CinémaFantastique

Histoires de fantômes chinois – Siu-Tung Ching

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Sien nui yau wan. 1988

Origine : Hong Kong 
Genre : Fantastique 
Réalisation : Siu-Tung Ching 
Avec : Leslie Cheung, Joey Wang, Ma Wu, Wai Lam…

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Ling Choi Sin (Leslie Cheung), jeune scribe envoyé pour collecter des impôts, se retrouve à la rue pour la nuit. Suivant les conseils des villageois mesquins, il va dormir dans un vieux temple abandonné, en pleine forêt. Ce qui rend les villageois si mesquins, c’est que ce temple est notoirement hanté. Une jeune femme y charme les voyageurs pour mieux les sacrifier à un quelconque monstre fantôme. Sur place, Ling croise le chemin de Yin (Ma Wu), un moine taoïste combattant, qui est venu là pour régler des comptes avec les fantômes. Il va aussi croiser Lit Sin Seen (Joey Wang), la sirène tant redoutée. Profondément innocent, Ling n’est pas comme les autres hommes : sa timidité lui fait rejeter les avances de Lit. Et ça tombe bien : la belle fantôme est en fait sous la pression de sa marâtre non moins fantôme. Tout aussi innocente que Ling, elle forme avec lui un joli couple. Sauf que lui est vivant, qu’elle est un fantôme, que la marâtre a d’autres projets pour elle et que le moine Yin ne sera certainement pas enthousiasmé par cette romance métaphysique.

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Scénario bien tordu pour cette seconde adaptation d’un conte du XVIIIème siècle. Le producteur n’étant autre que Tsui Hark (qui selon certains a fait plus que de donner des conseils au réalisateur Siu-Tung Ching, alors plus habitué à chorégraphier les scènes d’action et d’arts martiaux dans les films des autres), il fallait bien s’en douter. L’homme a des légions de fans, mais même ceux-ci, du moins je l’espère, reconnaîtront que Hark n’a pas trop l’habitude de faire dans la clarté. Il est bien davantage reconnu pour ses mises en scènes agitées, tellement agitées d’ailleurs qu’à elles seules elles sont capables de rendre complètement incompréhensible un scénario déjà bordélique (ah si, j’insiste : l’affreux Time and Tide, qui était en plus hystérique et prenait la pose). Histoires de fantômes chinois date cependant d’avant cela. Il fut conçu à une époque où le fantastique avait le vent en poupes à Hong Kong, avec la mode des “ghost-kung-fu-comedy”, et avec Zu, les guerriers de la montagne magique, justement signé Tsui Hark. C’est donc sur ces bases que le film de Siu-Tung Ching s’est bâti. Comédie et fantômes, rien de plus simple en apparence. De quoi se laisser divaguer dans un exercice de style tout sauf cohérent. Étonnement, le film reste pourtant aisément compréhensible malgré la complexité de son scénario, que la mise en scène aurait très bien pu alourdir davantage. Ce qui n’empêche que du début à la fin, le tout est hautement fantaisiste, avec son lot de fantômes qui disparaissent d’un coup pour réapparaître trois secondes plus tard, avec son héros qui part et qui revient au temple tous les quarts d’heure, avec son moine lunatique, avec sa Lit qui ne sait jamais ce qu’elle veut non plus… Mais, et je n’aurais jamais cru dire cela concernant un film de Tsui Hark (ce qui officiellement n’est de toute façon pas le cas, rappelons le), cela participe aux charmes des Histoires de fantômes chinois, film qui se plaît à partir dans toutes les directions, à jouer sur différents registres, quitte à risquer l’inconsistance. On y trouve donc de l’humour, de la romance, des combats, de l’horreur, de l’onirisme… Une profusion de genres faisant toutes écho à la culture honk-kongaise / chinoise, qu’elle soit cinématographique ou non. Le folklore, la danse, la peinture, la musique, tout ceci est évoqué avec la même frénésie que les genres cinématographiques. Un point commun contribue cependant à unifier tout cela : l’exacerbation. Ce qui dans le cas de l’humour accouche du plus gros défaut du film. Il faut bien avouer que cet humour hongkongais, tout en surjeu et en ridicule, ne casse vraiment pas trois pattes à un canard. Il intervient notamment lors des retours au village, avec tous ces villageois abrutis et ces forces de l’ordre (les deux gardes et le tribunal) dignes des personnages de dessins animés. La comédie est aussi présente avec Yin et son maquillage au rabais de toute évidence conçu pour souligner la nature excessive du personnage. Enfin, l’innocence sans faille de Ling Choi Sin n’est pas sans agacer. Fort heureusement, l’humour se retrouve la plupart du temps sous des formes plus subtiles, découlant justement du mélange des genres. Siu-Tung Ching se plait à prendre son spectateur par surprise, et ainsi à manipuler ses ressentis : à une scène romantique, il fera succéder du grand n’importe quoi, voire il parviendra à mélanger les deux. Les combats en sont aussi un bon exemple : chorégraphiés et montés savamment (trop parfois, jusqu’à évoquer les films d’action de Tsui Hark), ils incluent aussi des personnages bondissants par dessus les arbres, s’appuyant sur ces arbres, faisant des mouvements physiquement impossibles… Bref, il n’y a pas besoin de fantômes pour voir des choses irréalistes. La frontière entre les genres tend à être effacée, et le tout s’harmonise agréablement. Ce qui est une prouesse d’autant plus grande que le film est très riche en genres potentiellement antagonistes. Difficile de rendre crédible une histoire d’amour lorsque tout l’environnement prête à la gaudriole… et pourtant, le réalisateur y parvient assez bien, principalement parce qu’à côté des scènes convenues (le baiser dans le bain, les câlins divers, le concept de “l’amour plus fort que la mort”) il n’hésite pas à ridiculiser ses deux tourtereaux. Ce qui les différencie donc du schéma “preux chevalier / gente damoiselle” utilisés par les réalisateurs qui s’en foutent. Soucieux de ne pas favoriser un genre par rapport à un autre, il fait systématiquement preuve d’une grande audace. L’homogénéité est également le fruit d’une photographie magnifique, colorée sans être saturée, diversifiée sans ressembler à une soirée disco (bonjour Joel Schumacher) qui s’adapte à la perfection aux excès du film. A l’image des décors et des costumes (Joey Cheung dans ses voiles interminables) qui procurent au film une touche d’onirisme, que l’on retrouve aussi dans les séquences gentiment horrifiques, évocatrices de Evil Dead sans rompre avec le style flamboyant du film. Caméras subjectives, livre clef, zombies au sous-sol (animés à la Harryhausen), et monstre final d’une autre dimension, tout ceci est une recette éculée mais -une fois n’est pas coutume- parfaitement maîtrisée. Evil Dead est à peu près le seul film occidental auquel comparer Histoires de fantômes chinois. On y retrouve la même frénésie, le même humour parfois un peu lourdaud, la même considération mi-sympathique mi-moqueuse pour le personnage central, le même genre de monstres trop exubérants pour être véritablement pris au sérieux.

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Histoires fantômes chinois est un film très singulier. Siu-Tung Ching (et Tsui Hark, à ce qu’on dit) a fait preuve d’un talent d’équilibriste certain, parvenant à éviter le piège casse-gueule du film patchwork. Doté d’une grande imagination autant que d’une maîtrise technique toute calculée, le réalisateur réussit finalement et contre toute attente à impliquer le spectateur, à le rendre proche des personnages, à le balader façon montagne russe, alors que tout laissait à penser que Histoires fantômes chinois n’était qu’un exercice de style totalement creux. En fait, la richesse du film en fait une véritable fresque épique, et ce sans avoir à le faire durer trois heures. Sans se tromper, on peut affirmer qu’il s’agit bien d’une oeuvre incontournable du fantastique hongkongais.

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