Après l’amour – Miguelanxo Prado
Après l’amour. 2006Origine : Espagne
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Ancien étudiant en architecture et rédacteur de nouvelles, Miguelanxo Prado se lance dans la bande dessinée en 1988 avec Chienne de vie. Très vite, il devient un nom important du 9e art et se met à collectionner les prix (trois pour Trait de craie dont l’Alph-art du meilleur album étranger à Angoulême en 1994). Il se plaît en général à dresser un portrait peu amène de l’être humain qu’il nous révèle dans toute la splendeur de ses tares : égoïsme, mesquinerie, méchanceté… Avec Après l’amour, il aborde les relations homme – femme au travers de huit courtes histoires, ou plutôt huit instants volés à l’intimité de couples divers et variés.
Ces huit histoires se caractérisent par leur absence totale de romantisme. Quelque soit le couple choisi (des jeunes désargentés, une riche quinquagénaire et son jeune amant, des arrivistes,…), l’amour est, dans le meilleur des cas, à sens unique voire carrément illusoire. Miguelanxo Prado nous dépeint des personnages profondément seuls qui voient dans l’étreinte charnelle le meilleur moyen pour rompre avec leur solitude. C’est cet homme incapable d’aimer autrement qu’en disposant de sa partenaire à sa guise, de manière froide et théâtralisée. Ou bien cet écrivain raté qui ne sait plus dissocier la fiction dont il est l’auteur de la vie qu’il mène, faisant de sa compagne l’instrument de ses fantasmes plutôt que le pilier de son existence. Ou encore ce jeune homme qui croit naïvement que l’Amour lui permettra de s’affranchir des classes sociales le séparant de sa bien-aimée. Pour ceux-là, l’acte sexuel s’apparente à un pis-aller qui repousse de quelques instants l’inéluctabilité des adieux et leur retour à leur extrême solitude. Qu’ils aiment trop ou qu’ils ne sachent pas aimer, dans les deux cas, ils se voient asséner leurs quatre vérités par des femmes aussi glaciales que lucides sur une situation devenue intenable. Moments douloureux où le masque de l’assurance masculine s’effrite sous les coups de griffes acérées de femmes décidées, pour les laisser dans le dénuement de leur immaturité.
Le titre Après l’amour évoque autant l’instant qui suit l’acte (moment fatidique où se scelle le destin des différents personnages) qu’une période plus vaste succédant à la fin d’une histoire d’amour. Il est beaucoup question d’erreur à réparer, de temps à rattraper pour des personnages qui regrettent leurs choix passés. Miguelanxo Prado jette un regard dénué de compassion pour ces hommes qui, incapables d’assumer leurs erreurs de parcours, s’abritent en vain derrière le souvenir d’un amour sincère, mais désormais passé de date. Dans ce contexte, la femme fait office de garde-fou, toujours les pieds sur terre et peu encline à tomber dans le piège du sentimentalisme. Miguelanxo Prado procède à un inversement des rôles, faisant des hommes des êtres sentimentalement plus fragiles et pleins d’illusions face à des femmes réalistes, parfois cyniques et intéressées.
Peu ou pas de place au bonheur et à la gaieté tout au long de ces huit scènes intimes. Une tonalité sombre, voire désespérée, qui se retrouve dans la colorisation presque monochrome de la bande dessinée. Miguelanxo Prado enveloppe ses personnages dans une grisaille tenace (d’un appartement, d’une chambre d’hôtel, d’un bord de plage), distillant de-ci de-là quelques touches de couleur (un polo jaune, des lèvres soulignées de rouge, des cachets mauves) bien trop fugaces pour égayer le tableau. Il poursuit sa quête des côtés sombres de l’homme en s’attaquant cette fois-ci à l’amour, sentiment noble s’il en est, mais qui ici affronte bien des tempêtes. Nous ne sommes pas forcés de partager le pessimisme qui transparaît de chacune de ces pages, mais nous ne pouvons qu’être admiratifs devant le talent du bonhomme dont certaines des cases de cet album s’apparentent à de véritables tableaux. La justesse de son trait allié à un savant dosage de la couleur nous immerge totalement dans son univers, certes sombre mais aussi incroyablement chaleureux.