CinémaDrame

Hôtel des Amériques – André Téchiné

hoteldesameriques

Hôtel des Amériques. 1981.

Origine : France 
Genre : L’art difficile d’aimer 
Réalisation : André Téchiné 
Avec : Catherine Deneuve, Patrick Dewaere, Étienne Chicot, Sabine Haudepin…

Un soir, à Biarritz. Hélène (Catherine Deneuve), au volant de son automobile, manque de percuter Gilles Tisserand (Patrick Dewaere) qui rentrait chez lui à pied. A l’affolement de la conductrice répond le flegme du piéton, lequel immédiatement charmé profite de l’occasion pour l’inviter à prendre à verre. Épuisée, Hélène s’endort à même la table au terme de quelques mots échangés, sous le regard bienveillant de Gilles. De cette rencontre impromptue naît une relation charnelle, puis amoureuse à mesure que les deux êtres s’apprivoisent l’un l’autre. Une relation chaotique, sur laquelle leur passé respectif pèsera de tout son poids.

Les histoires d’amour finissent mal en général, chanteront 5 ans plus tard Les Rita Mitsouko. Sans non plus verser dans le tragique, André Téchiné en apporte ici une illustration limpide. Mais pouvait-il en être autrement compte tenu de la présence de Patrick Dewaere au générique ? Éternel écorché vif, il apporte à ses rôles une fragilité qui affleure même de personnages a priori plus bourrus, tel Marc de La Meilleure façon de marcher (Claude Miller, 1976). Il n’en va pas autrement de son Gilles Tisserand, personnage sans but et sans passion qui loge dans une chambre de l’hôtel dans lequel travaillent sa mère et sa petite sœur. Gilles est un adolescent dans un corps d’adulte, usé d’avoir trop brûlé la vie par les deux bouts, mais qui ne peut complètement tourner le dos à ce passé. Bernard (Etienne Chicot), musicien sans le sou qu’il a convaincu de l’accompagner jusqu’à Biarritz après leur périple new-yorkais, incarne ce passé. Les deux hommes n’apparaissent plus vraiment sur la même longueur d’onde mais s’accrochent l’un à l’autre comme à une bouée de sauvetage. A l’inverse de Gilles, Bernard possède en la musique quelque chose qui lui tient à cœur, mais n’en demeure pas moins tout aussi paumé que son ami, se complaisant dans un égocentrisme exacerbé. A tel point qu’il prêtera peu de cas aux sentiments que Gilles éprouve pour Hélène, ne comprenant pas qu’il puisse se mettre dans un tel état pour une femme.

Car aussi curieux que cela puisse lui paraître, Gilles découvre l’Amour dans les bras de la froide et distante anesthésiste. Un amour dévorant qui pour la première fois de sa vie l’incite à nourrir des projets d’avenir alors que tout semblait aller au départ dans le sens d’une conquête sans lendemain. D’abord euphorique, Gilles paraît rapidement démuni face à ce sentiment qui lui était jusque là étranger, ne parvenant pas toujours à gérer le comportement de la mystérieuse Hélène, plus dans la retenue. En outre, il se laisse trop vite rattraper par ses vieux démons. Ne se sentant pas toujours à la hauteur, il suffit que le passé de Hélène refasse surface par le biais de cette immense bâtisse dont le grenier renferme toute l’œuvre de son ancien amour -un architecte de renom- pour qu’inconsciemment il se place en rival. Alors que pour la première fois, Hélène se sent capable de solder son passé et s’autoriser une autre histoire, Gilles n’a de cesse de l’y renvoyer. Il s’emporte pour un rien, devient capricieux, se renferme et finit par tout envoyer valser. Son instabilité a raison de son bonheur.

L’incompréhension se trouve au cœur de la mécanique instaurée par André Téchiné, qui en fait un corollaire du sentiment amoureux. C’est tout d’abord Gilles qui ne comprend pas qu’Hélène vienne le chercher pour faire l’amour, pour ensuite s’éclipser au petit matin sans un mot. Puis c’est Hélène qui ne saisit plus les revirements incessants de Gilles, alors qu’elle a enfin consenti à baisser sa garde. De cette incompréhension perpétuelle naît un incessant chassé-croisé sur la base du « je t’aime moi non plus », tous deux se cherchant sans cesse sans jamais pouvoir atteindre un même niveau de plénitude. André Téchiné les filme comme deux êtres neurasthéniques dans un Biarritz sans charme, prenant les atours d’une ville de transit. De leur première rencontre -fortuite- à leurs retrouvailles -ratées-, toute leur histoire s’articule autour de la gare, lieu synonyme tout à la fois de nouveau départ et de fuite. Ce qui en dit long sur leur instabilité chronique.

Sur un sujet des plus galvaudés, André Téchiné parvient à composer une petite musique qui lui est propre. Point de sentimentalisme ou de romantisme chez lui. Il tente de dépeindre le sentiment amoureux dans sa vérité la plus crue, de saisir ce moment où tout bascule dans un ailleurs plein d’incertitude. Dans des rôles qu’on pourrait penser de prime abord caricaturaux (la femme froide et distante pour Catherine Deneuve, l’homme instable et à fleur de peau pour Patrick Dewaere), les deux comédiens réussissent à nous faire oublier qu’ils les ont interprétés à de nombreuses reprises pour conférer à leur rencontre amoureuse des allures de première fois. Une réelle alchimie se crée entre eux, au point que leur inaptitude au bonheur en devient inconfortable. Loin de tout axer sur son duo vedette, André Téchiné peuple son récit de personnages secondaires forts, dont Bernard, qui tous illustrent à leur manière la complexité des sentiments. Parmi eux, on retiendra plus précisément Élise, sœur de Gilles, au regard aigu sur ses contemporains mais qui ne peut s’empêcher de rêver à des amours interdits. Preuve s’il en est que l’amour est encore plus beau lorsqu’il se pare d’irrationnel.

Une réflexion sur “Hôtel des Amériques – André Téchiné

  • nechite

    Félicitations. très bonne analyse.

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