité.