Astérix et Obélix : Au Service de Sa Majesté – Laurent Tirard
Qu’est-ce qui peut pousser un spectateur dans les salles obscures où est diffusé un quatrième Astérix filmique ? L’envie de retrouver un peu de l’esprit des bandes dessinées lues et relues dans son enfance et même après ? Une foi sublime dans la capacité du cinéma français à produire des comédies qui font rire ? Une naïveté confondante ? Du masochisme ? Du temps à perdre ? De l’argent ? Non, rien de tout cela, juste un billet à tarif réduit à utiliser avant une date précise et paf ! la date arrive et faut y aller mon vieux, allez-y sinon vous allez perdre le bénéfice de ce ticket, ben oui mais il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, c’est pas grave, allez-y, allez-y, et c’est ainsi que, n’écoutant que ma conscience qui est assez mauvaise conseillère, je poussai les portes battantes d’une belle et grande salle aux sièges juste un peu maculés de popcorn pour découvrir un quatrième épisode des aventures de nos Gaulois de papier favoris sur grand écran.
Fatale erreur. Pour le même prix, j’aurais peut-être mieux fait d’aller voir le dernier James Bond (dont je n’ai jamais été fan) car cette morne épopée d’Astérix et Obélix en terre bretonne est d’une platitude totale et permet à peine de décrocher quelques sourires ici et là… C’est peu, c’est bien peu et, à tout prendre, mieux vaut se replonger dans les albums de la série, ceux signés Goscinny et Uderzo (qui, hélas, une fois seul, fera tomber bien bas ses personnages dans des albums à l’intérêt de plus en plus déclinant et même parfois totalement consternants). Ici en tout cas, le vide est tellement grand que, deux jours après sa vision, j’ai du mal à m’en remémorer la moindre séquence marquante et que je dois chercher un peu pour me souvenir de sa trame générale…
Ici, donc, Jules César s’est mis en tête d’aller mater les Bretons (aujourd’hui Grands-Bretons), avec légionnaires en nombre et emploi inattendu de mercenaires Normands fort désireux de connaître la peur. Si son invasion se passe plutôt bien, un petit village résiste néanmoins encore, tenace malgré l’état de siège, ses flegmatiques habitants faisant corps pour défendre leur reine Cordélia. Celle-ci envoie alors Jolitorax en Gaule, afin qu’il se procure de la « magique potion » auprès des irréductibles qui font encore et toujours la nique au vieux Jules. N’écoutant que leur courage et, devant l’absence de légionnaires frais en Armorique, Astérix et Obélix accompagnent Jolitorax pour son voyage de retour avec, comme seul bagage, un tonneau plein de potion. Évidemment, tout ne se passera pas tout à fait comme prévu, d’autant que les Bretons ne sont pas des Gaulois et que leurs mœurs étonnent plus qu’ils ne ravissent, et que Goudurix, le neveu lutécien et beau gosse d’Abraracourcix notre chef, les accompagne afin de devenir un homme…
Mix de deux albums : Astérix chez les Bretons et Astérix et les Normands (tous deux adaptés en dessins animés à 20 ans d’intervalle, en 1986 et 2006), ce film loupe le coche à tous les niveaux. La faute à un rythme plutôt mou, un casting pas toujours judicieux, des gags peu nombreux (euphémisme), des décors allant du réussi au toc façon parc d’attractions, et une histoire parasitée par des scènes inutiles. On suit donc les déambulations des personnages à la découverte de Londinium et de la gastronomie d’outre Manche, tel le sanglier bouilli servi avec de la menthe (« pauvre bête »), avec tonneau baladeur de cellier de pub en cave de garnison sans oublier un passage sur la charrette d’un voleur. Mais que c’est long, que c’est poussif. Ok, les Bretons parlent « à l’envers » (c’est drôle !), ils sont un peu coincés dans des convenances castratrices (on se marre !), ils pratiquent des sports étonnants (youpi !) et n’aiment rien tant qu’à boire une tasse d’eau chaude sur le coup de 5 heures (qu’ils sont cons, ces Brittons !), tandis que les Gaulois sont sales, assez peu éduqués et carrément lourds parfois (quel sens de l’auto-dérision !). Bon, et ? Eh bien, c’est à peu près tout (et franchement pas marrant la plupart du temps) car, finalement, ils sont assez similaires et le plastronnant César les réconcilie bien vite en leur offrant l’occasion d’affronter une légion romaine aux techniques de guerres rodées. Bof. Même le clandestin de passage, Paindépis, trouve sa place dans cette fraternité brodée dans l’anti-impérialisme ou anti-romanisme primaire.
Edouard Baer en Astérix ? Pourquoi pas. Il n’est pas pire qu’un autre (surtout pas que l’insupportable Clavier) et complète assez bien le duo avec Depardieu-Obélix qui lui, avec son allure de barrique ambulante, est de moins en moins dans un rôle de composition. Fallait-il pour autant sous-entendre que ces deux-là, qui vivent sous le même toit avec un petit chien, auraient des mœurs que la morale conservatrice et vaticane réprouve ? Rebof. Vincent Lacoste, « héros » des Beaux gosses de Riad Sattouf en Goudurix, c’était pas mal vu. Il sent le jeune actuel, tout comme le Goudurix dessiné parodiait le post-ado des sixties. Bouli Lanners en chef Normand, bonne idée, malgré l’accent belge ; tout comme celle de les confronter au bord d’une falaise (scène reprise de l’album original) ; Dany Boon en guerrier, étonnamment, ça passe aussi. Gallienne en Jolitorax, pourquoi pas, même si son rôle de coincé du cul tournant beaucoup sur son langage à l’anglaise finit par lasser fortement. Lemercier en préceptrice stricte, ça n’apporte pas grand-chose, ni au film ni à sa carrière. La reine Catherine en reine Cordélia, no thanks ! Remballez et prenez une Anglaise, une vraie, même Jane Birkin ferait l’affaire, la Deneuve étant décidément trop française et de plus en plus imbitable. Et Luchini en empereur auto-satisfait, là non plus, c’était pas la bonne idée. Il a toujours l’air déguisé et en route pour un bal costumé plutôt que d’être un vrai César. Et je ne parle même pas des séquences avec les pirates dirigés par Gérard Jugnot qui aurait mieux fait d’aller bronzer ailleurs ou d’un bref passage de Jean Rochefort franchement superflu. Pour ce qui est du clandestin de service, c’est Atmen Kélif qui le joue, souriant trop fort tout le temps, et à la peau cuivrée façon Indo-pakistanaise mais surtout couche de maquillage à triple épaisseur pour “l’exotiser” un peu plus…
Bref, on s’emmerde. Pas autant qu’on aurait pu le craindre, non, mais quand même énormément. Et, à contempler ce cinéma plein aux as (le film a coûté 60 millions d’euros) multipliant les décors, les personnages, les lieux de tournage et les effets spéciaux sans jamais emballer, on se dit qu’il y a là un formidable gâchis. Si l’esprit d’Astérix perdure encore quelque part, ce n’est certes pas dans ces blockbusters à la française d’une médiocrité sans nom, au scénario plat et à la mise en scène quelconque. Certaines salles offraient même de le voir en 3D. Pourquoi faire ? La platitude filmée l’est-elle moins en relief ? Avec une inventivité aussi totalement en berne on se dit que, décidément, le Panoramix des producteurs n’est pas encore né ou, tout au moins, qu’il n’a pas encore trouvé la formule de la potion magique pour réaliser de bons films. Caramba, encore raté ! comme on disait chez l’autre, là, le petit Belge à houppette et concurrent du petit monde qui fait des bulles…