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Decapitron – Peter Manoogian

decapitron

Eliminators. 1986

Origine : Etats-Unis 
Genre : Variable 
Réalisation : Peter Manoogian 
Avec : Patrick Reynolds, Denise Crosby, Andrew Prine, Conan Lee…

Trop, c’est trop : le brave Takada refuse d’exécuter l’ordre de son patron Abbott Reeves et de désactiver le brave androïde qui s’est plus qu’honorablement chargé de sa dernière mission à travers le temps. Il organise donc l’évasion de l’homme bionique en y laissant sa peau, non sans avoir soufflé à son protégé où il pourrait trouver refuge. Ce qui mène notre pauvre homme robot auprès de Nora Hunter, scientifique et militaire ayant fourni à Reeves le matériel nécessaire à la fabrication de sa créature sans avoir conscience des projets qu’il avait en tête. Sous le choc, Nora décide d’accompagner John Doe (nom qu’elle attribue à l’androïde) sur les traces de son passé, et de l’aider à contrecarrer les funestes projets de Reeves.

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Peter Manoogian n’est pas le plus prolifique ni le plus célèbre des poulains de Charles Band. Toutefois, il est l’un de ses hommes de confiance, et cela depuis les débuts de la compagnie Empire. A ce titre, il obtint l’insigne honneur au cours des années 80 de tourner quelques-unes des productions les plus maîtrisées de son mentor. Non pas maîtrisées dans le sens où elles se voudraient mieux foutues avec éventuellement un rab de budget (privilège apparemment réservé à Stuart Gordon), mais dans le sens où Band décida de s’y investir davantage que pour les films qu’il s’est contenté de distribuer sous son label, qui il faut bien l’avouer sont souvent bien moins appréciables que les vrais produits “maison”. On peut reprocher des choses à Charles Band, mais en tous cas le gus -au moins à l’époque Empire- semble avoir les idées claires sur ce que doit être une série B. C’est à dire que ce genre de films peut être foutraque et partir dans tous les sens, mais sans pour autant rester plat jusqu’à en devenir rasoir. Le ridicule ainsi assumé, si possible sans autodérision, passe comme une lettre à la poste. Les véritables productions Empire ont le mérite de s’y tenir, et les réalisateurs sélectionnés par Band, à défaut d’être de prometteuses jeunes pousses comme bien des poulains de Roger Corman une dizaine d’années plus tôt, répondent à ses attentes. Il n’en va pas autrement de Peter Manoogian sur Decapitron, dont le scénario d’une linéarité sans égale parvient à incorporer une bonne dose d’éléments disparates qu’il fallait oser mélanger. Decapitron, c’est un androïde parfois monté sur chenilles, un mini robot pouvant se télétransporter, une blonde scientifique haut gradée dans l’armée, un Indiana Jones du pauvre, un ninja revanchard, un méchant mégalomane défiant le temps et la mort, ainsi qu’une poignée de rednecks pour incarner des sous-fifres qui n’ont pas la tête de l’emploi (un gros chasseur et son timoré acolyte comme principal lieutenant du futur maître du monde) et encore moins de pertinence (une redneck au féminin dont le seul but est de se venger de l’Indiana Jones qui vient de lui prendre un client). Tout ce petit monde sert également de prétexte pour incorporer divers genres le temps d’une scène, voire même d’un plan. La science-fiction, l’action, l’aventure, les arts martiaux, la comédie, le drame, la romance, chaque personnage apporte avec lui son ou ses propres genres. Tout est bon pour garder éveillé le spectateur au cours d’un scénario qui se résume somme toute à la remontée d’un fleuve épicée par différents obstacles. Tout ceci donne un spectacle d’autant plus improbable que Manoogian n’a aucune gêne à manier ses énormités de la manière la plus complaisante qui soit, comme si sa tambouille de bric et de broc pouvait surpasser les grosses productions du moment, y compris en termes d’idées. Là où les produits hollywoodiens, sans pour autant miser davantage sur la crédibilité, hésitent à sortir de leur cadre bien défini (pensons aux Rambo), la production Empire s’y colle sans arrière-pensée en brassant les personnages et les genres sans jamais vraiment s’inquiéter des conséquences d’un tel jonglage. Les moments forts, déjà bien souvent cocasses, se succèdent de manière imprévisible… Par exemple, alors qu’ils viennent à peine d’échapper à la furie vengeresse d’une batelière dure en affaires, comment aurait-on pu prévoir que notre sympathique groupe d’aventuriers allait tomber sur une tribu d’hommes préhistoriques échappés de la machine de Reeves ? A l’occasion, le fait d’en rajouter permet à la fois à Manoogian de jouer les gros bras pour en imposer tout en contournant les contraintes du budget et les inaptitudes des acteurs. C’est ainsi que le réalisateur adopte le ralenti pour filmer son ninja en train de sauter entre les pales d’une aération en marche. Ce faisant, il fait du Peckinpah tout en permettant à son acteur de sauter au milieu des pales en fait à l’arrêt. Cela ne trompe personne, mais le principe même illustre bien l’ambition de Decapitron. La même subtilité est de mise pour ce qui relève de la psychologie, qui elle aussi, sans tenir compte du manque de sérieux de l’intrigue et des situations, cherche à taper dans le cliché hollywoodien le plus surfait. C’est ainsi qu’un peu à la manière du Robocop de Verhoeven qui allait apparaître l’année suivante, l’homme robot est tracassé par son passé et son avenir, sous la compassion exagérée de sa tutrice (c’est même pour lui donner des réponses qu’elle a initié le périple). Difficile d’être vraiment touché par ce John Doe dont l’interprète, raide comme un piquet, semble surtout souffrir d’un costume encombrant (sa rigidité n’est pas pour rien dans l’incroyable séquence où l’androïde passe par dessus bord suite à un remous fluvial un peu prononcé… allez le prendre au sérieux, après ça). Et quant à la tutrice, sa scène de t-shirt mouillé et son flirt badin avec l’aventurier rigolard entament quelque peu sa force de persuasion. Les effets spéciaux subissent le même traitement : en dépit de leur aspect extrêmement fauché, les lasers et autres éclairs s’incrustent sans complexe à l’écran pour bien montrer que chez les gentils comme chez les méchants nous sommes au top niveau de la technologie. Enfin, les mêmes excès se retrouvent chez Abbott Reeves, incarnation de la méchanceté aux projets grandioses. Non seulement l’homme a défié la mort (il est cliniquement trépassé mais une invention géniale le maintient en vie), mais il veut également prendre la place de Jules César pour se faire maître du monde dès l’époque romaine. Le climax dans lequel il se présente costumé en centurion bionique laisse pantois…

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Jouant le jeu du produit hollywoodien jusqu’au bout, Decapitron évite aussi de se montrer trop violent et cherche à plaire à toute la famille. Ce dont on ne peut guère lui tenir rigueur : bien que le ton soit consensuel, la forme suffit à faire du film quelque chose de suffisamment hors-norme pour plaire. Du début à la fin, c’est tout simplement du grand n’importe quoi qui peut difficilement laisser insensible. Les moyens ne suivent pas l’ambition, elle-même assez discutable (jouer sur le créneau des blockbusters écervelés des années 80), mais cela n’empêche pas Manoogian d’y aller au culot. C’est ce décalage, qui évidemment aboutit à un certain humour, qui permet de savourer la chose. “De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace“, aurait dit Danton sans savoir que sa recommandation allait servir à une obscure production Empire…

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