Amsterdamned – Dick Maas
Amsterdamned. 1988Origine : Pays-Bas
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Une prostituée est assassinée à Amsterdam, et son cadavre est retrouvé par un bateau mouche promenant les touristes sur les canaux. Eric Visser (Huub Stapel) se charge de l’enquête, pendant que les meurtres continuent à un rythme soutenu.
Difficile de faire une intrigue plus banale. Et c’est pourtant avec confiance que l’on peut entamer la vision d’Amsterdamned, car derrière lui se cache Dick Maas, réalisateur de L’Ascenseur, grand prix d’Avoriaz en 1984. Non pas que ce prix soit en soi un gage de réussite, mais le film en question se révélait assez intéressant dans ses subtiles intentions auto-parodiques, tournant hélas un peu trop vite en rond. Quatre ans plus tard, le temps de tourner une comédie familiale, Maas revient au thriller, cette fois par une voie moins ouvertement fantastique. On se dit que si l’homme s’est décidé à continuer sur la même tonalité (ce que le titre peu suggérer, avec son jeu de mot foireux laissant entendre l’ennui que lui inspire Amsterdam), il y a des chances pour que son nouveau film atteigne un niveau plus qu’honorable. Notant la présence de Huub Stapel, l’acteur principal de L’Ascenseur, ainsi que de la sensuelle Monique van de Ven (vue dans deux Verhoeven, notamment le sulfureux Turkish délices), on ne peut douter de ses bonnes intentions. Le début d’Amsterdamned semble le confirmer : la découverte du cadavre lamentablement dégommé par un bateau plein de touristes imbéciles (gérée par une guide ravie de la crèche) peut laisser croire que Maas affichera un certain recul plein de dédain pour tous ces touristes en même temps que pour les pauvres victimes. Tous les clichés relatifs à la ville d’Amsterdam risquent de s’en prendre plein la gueule. Le flic chargé de l’enquête est à peu près du même genre que celui qui avait enquêté sur l’ascenseur tueur en 1984 : un homme dépassé, à la petite vie minable, entouré de collègues transparents et à la vie de famille totalement terne. Qu’il profite de ses investigations pour faire la cour à Laura, une plongeuse, ne surprend guère : professionnellement, le pauvre homme s’emmerde, tout simplement. Il se plaint suffisamment d’avoir toujours à attendre de nouveaux indices pour le comprendre. C’est que sa vie professionnelle est pour lui un moyen d’éviter sa vie de famille, puisque sa femme l’a quitté (après avoir déjà quitté un autre type, sûrement encore plus insignifiant) et sa fille passe son temps à faire des séances de spiritisme ratée avec son copain binoclard, quand celui ci n’est pas chez lui pour manger les bonnes pâtes de sa maman. La même dérision s’applique pour tout ce qui entoure le tueur : régulier comme le premier tueur de slasher venu, se prenant pour le requin des Dents de la mer (mise en scène à l’appui), il n’est en fait qu’un blaireau faisant des bulles avec son tuba. Le seul témoin le prend pour un monstre, ce que l’on a beaucoup de mal à envisager, sauf à considérer qu’il s’agisse du monstre du Loch Ness, comme le suggère ironiquement Visser à son collègue, marquant ainsi son agacement et son très rapide détachement face à cette enquête qui ne le mène nulle part. Au début d’Amsterdamned, nous avons donc droit à une très adroite car très fine satire de ces policiers européens squattant les petits écrans aux heures creuses de la journée (on pense notamment à Derrick, qui passe son temps à enquêter mollement sur les meurtres de prostituées dans le port d’Hambourg). Malheureusement, cela ne durera pas.
Le constat est le même que pour L’Ascenseur : à force de vouloir adopter le point de vue de ce qu’il tourne en dérision, Maas s’approprie aussi leurs défauts. Sauf que cette fois, c’est encore pire : loin de n’hériter que de la mollesse et de la grisaille, Maas finit par oublier qu’il partait sur une satire. Son film utilise tous les clichés imaginables : l’histoire d’amour, les autorités en colère devant le piétinement de l’enquête, le sous-fifre du flic réduit aux utilités, le tueur percé à jour -sauf par les personnages- dès sa première apparition grâce à son regard chafouin, le rush final pour éviter que la copine n’y passe et le retournement de situation. Il y a même la chanson finale du générique, d’une laideur absolue. Mais l’humour s’est perdu en cours de route, et Maas tombe alors dans un premier degré qui finit par faire du film l’équivalent sur 1H40 d’un téléfilm policier classique. C’est dire si l’on trouve le temps long, surtout que pas une goute de sang ne vient égayer les meurtres, et que Monique van de Ven ne fait pas autre chose que de la figuration, ce qui est bien dommage. Certaines scènes sont même totalement inutiles, et font vaguement penser aux “pendant ce temps-là à Vera Cruz” dans La Cité de la peur, comme par exemple cette sortie nocturne de la fille Visser et de son copain, persuadé de pouvoir trouver le meurtrier grâce à ses dons de médium, mais qui ne trouvera rien si ce n’est une minute dans l’eau (histoire de faire du frisson à peu de frais). On se prend alors à se demander si Maas n’a pas rendu sa satire tellement fine qu’il l’a fait disparaître, ou bien si toutes ces apparentes piques du début du film (voire celles de L’Ascenseur, du coup) étaient bien des piques satiriques… Se pourrait-il que tout ait été conçu au premier degré dès le départ ? Cela serait assez énorme, mais à en juger par la fadeur de la majeure partie du film, ce n’est pas impossible… Surtout que Maas se réveille lors d’une longue scène de poursuite en hors-bord qui semble avoir aspiré toute son énergie en même temps que le budget du film. Dynamique et mise en scène avec une assez vaste complexité, parcourue de références à d’autres films, incorporant des touches d’humour moins discrètes que ce que l’on pensait Maas capable de faire, elle prouve que clairement, le réalisateur est capable de se montrer enthousiaste. Par conséquent, l’idée qu’il envisagea le film pour en faire une satire pince-sans-rire prend du plomb dans l’aile, sans quoi il ne se serait certainement pas laissé aller à une telle scène, exploitant le cadre idéal d’Amsterdam, contredisant le manque d’entrain du personnage principal et celui du tueur. Pour déterminer quelles furent clairement les intentions du réalisateur, qui quoi qu’il arrive sont loupées, il faudrait en fait revoir le film. Perspective qui n’est vraiment pas très attrayante.
De toute façon, le constat est simple : Dick Maas est comme son personnage principal, il s’ennuie. Qu’il ait voulu se moquer de la ville d’Amsterdam ou qu’il se soit contenté de fignoler un film à l’aspect téléfilm pour ne se réveiller que le temps d’une scène, on peut légitimement penser à la vue d’Amsterdamned qu’il aspire à autre chose. On l’imagine bien soupirer en constatant que son collègue Paul Verhoeven (qu’il avait pourtant grillé à Avoriaz) vient de tourner Robocop, rencontrant le succès à Hollywood. Pour son film suivant, le petit malin aura en tout cas l’idée de donner une suite à Flodder, sa comédie familiale, et d’envoyer la famille éponyme aux Etats-Unis. Plus tard, il retentera d’aborder les côtes du nouveau monde en participant à la série télévisée Les Aventures du jeune Indiana Jones, puis encore plus tard en y tournant le remake de L’Ascenseur. Mais à chaque fois, il devra se faire une raison et rentrer au bercail.