CinémaPéplum

Spartacus – Stanley Kubrick

spartacus

Spartacus. 1960

Origine : États-Unis
Genre : Peplum
Réalisation : Stanley Kubrick
Avec : Kirk Douglas, Laurence Olivier, Jean Simmons, Charles Laughton…

Guère content de s’être fait piquer le rôle principal du Ben-Hur de William Wyler, Kirk Douglas était bien décidé à prendre sa revanche, profitant de l’occasion pour s’assurer une certaine forme de contrôle sur le film à naître : Spartacus. A l’origine, le film devait être une parabole sur le sionisme, concept défendu par Douglas, et que l’on retrouve dans le film à travers l’idée du retour à la maison désiré par ces esclaves importés en territoire romain depuis des contrées diverses, souvent sur le bord de la Méditerranée. Spartacus, un Thrace (peuple vivant de l’Asie Mineure aux Carpathes ) devait donc être leur guide vers la Terre promise. Mais c’était sans compter sur le scénariste Dalton Trumbo, marxiste blacklisté, bien décidé à illustrer ses convictions. Pas trop difficile, puisque le film se base sur les écrits de Howard Fast, auteur qui pour le coup ne se contente pas d’être marxiste et qui fut carrément membre du Communist Party USA, et qui en 1953 reçu le Prix Staline de la Paix, équivalent soviétique du Prix Nobel de la Paix. Spartacus, le livre, fut d’ailleurs écrit en 1950 pendant l’emprisonnement de Fast, condamné pour ses activités politiques et fut publié sous pseudonyme avec les propres fonds de l’auteur. Kirk Douglas accepta de bonne grâce de voir son discours sioniste dilapidé dans un propos ouvertement marxiste. Le cocu de l’affaire n’est donc autre que le réalisateur, Stanley Kubrick, remplaçant au pied levé un Anthony Mann qui ne dura que deux semaines avant d’être viré pour manque de poigne. Peu en accord avec la vision de son scénariste, Kubrick se proposa pourtant d’être crédité pour le scénario au moment où Donald Trumbo ne pouvait toujours pas légalement voir son nom apparaître aux génériques des films (ici un générique soigné conçu par Saul Bass). Colère de Kirk Douglas, pourtant à l’origine de l’arrivée de Kubrick, qui vit là une tentative de réappropriation du travail d’autrui. En fin de compte, l’interdiction d’inscrire le nom de Trumbo au générique fut levée pendant la production, et Kubrick sortit grand perdant de l’affaire, écrasé par un film prenant l’allure d’une revanche des blacklistés. Le réalisateur retiendra la leçon, puisque dès lors il s’assurera d’avoir le contrôle total de chacun de ses films.

Spartacus, s’il n’y est pas totalement infidèle, prend énormément de libertés avec la véritable Histoire, contée par l’historien antique Florus dans son Abrégé d’Histoire Romaine. Il serait vain d’évoquer toutes les différences, puisque nous somme là en présence d’un film servant avant tout d’illustration pour un mouvement de pensée typiquement contemporain. Spartacus est un esclave Thrace acheté par le gérant d’une école de gladiateur. Vivant là dans l’esclavage, il sera forcé par Crassus, un puissant militaire romain de passage, de combattre jusqu’à la mort avec un de ses compagnon d’infortune, le noir Draga. Battu, Spartacus sera épargné, et son camarade mourrera dans la foulée pour avoir cherché à s’en prendre à Crassus. Ce sera l’origine de la quête pour la liberté menée par Spartacus, qui va provoquer la rébellion de ses camarades, qui dès lors vont construire une véritable armée d’esclaves, libérant tous les autres esclaves sur leur chemis, grossissant ainsi les rangs des troupes de Spartacus jusqu’à être en mesure de battre les cohortes romaines. Le Sénat va devoir faire face à cette révolte, qui risque d’entraîner des émules dans tout le territoire romain. Pour se faire, le sénateur Gracchus, un républicain, va tenter de trouver une solution pacifiste qui ne portera pas ses fruits et qui va conduire à la nomination de Crassus, militaire prêt à user de la dictature pour assurer la défense du pays et pour y asseoir sa propre autorité.

Le nom de Spartacus est fréquent dans l’univers communiste. Beaucoup d’organisations politiques portent cette appellation, la plus connue étant certainement la Ligue Spartakiste allemande (1914-1919), menée par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent avec le mouvement dit “spartakiste”, executés par le gouvernement après l’échec d’une Révolution allemande ardemment soutenue par Lénine (par ailleurs énorme coup dur pour ce dernier, pour lequel la Russie communiste ne pourrait survivre sans propagation de la Révolution). Bref, Spartacus, toute grosse production américaine qu’il soit, n’est rien d’autre qu’un symbole du marxisme porté à l’écran. La lutte des classes est belle et bien présente, illustrant ainsi la célèbre phrase du Manifeste du Parti Communiste : “L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien (…) en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue”. Ainsi, la société vue par Dalton Trumbo est une société largement hiérarchisée, au bas de laquelle on trouve les esclaves, privés de toute liberté et employés comme des objets par les ressortissants des classes supérieurs, sénateurs, patriciens, et tous les propriétaires comme le gérant de l’école de gladiateurs de Capoue. Les esclaves servent sans rien en retour, sont utilisés comme des animaux, et en fin de compte on trouve ici certainement la forme la plus cruelle de l’exploitation de l’homme par l’homme. L’oppression va jusqu’à leur interdire la parole, certainement pour qu’aucune conscience de classe ne puisse naître. Les gladiateurs sont encore plus touchés par cette mesure du fait même de leurs futurs destins, appelés qu’ils sont à se rencontrer un jour dans une arène, ce qui les décourage fortement de se créer des amis. Mais d’une part le sacrifice de Draga et d’autre part son amour naissant pour Varinia, avec laquelle il ne peut communiquer qu’avec le regard, vont pousser Spartacus à mener la révolte. Car sans même communiquer entre eux, les esclaves se réunissent dans la volonté partagée de mettre fin à leur situation, et c’est ainsi que la Révolution, leur révolte, se fera de manière totalement spontanée, symbolisant la colère devenue incontrolable des esclaves. L’esprit fraternel peut alors se répendre, et Trumbo ne se privera pas de mettre en avant la camaraderie des esclaves libérés, profondèment humains, festifs, bien plus en tout cas que les patriciens romains vivant dans une élite dorée au milieu d’une société où règne l’ordre strict. Trumbo commet tout de même une petite faute de goût lors d’une scène où Spartacus donnera une leçon de morale à ses camarades, les incitant à ne pas traiter leurs prisonniers comme eux-mêmes furent traités. Cette scène marquera la seule erreur des camarades de lutte de Spartacus, et il aurait été préférable soit d’en rajouter davantage (pour plus de réalisme), soit de carrément la faire sauter (pour ne pas offrir une leçon de morale trop courte pour être honnête). Mais autrement, l’esprit marxiste est bien là, l’armée / société menée par Spartacus se révélant très libertaire, empreinte de culture (à travers le personnage du poète joué par Tony Curtis) et répondant à l’adage “de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins”. Les luttes menées par Spartacus et ses camarades sont ainsi résolument optimistes et prennent l’allure d’une véritable propagation de la révolution et de ses idéaux. Car comme le dit le personnage principal, dans une guerre l’homme libre n’a à perdre que les plaisirs de la vie, tandis que l’esclave n’a rien du tout à perdre. Autrement dit, les esclaves “n’ont rien à y perdre que leurs chaînes”, comme disait Marx. D’où la force de l’esprit révolutionnaire, là où au contraire les dirigeants romains ont à perdre tous leurs privilèges matériels et aussi humains, puisqu’eux aussi emploient des esclaves à titre personnel, serviteurs ou femmes.

Le film s’attarde d’ailleurs énormément sur ces citoyens romains, non seulement pour mettre l’accent sur leurs privilèges et sur leur mode de vie élitiste, mais aussi voire surtout pour mettre en avant leurs propres lacunes. Au premier rang desquelles la formation même des gladiateurs, des esclaves à qui l’on donne des armes et qu’on entraîne à devenir des combattants aguerris. Pour reprendre les mots de Marx : “la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires”. Le même principe s’applique ici dans le contexte de l’esclavage et plus particulièrement des gladiateurs. Dès lors, ce qui intéresse Trumbo, une fois la révolte spartakiste lancée sur les bons rails, c’est justement de montrer la réaction des Romains. Deux solutions s’offrent à eux : attaquer ou négocier. Crassus représente la première tendance, Gracchus la seconde. La première bataille sera gagnée par Crassus, mais les premières cohortes envoyées se feront écraser par l’armée des ex-esclaves. Gracchus remportera la seconde manche, mais celle-ci, devant la pression d’une fièvre révolutionnaire pénétrant jusqu’au coeur de Rome, sera de courte durée. Le dernier mot reviendra à Crassus, trouvant en la répression des spartakistes le prétexte idéal pour prendre le pouvoir à Rome, à laquelle il propose ses services et ses troupes à la condition que le pouvoir Sénat passe désormais après ses propres décisions. En un mot : la dictature, au grand dam de Gracchus, républicain honnête et progressiste. On retrouve là une situation historiquement pas si éloignée de la date d’écriture du livre de Howard Fast (1950), puisque le champ libre laissé à la dictature pour mieux combattre le péril révolutionnaire fut ce qui se passa dans les années 30 en Europe , symbolisé par les slogans français “mieux vaut Hitler que le communisme” et même l’incroyable “Mieux vaut Hitler que le Front Populaire”. De fait, Crassus va véritablement instaurer une répréssion totale, écartant le Sénat, enrôlant de jeunes officiers (Jules César) à sa botte en se cachant sous le fallacieux prétexte de préserver l’ordre (tiens, c’est un discours typique de la campagne présidentielle française de 2007, ça !) et la grandeur de Rome du chaos promis par la révolte de ces “racailles” (ça s’invente pas : c’est sous-titré ainsi !).
Le combat entre les hommes de Crassus et ceux de Spartacus aura donc forcément lieu, et le dénouement ne fait pas de doute pour quiconque connait l’Histoire ou prend le temps de réfléchir. Ce sera l’occasion pour Kubrick pour une fois au milieu des trois heures de film de faire pleinement sentir son influence, puisque ce combat gigantesque est magnifiquement filmé, à l’aide de plans panoramiques encadrant bien tout le champ de bataille, tous les figurants, et présentant d’un côté une armée richement vêtue, disciplinée, et de l’autre, une horde de combattants pauvrement vêtus, combattant avec un entrain qui sera malgré tout écrasé par l’apport de nouvelles légions romaines, de retour de guerre dans d’autres contrées. La fin du film sera bien entendu l’étalage de la répression sanglante perpétrée par les vainqueurs sur les vaincus, ce qui sera également l’occasion de faire un martyre de Spartacus, de ses idées de liberté et de révolte, qui dès lors ne seront jamais oubliées et qui continueront à faire trembler les romains.

Si Spartacus, le vrai personnage historique, n’a pas été à la tête de la première révolte d’esclaves, il a en revanche mené celle qui est la plus emblématique de toutes, la mieux connue. Celle qui a inauguré la lutte des classes, l’émancipation. L’idée est ici utilisée comme souvent pour des propos marxistes, mais quiconque cherchant à se débarrasser d’une oppression peut s’y rattacher. A ce titre, Spartacus -le film- est une oeuvre qui n’est certes pas très subtile (encore qu’elle aligne les références marxistes d’une façon plutôt savante), mais qui a l’énorme mérite de transmettre de belles idées militantes et libertaires, extrêmement subversives dans l’Amérique de 1960, encore marquée par l’anticommunisme et la paranoïa. C’est un chef d’oeuvre, qui à l’image de la lutte de Spartacus ne sera jamais obsolète !

Une réflexion sur “Spartacus – Stanley Kubrick

  • Chaque fois que le film passait à la télé, je n’arrivais pas à le regarder tant il me paraissait assez ennuyeux. Il faudra attendre la série Spartacus produite par Robert Tapert et Sam Raimi, pour que je l’apprécie.

    L’histoire dans sa mise en scène se rapproche beaucoup d’un film comme 300, où l’on n’aurait pas lésiné sur le gore et le sexe, qui ferait passer les films du dimanche soir pour La Petite maison dans la prairie.

    La série est un vrai plaisir à regarder. Si elle fait des courbettes avec l’Histoire, elle n’en est pas moins instructive. On apprend beaucoup de choses sur les mœurs romaines, décadentes et cruelles, avec ses esclaves considérés comme des sous êtres. On comprend mieux la révolte de ces derniers.

    Comme je n’ai pas vu le film de Stanley Kubrick, je ne peux comparer avec la série mais j’invite quiconque à regarder cette série que je trouve même supérieur à un Game Of Thrones un peu trop ronflant et prétentieux avec ses multiples intrigues, qui se veut plus compliqué qu’il ne l’est; là ou un Spartacus va à l’essentiel, offrant une histoire simple mais pleine d’émotions, des personnages peu complexes, mais pour lesquels on ressent de l’empathie ou du rejet. Bref une bonne série.

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