CinémaThriller

Les Pleins pouvoirs – Clint Eastwood

pleinspouvoirs

Absolute Power. 1997

Origine : États-Unis
Genre : Thriller
Réalisation : Clint Eastwood
Avec : Clint Eastwood, Gene Hackman, Ed Harris, Laura Linney…

Cambrioleur de haut niveau, Luther Whitney (Clint Eastwood) se fait plaisir en portant son choix sur la maison de Walter Sullivan, un proche du président des États-Unis actuellement en vacances. La visite de Luther se passe bien jusqu’à ce qu’il soit dérangé par l’épouse de Sullivan, ivre, qui se met à folâtrer avec un homme. Caché, Luther assiste aux dérapages des ébats, consécutivement à une baffe assénée par le type. Au cours de la bagarre qui s’ensuit, la femme se saisit d’un coupe-papier et parvient à blesser son assaillant. Elle s’apprête même à le tuer lorsque deux malabars débarquent avec leurs flingues et l’assassinent. Une autre femme, chef des malabars, arrive alors et entreprend de maquiller la scène du meurtre. Après leur départ, Luther remarque que le coupe-papier a été oublié sur place et il s’en empare juste à temps avant que les deux malabars ne le prennent en chasse. Il leur échappe, et il se rend compte qu’il est dans le pétrin : l’amant de Madame Sullivan n’était autre que Allen Richmond (Gene Hackman), président des États-Unis et ami proche de Walter Sullivan.

Scandale sexuel à la maison blanche, fin des années 90… Tout cela sent l’affaire Lewinsky à plein nez. Et pourtant, rien n’est moins sûr. Parce qu’en février 1997, à la sortie du film, l’affaire est encore loin d’avoir pris l’ampleur qu’elle aura quelques mois plus tard. D’autant plus que le film de Clint Eastwood est basé sur un livre signé David Baldacci datant de 1996… Par contre, à cette époque, le Président Clinton est déjà sous le coup d’une plainte portée par Paula Jones en 1994, l’accusant de harcèlement sexuel. Mais la parenté s’arrête à l’évocation de la mouvementée vie sexuelle du locataire de la maison blanche. Car pour le reste, il n’y a pas grand chose en commun entre Bill Clinton et Allen Richmond : le premier est adultère et ses mensonges relèvent plus de la vie privée que du secret d’État (n’en déplaise au procureur Kenneth Starr), tandis que le second est célibataire, et que ce qu’il essaie de couvrir va bien au-delà du scandale sexuel risquant de choquer l’opinion conservatrice. Il n’aurait de toute façon pas été très cohérent de la part de Clint Eastwood de réaliser un film dénonçant la vie sexuelle du président immédiatement après avoir réalisé Sur la route de Madison, prônant la compréhension d’une aventure adultère. Disons que si référence aux déboires de Clinton il y a eu, cela n’est que pour instaurer une toile de fond à une intrigue de thriller qui se réfère davantage à l’affaire du Watergate qu’à autre chose. Les quartiers de Gloria Russell, la conseillère du Président Richmond, sont d’ailleurs établis à l’hôtel Watergate. Nous n’avons définitivement pas affaire à un thriller érotique dans la mouvance de Basic Instinct, et ce qui intéresse Clint Eastwood est avant tout l’idée d’abus de pouvoirs provenant d’un homme politique important (le titre est Les Pleins pouvoirs… pas besoin de vous faire un dessin !).

Quelles que soient les opinions politiques du dirigeant incriminé, d’ailleurs, puisque nulle part il n’est fait référence aux vues d’Allen Richmond. Cela n’a aucune importance, tant l’exercice du pouvoir est en soit un pousse-au-crime. Mais ce qui fournit l’argument du thriller, c’est encore ce décalage qui existe entre la personnalité publique et la personnalité privée du Président. La démocratie à l’occidentale a ceci d’hypocrite qu’elle consiste à attribuer les pleins pouvoirs à un homme, qui se retrouve à la tête de tous les moyens oppressifs de l’État. Qu’est ce qui l’empêche alors de profiter de ses pouvoirs pour servir ses propres intérêts, pour profiter de sa fonction pour gommer tout ce qui pourrait nuire à sa réputation ? La moralité du président est en effet quelque chose de décisif lorsque le moment est venu de demander l’approbation des électeurs… S’affichant auprès d’un homme généreux, déclamant de beaux discours, Richmond présente bien. Ses gardes du corps et sa conseillère sont là pour veiller à son image, c’est à dire à ce qui lui permet en grande partie d’être au pouvoir. Le président est un homme qui n’est pas ouvertement au-dessus des lois… Cependant, il a tout pour faire entrave à la séparation des pouvoirs, et notamment à la police, incarnée par Seth Frank (Ed Harris), et pour faire porter le chapeau à un innocent, ici Luther Whitney. Le sujet traité par Eastwood est assez simple, mais il soulève aussi quelques grosses contradictions inhérentes à la démocratie occidentale en incitant à réfléchir aux pouvoirs dont sont investis les chefs d’État. La démocratie de façade n’est pas loin de ressembler dans ses coulisses à une république bananière…

De son côté, Luther Whitney traverse cette situation avec la difficulté de l’homme lucide, qui se rend bien compte que personne ne croira un voleur professionnel -connu des services de police, et donc immédiatement suspecté- affirmant avoir assisté à un meurtre commis par les services présidentiels. Ne disposant d’aucun moyen de défense, il en est réduit à se cacher ou à se déguiser, ce qui par conséquent fait des Pleins pouvoirs un film dénué de grandes scènes d’action (quand il y en a, elles sont l’œuvre des hommes du président, avec bien entendu l’excellente scène du meurtre), reposant essentiellement sur ses dialogues. Les apparitions de Whitney ne sont pas si fréquentes, et Clint s’arrange pour les orchestrer de façon à ce qu’elles impressionnent un minimum (c’est à dire que le personnage sort de l’ombre au moment où les autres s’y attendent le moins, ce qui a le don d’enrager les services présidentiels). A vrai dire, le traitement de son propre personnage laisse un peu à désirer… Une fois passé le constat politique, transmis par l’identification du spectateur avec le fugitif, il ne reste pas grand chose de l’utilité de Luther Whitney, un homme qui à part pour sa condition de voleur ne fait pas vagues… Un vieil amateur d’art qui aime à regarder le foot à la télé. Alors Clint, en prenant d’énormes libertés avec le livre qu’il adapte (et dont Luther n’était même pas le personnage principal, ce dernier étant tout simplement absent du film) tente de donner un peu de profondeur à son vieux cambrioleur en s’attardant sur ses soucis familiaux.

En prison et absent pendant l’enfance de sa fille Kate, le vieil homme essaie aujourd’hui de renouer les liens, et pas seulement parce que sa fille est la seule personne qui pourrait être susceptible de lui venir en aide (eu égard aux liens familiaux, mais aussi à sa profession de procureur). Mais Kate ne veut plus entendre parler de lui… jusqu’à ce qu’elle se rende compte que Luther est loin de s’être désintéressé de son parcours. Clint a recours à des scènes d’émotion préfabriquées, assez convenues. La réconciliation tant attendue notamment, qui s’annonce avec fort peu de délicatesse lorsque Kate visite la maison de son père, découvrant quasi la larme au groin que l’ex taulard qu’elle a toujours pensé égoïste garde chez lui de nombreuses photos prouvant qu’il s’est en fait toujours soucié de sa fille. Loin de gérer ses scènes de famille avec la sensibilité dont il a souvent su faire preuve, Clint verse ici dans une facilité surprenante de la part d’un homme qui venait de réussir à réaliser Sur la route de Madison sans tomber dans la mièvrerie. En plus de ne pas être convaincante, cette orientation est dans sa nature même regrettable. Car avec elle, l’acteur / réalisateur adoucit un film qui aurait pourtant gagné à opposer deux conceptions différentes de la délinquance : la banale, et celle de l’État. Les Pleins pouvoirs aurait été un film bien plus rugueux sans ce lien filial d’une grande banalité, et qui n’est du reste pas le seul élément à ramollir le film. C’est le cas également du personnage de Walter Sullivan, vieux mécène trahi et pris en pitié, ainsi que du flic incarné par Ed Harris, qui s’éprend en cours de route de Kate Whitney. A cela on rajoute une photographie très belle, mais aussi très lisse.

“Académique” est certainement le mot qui convient le mieux pour décrire un tel film. Expérimenté et talentueux, Clint fait tout dans les règles de l’art. Son raisonnement sur le monde politique est très bien vu. Mais tout cela manque cruellement de punch et d’audace. Le réalisateur commence à vieillir, et il consacrera bientôt sa carrière à décrire cette vieillesse. Il livrera alors plusieurs grandes réussites… Mais pour l’heure, à l’image de son Luther Whitney, il se repose en pépère sur des acquis certes solides, mais qui ne suffisent pas à faire un grand film.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.