Aviator – Martin Scorsese
Aviator. 2004Origine : États-Unis / Allemagne
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Disons-le très vite et sans plus de détour, ce film est un OVNI dans la filmographie de Scorsese. Et bien tant mieux ! Oui, j’entends déjà les fans du cinéaste new-yorkais scander que ce n’est pas un film de Scorsese, ça ne se passe pas à New York, il n’y a pas d’histoire de règlements de comptes, y’a pas de méchants italiens, bref, c’est un film différent, et c’est tout à son honneur. Pourquoi me direz-vous ? Parce que je pense que c’est un gros risque pour lui de réaliser un tel film, de peur de se mettre ses plus grands fans à dos. Non, Scorsese s’essaie à un nouveau genre, certains y verront un film grand public, et bien pas tant que ça. Parce que retranscrire la vie d’Howard Hugues n’est pas une mince affaire, surtout lorsqu’on sait que ce type avait quelques défaillances mentales, appelées dans le jargon médical, t.o.c., ou troubles obsessionnels compulsifs. De sa vie, Scorsese ne nous en fait partager qu’une partie, du milieu des années vingt à la fin des années quarante, on découvre alors comment cet homme, né en 1905, héritier d’une fortune immense d’origine pétrolière va dépenser des sommes colossales pour réaliser ses plus grands rêves, entre cinéma et aviation.
Aviator bénéficie du talent indéniable de son réalisateur, plans vertigineux, reconstitution historique dantesque, montage au poil, mise en scène ahurissante, on s’y croirait. On le sait déjà depuis plus de vingt ans, Scorsese sait faire tourner une caméra, mais là, c’est d’autant plus bluffant qu’il nous montre un autre côté de son talent, la gestion de l’espace, et en particulier de l’espace aérien. Et il suffit de se plonger dans la scène de reconstitution d’une bataille aérienne pour le film d’Howard Hugues, Hell’s Angels, pour s’agenouiller devant un tel spectacle. Wahou !
Parce que c’est toujours un peu à reculons qu’on va voir un film biographique, on se demande si le réalisateur va réussir à rendre toute sa grâce au personnage qu’il met en scène, on se demande s’il ne va pas au contraire l’égratigner, on se souvient d’Ali, film exceptionnel, vraie référence, on en redemandait encore. Et dans un tout autre style, Scorsese parvient à faire d’Aviator ce que Mann a fait d’Ali. Un tout autre style, parce qu’au niveau de la mise en scène, Mann (qui est d’ailleurs producteur sur Aviator) avait opté pour quelque chose de plus expérimental, tandis que là, Scorsese reste dans son univers technique en en rajoutant toujours un peu, parce que comme le bon vin, en vieillissant, il se bonifie le père Martin, en espérant qu’il accepte cette familiarité. Parce que je l’aime moi ce bon vieux Martin ! Je l’aime parce qu’il a su, au delà de ce film, réussir une carrière exemplaire et surtout toujours à un niveau très élevé. Là, avec cette œuvre, c’est le ciel qu’il atteint et sans mauvais jeu de mot. Parce que ce film fourmille de détails, qu’on en apprend plein sur l’histoire de l’aviation, sur la corruption, sur la gloire, sur le côté moins glamour de la gloire, et sur la folie de l’homme, celui qui veut aller au bout de ses rêves.
Et pour y arriver, il faut vivre avec ses démons, et Hugues en a à la pelle. Fragilisé par son enfance, homme à femmes incapable de s’engager, homme entouré mais vivant dans une solitude absolue, c’est un peu ça l’idée, malgré le succès, malgré la réussite, malgré de nombreuses sollicitations, le prix a payer pour réussir, c’est la solitude.
Aviator, c’est aussi un casting en or, avec un hourra spécial pour John C. Reilly qui est vraiment un acteur exceptionnel ! Evidemment, deux mots sur Leonardo DiCaprio qui s’affirme comme un grand, certains doutaient encore de lui, là, je crois que le doute n’est plus permis ! Il entre dans la peau du personnage avec une facilité, qu’on en oublie le visage du vrai ! Bluffant ! Citons Cate Blanchett, et Kate Beckinsale, respectivement dans les rôles de Katharine Hepburn et Ava Gardner, sublimes, à vouloir devenir pilote ! Scorsese gère ses acteurs avec tout le talent qu’on lui connaît, et nombreux sont ceux qui lui doivent beaucoup.
Bref, après Raging Bull, Scorsese s’attaque de nouveau à une biographie, et même s’il se contente de ne raconter que vingt années de la vie du milliardaire, on en apprend beaucoup et on en redemande même !
Le film se terminant sur cette citation si pleine d’espoir : the way to the future, Howard Hugues, un homme qui est allé au bout de ses passions, un homme qui a dû apprendre à vivre avec ses démons, Scorsese en fait une fresque magnifique de 2h45, trop court pourtant.
The way to the future.