Walking Dead, tomes 1 à 12 – Moore , Adlard & Kirkman
Walking Dead
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Tout d’abord, je me dois de dire que cette critique de la série Walking Dead concerne autant le tome 12 en particulier que l’ensemble de la série écrite jusqu’à ce tome en général. Je n’avais encore rien écrit auparavant sur cette BD, que j’adore pourtant. Et il peut paraître étrange de commencer à chroniquer une série de BD seulement à partir du n°12, et de fait, ça l’est plutôt. Cependant, à y regarder de plus prêt, cela ne me semble pas si incongru que cela. En effet, ce tome 12 (dans la numérotation française du moins, ce qui correspond aux États Unis aux numéros 67 à 72) de la série Walking Dead constitue à plus d’un titre un aboutissement et un renouveau. Et ce volume permet de jeter un regard rétrospectif sur tous les tomes précédents et ce notamment au niveau de l’évolution des personnages. J’ignore si cela est voulu de la part du scénariste Robert Kirkman, mais cela m’a sauté aux yeux à la lecture de ce tome. Mais avant de parler plus en détails de cette dimension très intéressante de l’histoire, évoquons d’abord un peu cette série dans son ensemble.
Walking Dead est un comics d’horreur narrant les aventures de Rick, un jeune officier de police qui, après un coma causé par une blessure par balle, se réveille dans un monde infesté par les zombies…
Ce postulat de base, digne de n’importe quelle série B horrifique américaine, est rapidement transcendé par l’incroyable talent de Robert Kirkman, notamment et surtout en matière d’écriture des personnages. C’est bien simple, à mon sens ce comics ne trouve sur ce plan aucune concurrence digne de ce nom, et de toutes les histoires de zombies c’est sans doute celle qui possède les personnages les plus réalistes et psychologiquement fouillés. Mais le talent de Kikrman ne s’arrête pas là, et il excelle également dans deux autres domaines particulièrement importants pour ce genre en particulier. D’une part dans sa narration, et par ce terme j’entends aussi bien l’avancée générale du récit, que la présence de séquences de suspense qui rythment le récit, en passant par une utilisation habile et tout sauf gratuite des cliffhangers à la fin de chaque volume. Et d’autre part dans la construction qu’il fait d’un univers tangible et cohérent, qui s’inscrit dans la droite ligne du travail mené par George Romero sur sa trilogie des morts vivants (soyons révisionnistes et ignorons les ridicules opus 4, 5 et suivants…) et en particulier sur Zombie. Considéré par beaucoup, et avec raison je pense, comme le meilleur film de zombies réalisé, Zombie est en passe de trouver son équivalent en bande dessinée avec Walking Dead, si ce n’est déjà fait.
Ainsi, Walking Dead plonge ses héros dans l’enfer d’un monde peuplé de zombies, et il le fait avec une grande crédibilité. La force incroyable de ce comic réside également dans le fait que les situations décrites présentent une grande cohérence avec l’univers des zombies, largement intériorisé et codifié par une cohorte de réalisateurs et d’écrivains de ce genre, mais également par une horde de fans. Lesquels fans ne devraient avoir aucun mal à s’identifier tour à tour à chacun des personnages du comics et à vivre par procuration leurs aventures. Et dans leurs aventures, toutes les étapes et les clichés de ce qui a été conceptualisé comme les règles de survie face aux zombie y passent. La survie en petit groupe, dans une forteresse, en mouvement, seul, avec l’utilisation d’armes à feu, d’armes silencieuses, la rencontre avec d’autres humains survivants, etc. Bref, Walking Dead explore avec une exhaustivité impressionnante l’univers « pulp » des zombies. Et c’est sans doute là une autre de ses nombreuses qualités. A savoir que malgré tout la bagage social et psychologique ajouté (à la manière de Romero d’ailleurs) dans l’histoire, cela reste un vrai comic d’horreur avec des éléments issus du cinéma « bis » tels que l’affrontement simultané d’un très grand nombre de zombies, la présence de cannibales, l’usage d’armes atypiques telles que le sabre (ou la pelle !). De mémoire je ne parviens plus à me rappeler si à un moment donné une tronçonneuse est utilisée, mais cela ne m’étonnerait pas et la présence d’une telle arme dans ce comics ne serait pas incongrue. Tout cela pour dire que la BD conserve un degré d’efficacité très important, directement lié à la simplicité de certaines actions, de certaines recettes. Simplicité dont la réussite et l’efficacité a été maintes fois prouvée par de nombreux films et histoires de zombies auparavant, et dont l’utilisation dans la narration de Walking Dead est totalement assumée et très bien gérée. Mais je l’ai dit, outre cette efficacité, la série tire sa qualité de la présence d’un sous-texte social très pertinent qui touche plus spécifiquement à la nature humaine et à ce que des situations extrêmes telles qu’une invasion de zombies fait ressortir chez les hommes. Il s’agit certes là du thème archi-rabattu et très présent dans les histoires d’horreur du « verni de civilisation » qui nous pousse à êtres sociables et gentils en temps normal mais qui craque rapidement dès que nous sommes plongés dans une situation où la coercition sociale ne peux plus s’effectuer. Dès lors rien n’empêche l’homme de se livrer à ses instincts les plus bas, et les plus meurtriers. Ce thème est toutefois traité de manière exemplaire dans la BD, qui n’est jamais trop didactique, ni trop démonstrative. Et sa qualité ne réside pas particulièrement dans le thème abordé en lui même, mais dans la finesse et la pertinence avec lequel il est abordé.
La BD propose ainsi un constat assez glaçant sur l’humanité, mais, suprême horreur, elle va même plus loin en montrant que parfois l’homme est contraint de céder à ses pulsions les plus sombres pour survivre. C’est là le thème principal des histoires de survie (les fameux « survival » dont le cinéma d’horreur actuel est si friand). Un thème qui peut apparaitre comme très réactionnaire, voire nauséabond (nous parlons quand même là d’une justification du meurtre qui peut paraître à raison assez intolérable) mais qui est ici interrogé d’assez intelligente manière (ce thème est aussi présent dans les histoires de « vigilante » et les films d’autodéfense, preuve supplémentaire que Walking Dead est une œuvre « bis » au sens le plus noble du terme). Et l’on sent que le scénariste de Walking Dead ne cautionne jamais totalement les actions de ses héros. Et quand bien même ils sont amenés à commettre des meurtres soit pour leur survie soit parce qu’ils sont victimes de circonstances, les répercussions idéologiques et psychologiques sont toujours très présentes dans le canevas du récit, et influent sur la personnalité des héros.
Et c’est là qu’intervient ce fameux tome 12, intitulé Un monde parfait qui m’a décidé à prendre la plume pour écrire cette chronique. En effet, c’est dans ce tome que l’on se rend vraiment compte des conséquences que la survie dans de telles conditions sur l’humain.
D’ailleurs je me demande si l’on peut encore parler d’humains, puisqu’il ressort assez clairement selon moi de ce tome, que les héros de cet histoires ont à présent définitivement perdus leur humanité. Les nombreuses expériences atroces qu’ils ont vécues dans tous les tomes précédents semblent avoir endurci les personnages à tel point qu’ils en sont devenu incapables de goûter aux bonheurs humains.
Je m’explique. Dans ce tome 12, le scénariste va plus loin qu’aucune histoire de zombies n’est jamais allée. Et pour l’une des premières fois à ma connaissance est abordée la question du retour à la normale après une invasion massive de zombies, telle qu’elle est conçue dans la « mythologie » créée par George Romero. Dans le scénario cela ne se traduit pas par la disparition des zombies, puisqu’ils rôdent encore sur la terre et promettent des péripéties futures encore passionnantes, mais pour la première fois depuis longtemps dans l’histoire, les personnages accèdent à une société humaine stable et sécurisée. Bref pour la toute première fois depuis que les morts ont commencé à marcher, les héros n’ont plus à se préoccuper de leur propre sécurité face à cette menace. Il s’agit là ni plus ni moins que l’aspiration ultime de tous les personnages de cette BD, et même de l’envie de quasiment tous les protagonistes des histoires de zombies (sauf exceptions ça et là).
Or que nous montre la BD ? Les personnages principaux détestent cette nouvelle situation. Il ne parviennent plus à vivre normalement, comme avant l’arrivée des zombies. Et ils sombrent tous dans la paranoïa, alors qu’autour d’eux ils ne perçoivent que des manifestations concrètes et réelles d’un retour au calme. Le comic est même plus insidieux, puisqu’il fait partager ce sentiment de paranoïa au lecteur, qui cette fois repose sur sa connaissance des procédés scénaristiques propres à Kirkman : si cela va mieux, c’est forcément que quelque chose de pire se prépare ! En effet le scénario de cette série n’a pour le moment pas cessé de maltraiter son lecteur, via la mort soudaine de personnages importants, et attachants, via le calvaire sans merci imposé au héros, et surtout via l’installation de la certitude dans l’esprit du lecteur qu’à n’importe quel moment, tout peut arriver, la mort du héros incluse (ce qui là encore me semble vraiment inédit dans un récit de fiction, dont on sait en général que la mort du héros est synonyme de fin du récit), le doute subsiste réellement.
Mais si le lecteur partage à raison ce sentiment d’insécurité éprouvé par les personnages, il a aussi un recul sur l’histoire, qui lui permet d’établir le constat pire encore que je faisais plus haut, à savoir que Rick et les autres héros ont perdu leur humanité, et que les expériences vécues les rendent incapables de vivre à nouveau normalement. La survie est devenu leur lot quotidien, et avec elle vient la méfiance nécessaire et l’obligation d’être toujours sur le qui-vive, prêt à tout, même au pire. Bref une attitude avec laquelle il est impossible de nouer un contact social normal et amical avec un autre être humain. Et c’est en faisant ce constat que le lecteur peut alors se rendre compte de la portée terrible de la sentence « Le monde tel que nous le connaissons a disparu. Définitivement. » qui orne le quatrième de couverture des éditions françaises de la série. A savoir que rien ne pourra effacer les conséquences de l’invasion des zombies sur les hommes. Soit ils sont détruits psychologiquement, soit la grisante absence soudaine des normes sociales les a transformés en des psychopathes, soit ils se bercent d’illusions pour ne pas devenir fous, soit ils survivent. C’est le cas de Rick et ses compagnons, mais cette survie à un lourd prix. Et dans tous les cas personne n’en sort indemne. Cet état de fait, terriblement noir et désespéré, est parfaitement illustré par la couverture de ce tome 12, qui nous montre un monde de désolation et de putréfaction devant les avatars déchus de la civilisation et son système étatique. Le titre, ironique et révélateur, renforce cette impression d’absence totale d’espoir.
Malgré toutes les horreurs déjà présentées, ce tome 12 est à n’en pas douter l’un des plus sombres de cette série.
Il constitue néanmoins un excellent tome dans cette non moins excellente série. Et même à mes yeux l’un des meilleurs, la série ayant connu quelques petites baisses de régime sur certains tomes, malgré une qualité générale toujours au rendez-vous.
Enfin, le portait terrible de ce qu’est devenue l’humanité qui est esquissé dans cette histoire, laisse place à la naissance d’un nouvel arc narratif dans ce tome, qui se termine comme à l’accoutumée, par un petit cliffhanger qui augure une suite toute aussi intense !
Enfin, je me dois de terminer cette chronique sur Walking Dead par quelques mots sur le grand absent de ce texte: à savoir Charlie Adlard, dessinateur de la série depuis le tome 2 (il succède à Tony Moore qui a signé le premier tome). En effet, le dessin est l’une des autres innombrables qualités de cette série. Adlard illustre cette histoire très sombre de son trait énergique et racé, qui saisit les personnages dans leurs moindres émotions. Son dessin est complété par des couleurs, si l’on peut dire, toutes en niveaux de gris (en effet impossible de parler de BD en noir et blanc tant les niveaux de gris sont ici utilisés comme une palette de couleurs) qui reflète assez bien l’ambiguïté des personnages et l’absence de manichéisme de l’histoire. Toutefois, le talent de Aldard éclate vraiment à la vue des dessins originaux, tout en noir et blanc, qui possèdent une puissance assez rare, amoindrie à mon goût par les trames de gris, très proche du travail de Frank Miller (sur Sin City notamment). Et même peut-être supérieur à mon goût, puisque je juge que Miller brille surtout par ses scénario et sa narration, tandis que ses dessins cèdent un peu facilement au spectaculaire. Alors que le style de Adlard me paraît emprunt d’une subtilité que je juge supérieure. En effet, malgré l’opposition franche entre le noir et le blanc dans ses dessins (du reste bien plus inspirés des films noir des années 40 et 50 que des films de Romero), son trait reste très subtil, notamment dans la caractérisation des émotions et des expressions des personnages (là où le style de Miller à titre de comparaison est bien plus expressif et brut de décoffrage).
Bref, les dessins sont excellents et le scénario n’est rien moins qu’exceptionnel tant dans sa narration parfaitement maîtrisée que dans la puissance philosophique et dans les réflexions sur la nature humaine qu’il propose. Et pour couronner le tout la qualité de la série va croissante. Alors, qu’attendez-vous pour vous jeter dessus ?